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La liaison des armes

Paru le 21 décembre 2023, un article du site Naval News(11) explique cette liaison des armes : lorsque l’état de la mer est favorable à l’emploi de drones ukrainiens de surface (USV) pour des actions suicides, un avion de reconnaissance de type Be‑12 Mail (datant des années 1950) surveille les abords de la base navale, en coordination avec des patrouilles côtières. À la détection d’USV, plusieurs options sont possibles : destruction au canon par un avion de combat qui décolle pour l’occasion, destruction aux canons et roquettes (anciennes) par un hélicoptère, ou encore par l’utilisation de drones aériens quadrirotor mis en œuvre depuis des (vieux) patrouilleurs/vedettes. En cas d’attaque saturante, tous les moyens peuvent être employés en même temps. Via les télécommunications radio, ce serait le vieux Be‑12 Mail qui assignerait les cibles aux autres effecteurs : il assurerait une détection et une identification rapides, puis la distribution des objectifs. « Toutes les armes sont utiles parce qu’elles se complètent et s’entraident mutuellement(12) », même les plus anciennes. Exemple surprenant de liaison des armes, notamment de la part des marins russes.

Les catalyseurs de la liaison des armes

Nous avons pu entrevoir les moyens techniques qui favorisent la liaison des armes. D’autres forces agissent. Elles sont d’origine humaine : vouloir agir ensemble, s’y entraîner, entretenir ce lien. Le premier de ces catalyseurs est la doctrine. « La doctrine est simplement un code de règles selon lequel nous agissons spontanément et sans ordre, pour l’accomplissement de la mission. Pour avoir de la valeur, la doctrine doit être fondée sur des principes et des méthodes corrects de conduite de la guerre.(13) » La doctrine synthétise donc un savoir-­faire commun de forces militaires, afin de pouvoir agir de concert dans le chaos du combat. La fulgurance et la létalité du combat naval, et plus particulièrement de la menace aérienne, peuvent conduire à ce genre de chaos. Les forces navales doivent donc développer et partager une doctrine commune. Unies par cette force invisible, elles sont capables d’agir, de façon décentralisée s’il le fallait, notamment dans le chaos du combat. « La doctrine constitue des méthodes pour l’action. (14) »

L’entraînement est un autre catalyseur de la liaison des armes. Il est tout aussi puissant et vital, et il est – d’un certain point de vue – gratuit. Sur les touches disponibles, il est donc celle qui est le plus souvent utilisée. Napoléon l’avait compris avec ses camps à Boulogne : une fois constitués, ces corps d’armée (et interarmes : artillerie, infanterie, cavalerie) se sont entraînés pendant de longs mois ensemble. Ainsi, lorsque ces « sept torrents » (15) ont dévalé vers le Rhin, ils étaient liés par une force puissance grâce à leur entraînement commun. La distribution et la concentration spatiales en étaient fortement facilitées. Les succès d’Ulm et d’Austerlitz s’expliquent par le génie de Napoléon, mais également par la liaison des armes qui existait entre les corps de la Grande Armée. L’entraînement continue à tenir une place importante au sein des programmes d’activités : les exercices comme « Polaris », « Mare Aperto » ou encore « Formidable Shield » visent à entraîner les unités navales de différentes nations de l’OTAN pour vérifier leur interopérabilité, mettre en œuvre une doctrine et des tactiques communes, se synchroniser pour unir leurs efforts. Ce faisant, elles sont prêtes ensemble à un éventuel futur combat.

Les entraînements donnant un retour d’expérience, ce dernier doit être formalisé et exploité afin de remettre à jour la doctrine. Les idées ne doivent pas rester dans les cartons, mais être confrontées à la réalité pour être améliorées. C’est à cet effet que l’amiral Vandier, Chef d’état-­major de la Marine (CEMM) de 2020 à 2023, a créé le Centre du combat naval (C2N) à Toulon. On entrevoit ainsi un lien entre deux catalyseurs de la liaison des armes. Il n’est pas le seul.

Le sens du collectif est un troisième catalyseur. Au sein d’une frégate, il prend la dénomination d’esprit d’équipage. Au sein d’un groupe aéronaval ou d’un groupe de surface, il s’agit de l’état d’esprit du « commander » : les commandants d’unités navales doivent connaître l’état d’esprit du chef pour appliquer au mieux ses intentions. Le tout à travers l’immensité de la mer, et possiblement dans le chaos du combat.

Au sein de la composante terrestre, ce sens du collectif est le même, et peut s’exprimer selon un vocabulaire différent. Au niveau du régiment, il s’agit de l’esprit de corps. De la même manière, les commandants de groupements tactiques/bataillons doivent entretenir un lien particulier avec leur commandant de brigade, afin de cerner son état d’esprit et ainsi agir en cohérence avec ses intentions. Pour les commandants de ces équipages ou corps, il convient d’identifier les ressorts qui créeront – en interne – une unité d’action : sentiment d’appartenance, sens de la mission, entraînement…

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