Cette discorde est également renforcée par des divisions internes, tant du côté chiite, qui domine le gouvernement de Bagdad, que du côté kurde, à Erbil. Du côté chiite, des clivages opposent les blocs pro-iraniens, les nationalistes irakiens, les libéraux pro-occidentaux et les forces miliciennes, rendant difficile l’émergence d’une politique commune pour engager des négociations avec Erbil. Les Kurdes, quant à eux, sont divisés entre un Nord du GRK, qui voit en la Turquie un voisin et allié, et un Sud du GRK, plus proche de l’Iran, sans oublier leurs divisions historiques, idéologiques, sociales et économiques. Ainsi, il est probable que ces fractures internes, qu’elles soient chiites ou kurdes, continuent de plonger le pays dans une instabilité durable pour les années à venir.
L’indépendantisme sunnite
La communauté sunnite, qui a porté le projet d’État irakien depuis 1921, se trouve depuis 2003 dans une position de marginalisation systématique par les chiites, arrivés au pouvoir grâce à l’intervention américaine. Le décret de « débaasification », appliqué dès le 16 mai 2003, est devenu un outil puissant pour les élites chiites afin d’écarter toute figure sunnite qui représenterait une forme de leadership ou de continuité historique de cette communauté, au sein de laquelle persiste une vision de l’« intérêt national ».
Conscients de cette exclusion systématique, que l’on pourrait qualifier de « dé-sunnification » du pays entre 2003 et 2010, les sunnites, malgré leurs divisions chroniques, commencent à formuler des conceptions en faveur d’un projet indépendantiste vis-à-vis du gouvernement chiite de Bagdad. À l’instar du GRK, ils aspirent à réorganiser leurs provinces en une région fédérée, avec sa propre présidence, son Parlement, son armée, son gouvernement ainsi que son système juridique, dans le but de garantir les intérêts de leur communauté. Ce projet indépendantiste sunnite, fermement rejeté par les chiites irakiens, constitue incontestablement un foyer de tensions qui pourrait favoriser la résurgence d’organisations terroristes telles qu’Al-Qaïda ou Daech.
Perspectives
Alors que l’Irak a un besoin urgent de se lancer dans une reconstruction massive, il reste en proie à des luttes internes et à des pressions extérieures qui minent toutes les tentatives de stabilisation. À travers ces crises, l’Irak incarne un équilibre précaire, où l’absence de solutions politiques inclusives risque de perpétuer les conflits internes et même d’encourager l’émergence de nouvelles menaces. Dans ce contexte, force est de constater que la coopération entre les différentes composantes de la société irakienne et le renforcement d’une politique de souveraineté, essentiels pour stabiliser le pays, ne semblent guère figurer parmi les priorités des élites politiques, qui continuent de percevoir l’État comme un butin à partager.
Note
(1) Gouvernement des États-Unis, U. S. Central Command (CENTCOM), « Defeat ISIS Mission in Iraq and Syria for January – June 2024 », communiqué de presse, 16 juillet 2024
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