Une crise qui aggrave la situation économique
La situation politique depuis décembre n’a, à ce stade, pas gravement affecté l’économie. La croissance a été de 2,1 % pour 2024 malgré une prévision initiale de 2,4 à 2,6 %. La Banque de Corée prévoit 1,6 à 1,7 % en 2025. Le taux de chômage demeure bas (3,8 %) et l’inflation contenue (1,9 % en 2024, 2,2 % en janvier 2025 en variation annuelle). En 2024, en raison d’une demande intérieure médiocre, la croissance a été tirée par les exportations en hausse de 8,2 %, avec une forte progression sectorielle de 44 % pour les semi-conducteurs et une part de 10,5 % pour les États-Unis en termes géographiques. En définitive, la balance des opérations courantes, incluant les transactions de services, a été excédentaire de presque 100 milliards de dollars en 2024, le triple de l’excédent 2023. C’est la raison pour laquelle les menaces douanières du président Trump font très peur à Séoul. La crise politique érode cependant la confiance : les indices de confiance des entreprises et des consommateurs reculent de 10 % environ et les instituts de recherche font état d’un affaiblissement de la production industrielle et d’une baisse de la demande privée. L’érosion de la situation économique est dès lors devenue une question politique à travers la nécessité d’un soutien budgétaire dont l’ampleur et la nature opposent les parlementaires ; le PPP a compris que reprocher au PD un « arrêt » de l’économie pouvait lui être favorable. En revanche, le KOSPI, l’indice de la bourse de Séoul, ne s’est pas effondré, variant entre 2 400 et 2 500 depuis décembre dernier, mais en recul depuis un plus haut de presque 2 900 à la mi-juillet ; le won a faibli, le dollar progressant de 1 400 à 1 450-1 500 KRW. Les agences de notation n’ont pas dégradé la Corée du Sud qui bénéficie d’une situation satisfaisante de ses finances publiques et d’une gestion attentive de la Banque de Corée.
Quelles perspectives ?
Certains considéreront que la crise en cours reflète une forme d’immaturité et de jeunesse de la démocratie sud-coréenne. Cette appréciation ne serait pas dénuée d’une certaine condescendance car elle n’est pas évoquée en cas de crise politique en Espagne, au Portugal ou en Grèce, pays qui ont connu des gouvernements autoritaires avant de devenir des démocraties, ou dans les pays d’Europe centrale et de l’Est devenus démocratiques après la chute du mur de Berlin en 1989. Coup de sang ou « faute grave de jugement », selon l’expression d’un responsable de l’administration Biden, le président Yoon a plongé son pays dans une crise profonde mais la démocratie a résisté : les forces armées ont hésité et n’ont pas obéi aveuglement à leurs hiérarchies, les parlementaires ont réagi très rapidement, les milieux d’affaires n’ont pas soutenu l’initiative présidentielle et l’opinion publique s’exprime avec vigueur. Cette crise devrait cependant conduire les forces politiques à réfléchir à leurs comportements, à abandonner les réflexes issus du passé et enracinés dans la guerre de Corée s’agissant du camp conservateur et, pour les progressistes, leurs postures parfois confites de fausse morale. Elle donne à l’évidence un avantage politique au PD et à Lee Jae-myung en cas d’élection présidentielle.
La crise n’est pas sans conséquence en matière de politique étrangère. Le président Yoon a ouvert la voie de la réconciliation avec le Japon et donné du poids à son pays dans l’axe États-Unis / Japon / Corée du Sud, alors que le PD et en particulier son chef actuel sont connus pour leur réserve à l’égard de l’allié américain, ancrée dans l’histoire de la dictature militaire, une certaine hostilité au Japon liée à la période coloniale et une forme de bienveillance vis-à-vis de la Chine voire de la Corée du Nord — ce que l’ancien président Moon avait traduit en cherchant une équidistance entre voisins et alliés de son pays. Les passages à Séoul du secrétaire d’État sur le départ Antony Blinken puis du ministre japonais des Affaires étrangères Iwaya Takeshi, ainsi que les premiers contacts avec l’administration Trump, s’inscrivent dans ce contexte qui favorise les régimes autoritaires de Pékin, Moscou et Pyongyang.
Légende de la photo en première page : Le 5 janvier 2025, un groupe de manifestants s’est rassemblé pour demander l’arrestation du président Yoon Suk-yeol. Alors que la polarisation est grandissante en Corée du Sud, les électeurs choisissent principalement leur parti en fonction de l’opposition à l’autre camp. Chaque camp considérant l’autre comme une menace existentielle, cet environnement est alimenté par un climat politique instable où la gouvernance est de plus en plus difficile, illustrant le besoin urgent de réformes structurelles. (© Shutterstock)