En novembre 2020, la Birmanie organisait ses deuxièmes élections libres depuis la transition démocratique de 2010-2011 : nouveau triomphe de la National League for Democracy (NLD) d’Aung San Suu Kyi. Bien que les observateurs aient attesté de la transparence du scrutin, l’armée birmane (Tatmadaw) contesta ces résultats, et le 1er février 2021, le Senior General Min Aung Hlaing déclara l’état d’urgence et s’installa au pouvoir, à la tête d’un Conseil administratif d’État (State Administration Council, SAC).
La résistance s’est alors organisée : sur le plan politique, un Gouvernement d’unité nationale (National Unity Government, NUG) clandestin se met en place ; sur le plan militaire, les Ethnic Armed Organizations (EAO), qui défendent de longue date les minorités ethniques des périphéries montagneuses sont rejointes par des centaines de nouvelles structures, les People’s Defence Forces (PDF), qui émergent dans les basses terres centrales de peuplement bamar.
La guerre civile se concentre dans deux vastes zones : la première prend en écharpe la moitié nord du pays, de l’État d’Arakan (à l’ouest, sur la frontière bangladaise), aux États Kachin et Shan (au nord-est, sur la frontière chinoise), via les collines de l’État Chin, et les plaines de Sagaing et Magway. La seconde zone, nord-sud, court le long de la frontière thaïlandaise à l’est du pays, de l’État Kayah jusqu’à la pointe du Tanintharyi, tout au sud, en passant par les États Karen et Mon.
Au nord : la junte aux abois
Le 27 octobre 2023, dans les collines du Nord de l’État Shan, la guerre prend un véritable tournant : la Three Brotherhood Alliance, comprenant la Myanmar National Democratic Alliance Army (MNDAA), la Ta’ang National Liberation Army (TNLA) et l’Arakan Army (AA), lance une offensive coordonnée. En quelques semaines, ces EAO prennent des villes-clés, des postes-frontières, des centaines de positions militaires ; elles capturent des arsenaux, des blindés, des centaines de prisonniers.
Le but principal de la MNDAA, qui mène cette offensive : reconquérir son fief de Laukkai, sur la frontière chinoise, dont elle avait été expulsée en 2009. Le régime de l’époque l’avait alors confié à ses alliés locaux, chefs de syndicats criminels. Leur activité principale, surtout depuis le coup d’État : les arnaques en ligne (online scamming), essentiellement aux dépens des citoyens chinois. La Chine a longtemps poussé le SAC à sévir, mais en vain. Elle aurait donc — tacitement — encouragé la MNDAA à reprendre Laukkai et à ramener une certaine stabilité sur la frontière. Tel était censé être le périmètre de l’« Opération 1027 ».
En réalité, l’effondrement de la Tatmadaw prend tout le monde de court : ni le régime, ni la résistance, ni la Chine ne s’y attendaient. La Three Brotherhood Alliance redessine donc en profondeur l’État Shan, bien plus qu’escompté par la Chine. Elle s’empare ainsi de presque tous les postes-frontières de la région — alors que la Chine a toujours préféré traiter avec des États souverains. Elle prend également le contrôle partiel de l’importante autoroute Mandalay – Muse vers la frontière et détruit des ponts importants, bloquant l’essentiel des flux transfrontaliers.
Le 11 janvier 2024, la Chine convoque des négociations à Kunming. Les EAO, cherchant à prolonger leur conquête, sont peu réceptives à l’idée d’un cessez-le-feu, et Pékin doit donc user de menaces pour leur faire signer cet « accord d’Haigeng ». En février, la MNDAA et la TNLA, historiquement proches de la Chine, invitent U Yee Mon (ministre de la Défense du NUG, le gouvernement d’opposition) à Kunlong, tout près de la frontière. Pour Pékin, qui considère le NUG comme une force pro-occidentale, c’est un signe de défiance.