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Un plus grand parapluie ? La prolifération des défenses antimissiles

Nouveaux sortants… et nouveaux venus

Sur l’échiquier européen, la défense antimissile est historiquement une affaire américaine. La mise en place de l’ALTBMD (Active layered theater ballistic missile defence) par le double déploiement de quatre destroyers Aegis dotés du missile SM‑3 en Espagne et, surtout, la construction et la mise en service de deux bases Aegis Ashore en Roumanie (2016) et en Pologne (2024) a été source de fortes tensions entre les États-Unis et l’OTAN d’une part et la Russie d’autre part. Pour Moscou, le déploiement de capacités présentées comme devant intercepter un éventuel tir iranien est susceptible de remettre en cause sa capacité dissuasive. Techniquement, l’argument est douteux : face aux États – Unis, les missiles russes seraient tirés via le pôle Nord, à une distance nettement supérieure à celle atteinte par les SM‑3. Par ailleurs, quand bien même la portée de ces derniers serait suffisante, les 48 missiles basés à Deveselu et à Redzikowo (24 pour chaque base) sont évidemment trop peu nombreux pour intercepter plus de 2 000 têtes stratégiques (4)

Stratégiquement, la Russie craint un usage de ces bases pour d’autres fonctions – le tir de missiles de croisière Tomahawk –, mais semblait surtout considérer que les décisions de déploiements n’auraient pas dû être prises, à l’époque, sans son aval. Les intentions de la nouvelle administration Trump à l’égard des déploiements européens sont toutefois encore peu claires et Moscou pourrait chercher à utiliser le changement de donne politique pour négocier un retrait de ces capacités. Berlin, de son côté, doit recevoir cette année la batterie Arrow‑3 et les missiles commandés en 2023 à Israël pour 3,5 milliards de dollars. Un missile qui a fait la preuve de son efficacité face à l’Iran, mais qui a été développé avec des fonds américains, Washington ayant autorisé son exportation en 2023… Jusqu’à une éventuelle révocation ?

Reste le cas européen, avec les projets HYDEF (Hypersonic defence) et TWISTER (Timely warning and interception with space – based theatre surveillance) respectivement confiés à des consortiums emmenés par la firme espagnole SENER et par MBDA. Ce dernier a présenté son missile Aquila pour la première fois en 2023. Mais aucun essai n’est encore programmé pour ce qui n’est encore que de la R&T, et surtout aucune commande n’est encore passée. En l’occurrence, ces programmes européens de missiles antibalistiques acquièrent une importance renouvelée dans un contexte où le tir d’un engin de portée intermédiaire à charge conventionnelle Oreshnik soulève en France – où était adoptée en mars 2025 une posture ouverte à une dissuasion étendue – la question de la nature de la riposte. La possibilité d’attaques conventionnelles sur le sol européen non français implique, en l’état actuel, un « tout ou rien nucléaire » qui n’est pas, politiquement ou stratégiquement, tenable. Une défense de territoire couplée à des capacités balistiques conventionnelles apparaissent comme des moyens de résoudre ce dilemme (5).

Changement de donne asiatique

Au-delà du cas indien traité par ailleurs (6), les développements les plus significatifs en défense antimissile ont été observés en Corée du Sud et en Chine. Au fil des ans, la posture antimissile de Séoul a considérablement évolué. D’abord sous le « parapluie nucléaire » américain – comprenant le déploiement de charges sur place jusqu’en 1992 –, elle a cherché à développer des capacités antimissiles au fur et à mesure des annonces nord – coréennes. Disposant de radars d’alerte avancée Green Pine, Séoul s’est ensuite dotée de SM‑3, qui seront à terme lancés depuis neuf destroyers de la classe Sejong Daewang. Face aux essais nord-coréens, les États-Unis ont déployé une batterie THAAD avant que Séoul ne conçoive son propre système, le L‑SAM. Le L‑SAM I, testé pour la première fois le 22 novembre 2022 et dont le développement s’est achevé en décembre 2024 en vue d’une production devant commencer cette année, va connaître deux versions. La première est un missile antiaérien de longue portée – l’un des rares à pouvoir opérer dans la très haute altitude – tandis que la deuxième est un système antimissile endoatmosphérique, jusqu’à 60 km d’altitude et 150 km de distance.

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