Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Birmanie : l’« Opération 1027 »… et maintenant ?

Le 25 juin, la TNLA relance les hostilités, sous le nom d’« Opération 1027 – Phase 2 ». Elle prend les derniers cantons du Nord-Ouest shan, dont celui de Mogok, réputé pour ses mines de rubis. Elle est désormais à un jet de pierre de Pyin Oo Lwin, siège de prestigieuses académies militaires, cœur symbolique de la Tatmadaw — et seulement à 50 km à l’est de Mandalay, le second pôle urbain du pays.

Dans le piémont, des PDF prennent l’initiative juste au nord de Mandalay, s’emparent de plusieurs localités et parviennent à 2-3 km au nord de la ville. En parallèle, d’autres groupes de résistance mènent des offensives au sud-ouest. Ces poussées venant de l’est, du nord et du sud-ouest alimentent les rumeurs d’offensive générale — spéculations en réalité peu raisonnables : même alliés, ces groupes de résistance n’ont pas les moyens de prendre une métropole de 2 millions d’habitants, lourdement défendue. À partir de septembre, le SAC mène des contre-offensives efficaces sur ces trois fronts pour soulager la pression.

En parallèle, le 29 juin, la MNDAA attaque Lashio, capitale de l’État Shan du Nord et siège du prestigieux Regional Military Command (RMC) pour le Nord-Est birman ; le 3 aout, elle s’empare de ce QG — une première dans l’histoire récente — et le 5 aout, finalise son contrôle de la ville.

À partir de septembre, il n’y a presque plus aucun combat au sol dans le Nord de l’État Shan ; MNDAA et TNLA ont atteint quasiment tous leurs objectifs territoriaux, et de ce point de vue, l’« Opération 1027 » est terminée. Elles cherchent désormais à renforcer leur emprise et à se préparer à la contre-offensive que le SAC est déjà en train de monter. Mais cette stratégie est mise à mal par les frappes aériennes quasi-quotidiennes sur les villes qu’elles contrôlent. Le but : empêcher le retour des civils, et laisser les EAO régner sur des champs de ruines.

Alors que l’« Opération 1027/1 » avait été menée par la MNDAA et la TNLA sans réelle implication du NUG, la phase 2 se distingue par une coopération plus poussée, notamment à travers les PDF liées au gouvernement de l’ombre, qui portent le combat autour de Mandalay.

Tandis que la Chine avait donné son accord tacite à l’« Opération 1027/1 » — en tout cas dans un premier temps, avant que la situation ne lui échappe —, elle était opposée à une phase 2, a fortiori si elle impliquait le NUG. Dès la reprise des combats fin juin, elle prend des mesures de rétorsion : coupure des réseaux électriques, téléphoniques et Internet transfrontaliers, suspension des derniers flux commerciaux vers les territoires MNDAA et TNLA. Fin aout, l’envoyé spécial chinois rencontre la United Wa State Army (UWSA), l’EAO la plus puissante du pays (en cessez-le-feu depuis 1989), mais aussi parrain et fournisseur d’armes de la Three Brotherhood Alliance. La UWSA est très proche de Pékin, mais cette fois, le message est clair : elle doit stopper tout soutien à ses vassaux, faire pression pour stopper les hostilités, et même convaincre la MNDAA de se retirer de Lashio. Faute de quoi, la UWSA connaitra le même sort que ses protégés : un blocus complet. La situation est inédite pour la UWSA, et préoccupante pour la MNDAA et la TNLA, menacées d’asphyxie et vulnérables à la contre-offensive du SAC. Notons enfin que le Nord-Shan fournit des armes à de multiples groupes de résistance à travers le pays ; si ces flux venaient à se tarir, c’est la dynamique de tout le conflit qui en serait affectée.

Au nord de la Birmanie, dans l’État Kachin, la Tatmadaw est là aussi en difficulté. Le 7 mars 2024, la Kachin Independence Army (KIA) lance une vaste offensive pour briser la ceinture de fortifications ennemies autour de sa capitale Laiza et, au-delà, se créer un sanctuaire sur la rive est du fleuve Irrawaddy, jusqu’à la frontière chinoise. À la mi-novembre 2024, elle a presque atteint cet objectif, prenant notamment Chipwi, cœur de l’extraction des terres rares, d’une importance stratégique pour la Chine. Tout comme dans l’État Shan, Pékin tente de mettre la KIA au pas en fermant tous ses postes frontières. Là aussi, la KIA va devoir faire preuve de résilience pour éviter l’asphyxie.

Accélération du conflit dans l’Ouest du pays

De l’autre côté du pays, dans l’État d’Arakan, sur la frontière avec le Bangladesh, la fin de l’année 2023 a aussi vu une accélération du conflit. Le 13 novembre, l’Arakan Army (désormais renommée Arakha Army) relance les hostilités et prend à son tour ville sur ville. Elle s’empare notamment de Mrauk-U, capitale de l’ancien royaume d’Arakan et foyer identitaire de l’ethnie arakanaise ; elle prend même Paletwa, dans l’État Chin voisin, ouvrant une précieuse interface frontalière avec l’Inde, mais suscitant l’ire de plusieurs communautés chin.

À court de solutions, la Tatmadaw attise les tensions entre communautés arakanaise bouddhiste et musulmane rohingya. Alors même qu’elle s’était livrée à des violences de masse vis-à-vis des Rohingyas en 2016-2017, l’armée les enrôle désormais de force. Mi-avril, alors que l’AA s’approche de la ville de Buthidaung, soldats birmans et supplétifs rohingyas mettent le feu aux quartiers arakanais. Lorsque l’AA prend la ville le 17 mai, ses soldats se vengent en incendiant les quartiers rohingyas, faisant redouter un instant une vague de violences inter-communautaires.

0
Votre panier