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La liaison des armes

Sur terre, il s’agit de concentrer ses feux d’artillerie, son infanterie, sa cavalerie sur un point afin de déstabiliser le dispositif adverse, l’obliger à reculer. Il devient alors possible de manœuvrer pour avancer, et ainsi tenir un terrain supplémentaire.

La liaison des armes sur mer au XXIe siècle

Au XXIe siècle, une force navale est composée de plusieurs plateformes évoluant dans les airs, sur mer, et sous la mer. Son domaine d’application est multimilieux multichamps (M2MC) : terre, mer, air, cyber, champs électromagnétiques, espace, fonds marins. Ainsi, pour pouvoir tirer le meilleur parti de cet ensemble d’armes et couvrir le périmètre de la conflictualité moderne, la liaison des armes est vitale. Concrètement, ces plateformes sont connectées entre elles via des liaisons radio et des liaisons de données tactiques (L‑16 et L‑22 par exemple). Leurs systèmes de direction de combat partagent en temps réel et de manière automatisée la même situation tactique. Les équipements sont compatibles, les doctrines d’emploi identiques. L’interopérabilité matérielle, tactique, culturelle des unités navales des pays de l’OTAN constitue un avatar de cette liaison des armes mentionnée supra. Les groupes aéronavals sont « au cœur de la liaison des armes en mer, terminologie portée et diffusée par l’amiral Castex(7) ».

Toujours plus de modernité

Les liaisons de données constituent l’une des premières briques relatives à une approche dite « réseaucentrée ». L’étape suivante est le combat collaboratif. Au lieu d’échanger des pistes représentant des mobiles, cette nouvelle étape repose sur le partage des détections primaires des senseurs de chaque unité. Chaque plateforme contribue donc à la piste à hauteur de sa détection radar. La piste représentant le mobile pisté reçoit donc les contributions de chaque plateforme. Cette piste est dite collaborative, et profite de la complémentarité des senseurs. Elle est notamment plus précise, et enrichie. Cette capacité de détection et de partage en temps réel des détections est la Veille coopérative navale (VCN), ou Network cooperation system (NCS). Elle est la première brique du combat collaboratif. Toutes ces données sont stockées au sein d’un réseau partagé en temps réel. Les données sont transmises par communications satellitaires et/ou par communications radio adaptées et chiffrées.

Pour répondre à des scénarios de plus en plus sévères, les plateformes navales doivent combiner leurs atouts en détection et en action, en réseau. Les données constituent les impulsions électriques de ces systèmes nerveux. Après la radio, le radar et les liaisons de données tactiques, la capacité de combat collaboratif constitue une nouvelle étape vers la mise en synergie des plateformes navales. Elle aura un impact substantiel sur les tactiques et doctrines de lutte. Au niveau tactique, ces nouvelles capacités influeront sur les dispositifs de lutte antiaérienne, à savoir la manière d’agencer des navires et des avions pour optimiser la détection, la classification et l’engagement face à une menace. En somme, la capacité de combat collaboratif devrait renforcer la liaison qui existe entre les plateformes.

Expérimentant cette dernière, la Marine nationale a pris la mesure de ce nouvel enjeu pour le combat naval : « la supériorité opérationnelle [passant] par le combat collaboratif(8) », l’officier de cohérence opérationnelle de l’État-major des armées (EMA) précisait en 2022 que les projets de combat collaboratif se développaient brique par brique (9). La route est donc tracée. L’interopérabilité est garantie grâce à des standards technologiques communs, et partagés. Au sein de l’OTAN par exemple, ces standards sont diffusés au sein de STANAG, standardization agreements.

Faire du neuf avec du vieux, même au XXIe siècle

Le conflit en Ukraine donne de nombreuses illustrations du principe de liaison des armes. Un périmètre particulier de cette dernière est souvent pointé : l’usage d’anciennes armes, en combinaison avec des armes nouvelles. Vus par l’amateur comme une aberration, ces modes d’action démontrent néanmoins leur efficacité. Du côté russe par exemple, la mise en synergie de plusieurs plateformes, dont certaines obsolètes, aurait permis une meilleure défense de la base navale de Sébastopol. Prises une à une, ces plateformes ont une plus-­value moyenne, voire faible, mais leur combinaison génère une synergie qui permet d’atteindre un résultat tactique significatif. Ces enseignements amènent les armées occidentales à se doter de nouveau de capacités qui avaient disparu de leurs ordres de bataille : il s’agit en quelque sorte de « faire du neuf avec du vieux » (10).

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