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Marrakech en images : destinées d’une cité touristique

L’iconographie touristique de la ville, passée et actuelle, reflète cette orientation initiale. La ville est arrimée à deux cadres de trames paysagères (proche palmeraie, contreforts et sommets plus lointains de l’Atlas), des espaces urbains (place Jemaa el-Fna, médina, souks), plusieurs objets construits (remparts, minaret de la mosquée Koutoubia, pavillon de la Ménara, mausolées). Sa traduction en vues est incarnée par ces éléments associables, pour certains superposables ; aucun n’est exclusif, ni n’éclipse les autres, ils forment en s’associant de multiples combinaisons.

Depuis les toits de Marrakech, on peut observer la chaîne de l’Atlas qui sépare la ville du sud-est du Maroc et les routes vers le désert. © Shutterstock/Maurizio De Mattei

À cela, on peut ajouter un objet… Que ramener de Marrakech ? La question n’est pas futile et se confond avec une autre : que faire à Marrakech ? Le shopping en ses souks est un motif majeur de fréquentation de la ville, réputée pour la diversité de sa production artisanale. On en ramène des souvenirs, particulièrement des babouches, artefacts maghrébins communs devenus objets typiquement marocains sous le protectorat, qui en réglemente la fabrique et le style et les protège de la concurrence.

Un écho international

Après l’indépendance du Maroc en 1956, commence une nouvelle ère pour la ville, qui entre dans la géographie du monde configuré par les personnages huppés qui la fréquentent. Un petit nombre de personnes fortunées et médiatisées trouve dans le climax de Marrakech, avec sa belle météorologie et son ambiance sociale, une raison de la préférer. Dans les années 1960, des gens célèbres et influents s’y installent, tels le couturier français Yves Saint Laurent (1936-2008) ou l’architecte américain Bill Willis (1937-2009). Liés au monde de la culture, de la mode et de l’esthétique, ils invitent la ville dans un imaginaire associé. Leur histoire personnelle sera dès lors liée à celle de la cité, et nombre de lieux témoignent de cette relation, comme le musée Yves-Saint-Laurent, inauguré en 2017, tandis que le Jardin Majorelle, qui fut la propriété du créateur, est le site payant le plus visité de Marrakech. Le lien avec la mode ne s’est pas démenti, comme en témoignent les shootings de marques européennes de prêt-à-porter ou la tenue d’événements de la haute couture (Dior en 2019). En parallèle, la cité s’est imposée comme référence d’une inspiration esthétique particulière en matière de style architectural, de décoration intérieure, de design, d’objets artisanaux. Cette dimension se manifeste à travers des publications récurrentes dans les rubriques de nombreux magazines ou revues ; elle est aussi à l’œuvre dans le décor et la promotion des grands hôtels, la ville abritant 51 établissements classés cinq étoiles.

Connu pour sa couleur bleue et pour avoir appartenu à Yves Saint Laurent, le Jardin Majorelle est l’un des sites les plus visités de Marrakech. © Shutterstock/dhvstockphoto

L’effet people est loin d’être anecdotique ; l’attractivité de Marrakech vis-à-vis de cette population référente est ancienne et constante. Ses effets ont opéré positivement de manière continue sur l’image de la ville, sur sa reconnaissance mondialisée. Innombrables sont les images de situations ordinaires ou particulières (festives ou événementielles) entretenant le rayonnement de la cité et sa séduction, agissant comme autant d’appâts miroitants. Multiples également sont les diffusions d’images de célébrités (de registre, d’intensité et de rayonnement variables) saisies à Marrakech en des lieux publics ou privés (avec une préférence pour les riads et les bords de piscines) tout aussi divers. En 2018, Madonna la choisit pour célébrer son 60e anniversaire. La star visite le musée Yves-Saint-Laurent et la médina, flâne place Jemaa el-Fna. Les images de la chanteuse parée de bijoux locaux en argent et vêtue en « reine berbère » seront partagées sur les réseaux sociaux. Marrakech fait le buzz et entretient un certain tapage médiatique. Ces bourdonnements permanents lui permettent d’être une ville en veille, réactivée épisodiquement à l’occasion d’une manifestation orchestrée, nationale ou internationale, cyclique ou ponctuelle ou, de façon plus aléatoire mais selon un régime soutenu, par les passages des people, dont les allées et venues tissent une topographie des lieux en vue du monde, à laquelle Marrakech est ancrée.

