Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Birmanie : l’« Opération 1027 »… et maintenant ?

Politique : quelles élections en vue ?

En février 2021, la Tatmadaw avait pris le pouvoir sous prétexte que les élections de novembre 2020 avaient été truquées, et avec la promesse d’en organiser de nouvelles. Le scrutin était attendu pour l’été 2023, mais dès janvier, les attaques de la résistance contre l’appareil électoral forcent à le repousser sine die, et le sujet disparait. Il resurgit néanmoins début 2024, dans la foulée de l’« Opération 1027 », avec cette fois fin 2025 en ligne de mire. Le modèle : les élections de 2010, elles aussi truquées et non reconnues par l’Occident, mais qui avaient mis au pouvoir l’ancien général Thein Sein, porteur d’authentiques réformes. Après le scepticisme initial, la communauté internationale avait renoué avec les autorités birmanes, avec en point d’orgue la visite d’Hillary Clinton à Rangoun en 2012. Cependant, il semble difficile de rééditer l’exploit aujourd’hui : le contexte est très différent, et le SAC a pulvérisé bien des lignes rouges.

Du côté du NUG, on observe une lente montée en puissance. D’une part, une poignée de villes sont tombées aux mains de PDF qui lui sont affiliées, dessinant une esquisse d’empreinte territoriale. D’autre part, le soutien explicite de la Chine au SAC, et la pression qu’elle exerce sur les EAO du Nord pour les mettre au pas les rapprochent (très prudemment) du NUG. Néanmoins, les défis du NUG restent nombreux : son appareil administratif, judiciaire ou fiscal reste embryonnaire, et les défis pour fournir des services sociaux dans les « territoires libérés » restent nombreux. Par ailleurs, le projet de Constitution fédérale, destinée à remplacer celle de 2008, reste au point mort, marqué par les dissensions entre factions.

Sur le plan social, la Birmanie s’enfonce dans une crise sans précédent. Au début des années 2000, le taux de pauvreté était d’environ 50 %. À la veille du Covid-19, il était tombé à 25 %. Mais en avril 2024, un rapport du PNUD établit qu’il a rebondi à 50 %, avec en plus 25 % de la population qui vit tout juste au-dessus de son seuil. Le pays a donc perdu en quelques années les fruits de 20 ans de développement.

En septembre 2024, le typhon Yagi frappe le Sud de la Chine, le Vietnam, le Nord de la Thaïlande et vient mourir dans l’Est de la Birmanie entre le 9 et le 11 septembre. Les dégâts sont considérables : des villages et des routes sont emportés, des milliers d’hectares de champs sont dévastés et 433 personnes sont tuées. Une telle catastrophe illustre la fragilité d’une société exsangue, plus vulnérable que jamais. Dans les jours qui suivent, la faiblesse de la réponse du SAC donne à voir son manque de ressources et de compétences, tandis que les blocages imposés à l’aide vers les foyers d’opposition démontrent une militarisation des aléas naturels. 

International : le pari de la Chine

En 2024, le développement majeur se trouve du côté de la Chine. De 2021 à fin 2023, Pékin avait gardé de prudentes distances avec le régime, et même tacitement approuvé l’« Opération 1027 » pour lutter contre le crime transnational. Cependant, depuis lors, la déroute du SAC a démontré que le régime court à sa perte sous la direction de Min Aung Hlaing, qu’une victoire de la résistance est une possibilité, et que le cas échéant, la Birmanie post-SAC pourrait pencher vers l’Occident. Un accord pragmatique semble donc avoir été noué : la Chine soutient le SAC pour éviter la défaite et le mettre dans une dynamique militaire plus positive. En échange, le SAC organise des élections qui, quel que soit leur niveau de transparence, seront reconnues par quelques États alliés, et qui devraient permettre d’enclencher une nouvelle dynamique politique — si possible sans Min Aung Hlaing.

Depuis l’été 2024, Pékin multiplie les initiatives en faveur du SAC : blocus complet des territoires tenus par la résistance, transfert de 6 avions de chasse FTC-2000, rumeurs insistantes d’un prêt de trois milliards de dollars. Début novembre, Min Aung Hlaing fait même sa première visite officielle en Chine depuis 2021. Certes, il n’est pas reçu en visite d’État à Pékin, mais dans le cadre de sommets régionaux en province. S’il rencontre le Premier ministre Li Qiang et non le président Xi Jinping, cela constitue néanmoins une victoire politique pour le dirigeant birman. 

Ce soutien explicite de la Chine au SAC suscite l’indignation des Birmans, qui y voient une ingérence étrangère pour faire pencher la balance d’un combat déjà inégal. Le 18 novembre 2024, une explosion de faible ampleur se produit au consulat chinois de Mandalay. Aucune revendication n’est émise, et le calme revient vite, mais l’épisode illustre bien la tension croissante autour de l’influence chinoise. 

En parallèle, le SAC continue d’entretenir des relations très cordiales avec la Russie et l’Inde, qui multiplient les visites de haut niveau. En Thaïlande, la relative instabilité politique rend peu lisible la stratégie vis-à-vis de la Birmanie.

Au Bangladesh, la fuite de la Première ministre Sheikh Hasina en aout 2024 et l’arrivée de Muhammad Yunus au gouvernement intérimaire ont nourri les espoirs d’un traitement plus humain de la question rohingya, dont un million de membres vivent comme réfugiés autour de Cox’s Bazaar, mais il n’en est rien. Le soutien aux groupes armés rohingya anti-AA ne fait même qu’alimenter le conflit.

Au niveau multilatéral, l’ASEAN, poussée en première ligne par la communauté internationale depuis 2021, semble s’être désintéressée de ce conflit insoluble. En 2023, la présidence indonésienne avait été très discrète, officiellement pour construire la confiance. En 2024, la présidence laotienne a été encore plus discrète et, en cette fin de mandat, n’a guère de résultat tangible à présenter. En 2025, Vientiane va passer le flambeau à Kuala Lumpur, qui a toujours été combative sur la question birmane.

Enfin, il y a du mouvement au poste d’Envoyé Spécial de l’ONU pour la Birmanie. La Singapourienne Noeleen Heyzer a connu un court et frustrant mandat (octobre 2021 – juin 2023). Après presqu’un an de vacance, l’ancienne ministre des Affaires étrangères australienne Julie Bishop est enfin nommée à ce poste en avril 2024. Elle choisit la discrétion, à tel point que l’on n’apprend qu’après coup sa visite secrète à Nay Pyi Taw vers octobre, et sa rencontre avec Min Aung Hlaing. 

Repères Birmanie

Légende de la photo en première page : Le 15 aout 2024, le général Min Aung Hlaing rencontre le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi (à gauche). Si la Chine avait gardé ses distances suite au lancement de l’« Opération 1027 », Pékin soutiendrait de nouveau les dirigeants en place. (© Xinhua/Myo Kyaw Soe)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°83, « Géopolitique des conflits dans le monde 2025 », Décembre 2024-Janvier 2025.
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