Magazine Diplomatie

L’agriculture assoiffe-t-elle l’Amérique du Nord ?

Alors que le Canada possède 20 % des ressources d’eau douce de la planète, l’Ouest du pays fait face à des pénuries en eau. La gestion canadienne des ressources en eau, appelée à être un domaine de plus en plus stratégique, doit-elle être révisée ?

Si la situation peut sembler paradoxale à première vue, le Canada, pays extrêmement vaste, connaît des situations hydriques diverses que l’on soit en Alberta ou, à 2500 kilomètres, près des Grands Lacs. Des projets de transfert d’eau existent, bien qu’ils soulèvent des inquiétudes sur les impacts environnementaux et que leur viabilité économique soit questionnée. Rappelons qu’un mètre cube d’eau pèse une tonne. Déplacer des millions de mètres cubes d’eau revient ainsi à déplacer des millions de tonnes. Ces transferts massifs, au-delà de leurs coûts élevés, demandent énormément d’énergie et la construction d´infrastructures. Sans subventions de la part du gouvernement, est-ce que les agriculteurs de l’Ouest canadien accepteraient d’acheter une eau facturée plus cher au mètre cube ? Probablement pas. Principalement pour les raisons économiques évoquées, et sous la pression de l’opinion publique, les quelques projets de transferts massifs, notamment en Alberta, sont suspendus.

Alors que certains envisagent une potentielle guerre de l’eau entre le Canada et les États-Unis, que les Américains lorgnent sur les immenses ressources canadiennes, et que de nombreux Canadiens craignent d’ouvrir la boîte de Pandore en exportant leur eau, quelles sont les perspectives pour l’Amérique du Nord à l’horizon 2050 ?

La question des transferts massifs apparaît dès les années 1960, quand la Cour suprême a rendu un jugement en 1963 qui imposait à la Californie de rester à l’intérieur de l’enveloppe du budget en eau, prévue par le pacte du Colorado — un accord de partage qui avait été signé par tous les États du bassin du Colorado. La Californie a tout de suite envisagé non pas de réduire sa consommation — ce qui est un réflexe typiquement américain des années 1960 — mais d’aller chercher de l’eau ailleurs. Les Californiens ont commencé à regarder du côté des autres États américains, sans succès. L’idée de puiser l’eau au Canada émerge et plusieurs compagnies d’ingénierie s’attellent à concevoir des projets de transfert continentaux, sur de très grandes distances, avec des volumes extrêmement considérables. Complètement pharaoniques, ces projets n’ont jamais vu le jour. Jusque dans les années 1970-1980, après la vente du pétrole et du gaz, la vente de l’eau suscitait un certain intérêt au Canada. Et puis, peu à peu, l’opinion publique canadienne s’y est opposée. D’abord, de peur que le contribuable canadien finance les projets au profit des agriculteurs américains — lesquels utilisent des techniques d’irrigation obsolètes et sont réticents face aux efforts à produire pour réduire leur consommation — et ensuite car les finances publiques commençaient à devenir un sujet de préoccupation pour les électeurs canadiens.

Entre le Canada et les États-Unis, bien qu’évoqués à plusieurs reprises au cours des rencontres entre les deux gouvernements, les projets de transfert n’ont jamais dépassé le stade de l’intérêt très général. Les transferts massifs d’eau sur de grandes distances existent aux États-Unis comme au Canada, mais la plupart de ces dérivations sont situées à l’intérieur même des États ou des provinces. De plus, si aux États-Unis les transferts d’eau ont été réalisés pour satisfaire les besoins de l’agriculture ou des grandes villes, au Canada, l’objectif était principalement d’augmenter la production hydroélectrique.

Maintenant, face aux difficultés rencontrées pour satisfaire les besoins à la fois des villes, des industries et du secteur agricole — dans un contexte de sécheresse accrue — de nouveau, les possibilités de transferts massifs et d’aller chercher de l’eau au Canada sont discutées. Sans savoir si cela peut aboutir, dans le débat ou dans les médias, ce scénario refait surface. Pourtant, les paramètres de l’équation n’ont pas changé, si ce sont toujours des projets qui coûtent extrêmement cher, avec une ressource dont le coût de revient est assez élevé, plus que celui du dessalement de l’eau, et les chances restent grandes pour que l’opinion canadienne réagisse de la même façon que précédemment.

0
Votre panier