Par ailleurs, elle est pointée comme lieu central de liens et complaisances réciproques entre dirigeants français et marocains du monde des affaires et de la politique. Marrakech est une alcôve où se jouent des intérêts et des alliances. De même, les largesses royales offrent gîte et agapes aux importants et célèbres. Les batifolages des notoriétés, relayés dans des magazines ou des vidéos, sont autant de publireportages pour la ville et d’échos tapageurs pour sa renommée festive. Elle se prête à toutes les célébrations : anniversaire, soirée, inauguration, réveillon, enterrement de vie de jeune fille ou de garçon, mariage, lune de miel, etc. Dans le domaine événementiel, le calendrier est également dense : Festival international du film lancé en 2001 ; Marrakech du rire créé en 2011 ; Miss Arabic Beauty depuis 2016, sans compter les événements artistiques et sportifs.

L’image de la ville est kaléidoscopique, associée à celle d’une farandole de visages connus, émanant de multiples sphères (politiques, artistiques, culturelles) médiatisées et mondialisées. Cette donnée contribue à orienter nombre de touristes « ordinaires » vers cette destination prisée. Marrakech peut être l’objet d’un court séjour à coût modéré, et pourtant son image n’est pas celle d’une destination bas de gamme du tourisme de masse. Bien que d’accès facile en ce sens, elle n’apparaît ni galvaudée ni dépréciée, mais s’offre comme une expérience valorisée et valorisante. Le Maroc use à des fins de marketing de cette représentation : « Voyagez pour de vrai » était le slogan d’une campagne promotionnelle (2011), déclinée en particulier depuis l’« appât » Marrakech. Proche de l’Europe, sa source principale de visiteurs, le Maroc cible singularité de voisinage et authenticité, s’affirme comme voyage et non séjour commun du pourtour méditerranéen. L’« expérience » de Marrakech a, dans cette perspective, valeur d’argument. Marrakech est même déclinée en « prêt-à-offrir » dans des coffrets.

Néanmoins, en parallèle, au Maroc, une représentation sulfureuse de la cité s’est forgée. Le film Much Loved, de Nabil Ayouch, fiction sur le milieu de la prostitution, présenté à Cannes en 2015, a été interdit dans le royaume au motif de constituer un « outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l’image du royaume ». Les rumeurs et allusions en ce sens sont courantes, mais elles ont été affichées par les déclarations de l’ancien ministre de la Justice et des Libertés, entre 2012 et 2017, Mustapha Ramid (islamiste), en visite dans la cité en 2012 : « Des touristes originaires de plusieurs continents [y] viennent pour passer beaucoup de temps à commettre des péchés et s’éloigner d’Allah ». Maire de Marrakech depuis 2009, Fatima Zahra Mansouri, proche du pouvoir royal, rétorquait en jugeant ces propos « blessants pour la ville et ses habitants et indignes d’un responsable gouvernemental ». Cette polémique se situait dans le contexte de l’après-attentat du 28 avril 2011 contre le café Argana, place Jemaa el-Fna, perpétré, selon les autorités, par Al-Qaïda. Marrakech est, à l’évidence, une scène de la politique internationale du Maroc, comme en témoignent également les conséquences de l’attaque fomentée par des djihadistes contre l’hôtel Atlas Asni le 24 août 1994. C’est à la suite de cet événement que le Maroc, soupçonnant les services secrets algériens d’y être impliqués, ferme ses frontières avec l’Algérie.

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