Née d’une oasis, Marrakech est fondée dans le dernier quart du XIe siècle par les Almoravides (1040-1147). Au fil des siècles, la cité connaît des épisodes glorieux et tient plusieurs fois rang de capitale, mais son rôle politique est neutralisé avec son immersion dans la modernité globalisée. Affectée par les effets du séisme meurtrier et destructeur qui l’a touchée en septembre 2023, et dont les stigmates sont visibles dans le paysage, Marrakech reste une valeur sûre du secteur touristique, vital pour le Maroc.
Le 7 septembre 1912, les troupes françaises entrent dans la ville. Le projet de transformation du Maroc par le protectorat fait de Rabat la capitale du pays, et de Marrakech… une cité agréable. La teinte remarquée des remparts est imposée comme couleur par antonomase de Marrakech, devenue la « ville ocre », aussi bien dans sa partie ancienne que dans les extensions des XXe et XXIe siècles, une servitude de couleur étant imposée aux constructions. Au début des années 1930, la Société chérifienne d’hivernage présente le plan de développement d’un quartier résidentiel et de loisirs, situé entre la médina, le quartier de Guéliz et le chemin vers la Ménara, qui prend le nom évocateur d’Hivernage, en lien avec l’arrivée en 1928 de la nouvelle ligne de chemin de fer qui lance la destination de Marrakech.
La couleur du désir colonial
L’iconographie donne la prévalence aux sites ouverts plutôt qu’aux monuments. Ce choix trouve en la place Jemaa el-Fna un espace intra-muros historique. Le premier Guide bleu du Maroc paraît en 1921, et le premier palace de Marrakech, La Mamounia, est inauguré en 1923. Le discours colonial révèle une ville de villégiature, avec certes des éléments patrimoniaux préexistants, mais surtout dotée d’un cadre magnifique, d’un climat idéal et pourvue des infrastructures et des services pour un séjour optimal. Une narration est en place, qui marquera la ville et son image jusqu’à nos jours. Elle est encore la base de la production visuelle et textuelle institutionnelle, notamment celle de l’Office marocain du tourisme, où Marrakech advient comme « éternelle » ; elle est aussi fondamentale dans les guides et les itinéraires contemporains. La ville bénéficie d’un nouvel atout : elle est une proche escapade depuis l’Europe, particulièrement depuis la France, à laquelle elle est reliée par de nombreuses lignes aériennes.
C’est le pouvoir colonial qui a fait de la ville un espace de villégiature, par des discours, des décisions et des gestes créateurs. Néanmoins, avant cette phase, Marrakech, site de pèlerinage, était déjà une cité d’accueil. Ces deux formes d’hospitalité sont restées indifférentes l’une à l’autre. Sa dimension pèlerine, même si non caduque, s’est en partie invisibilisée dans sa dimension touristique mondialisée prégnante. Les saints de Marrakech sont devenus fantomatiques ; on ne retient en général plus que Sidi Bel Abbès (1129-1204), patron de la ville et dont la zaouïa demeure un pôle.
La trame iconographique de Marrakech découle des décisions coloniales de la vocation et du développement de la ville en station climatique. Ses aspects fondamentaux composent un dispositif conjuguant la couleur, le climat et l’histoire de la cité. Cette fabrique, lisible à travers un corpus de cartes postales éditées de la fin du XIXe siècle à nos jours, reste constante dans le temps, tout en témoignant d’une prévalence de clichés ciblant la place Jemaa el-Fna. La ville est représentée par une iconographie établie, participant à la construction d’un mythe de Marrakech. Si la partie intra-muros est détentrice d’un patrimoine considérable, force est de constater qu’il ne semble pas être à même de justifier sa renommée. En revanche, une caractéristique exceptionnelle de la cité est son aura, qui la distingue d’autres sites du Maroc et du pourtour méditerranéen. En d’autres termes, l’imaginaire lié à Marrakech ne peut être compris seulement à l’aune de son héritage historique et architectural, quand bien même sa médina est inscrite sur la liste du Patrimoine mondial en 1985. De même, aucun artefact tangible ne s’est imposé comme unique identificateur. Cela ne signifie point qu’elle en soit dépourvue, mais au contraire qu’elle en possède plusieurs, de diverses natures, dont son contexte citadin, ses atmosphère et ambiance, ses odeurs et saveurs, un ensemble de qualités supposément présentes dans la médina.