Un acteur du processus de paix ?
Dès la fin des années 1990, la répression des Ouïghours, sujet de politique intérieure pour la Chine, affecte (relativement) les relations avec le monde arabo-musulman. Afin de neutraliser toute velléité de fraterniser, Pékin affirme lutter contre le séparatisme, tout en promouvant une stratégie de développement en dehors de la trajectoire occidentale et des grandes institutions financières internationales. Elle anticipe le parallèle entre l’autodétermination des Palestiniens et la situation dans les territoires périphériques et marginaux chinois, à l’instar des régions autonomes du Xinjiang et du Tibet. Après 2006 et la victoire électorale du Hamas, dans un contexte de tensions entre l’Iran et les États-Unis, la Chine affiche une « bonne distance » avec l’ensemble des acteurs, tout en tissant des liens politiques et économiques croissants, surtout à mesure que la puissance américaine s’embourbe dans les conflits en Afghanistan (2001-2021) et en Irak (2003-2011). Pékin et Téhéran nouent des liens renforcés sur le plan économique, mais également diplomatique, en signant, en mars 2021, un Pacte de coopération stratégique de vingt-cinq ans.
L’image de la Chine va globalement s’améliorer pour l’ensemble des acteurs (étatiques ou non) du Moyen-Orient et celle-ci va progressivement être perçue comme une alternative à l’Occident en général, et en particulier aux États-Unis. Dans le même temps, Pékin intensifie sa présence dans les aspirations de paix du conflit israélo-palestinien, et participe à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) – en janvier 2024, sur les 9 722 Casques bleus déployés dans le sud du « Pays des Cèdres », 414 sont Chinois. De manière générale, la République populaire souhaite s’engager davantage dans la résolution des tensions entre Israël et le Liban, mais aussi entre Israël et la Syrie (années 2000). Enfin, en 2021, l’ANP a appuyé Pékin dans la répression des populations ouïghoures, comme la quasi-totalité des États arabo-musulmans. Cela témoigne non seulement de la proximité diplomatique entre Pékin et Ramallah, mais également de l’image de « puissance juste des opinions et des gouvernements arabes » (5). C’est, pour la Chine, un vecteur diplomatique, dont la cible première est le monde arabo-musulman. Peu à peu, et à la suite de la réconciliation à Pékin entre l’Iran et l’Arabie saoudite en mars 2023, la République populaire apparaît comme une puissance non occidentale médiatrice. Le sommet sino-arabe à Riyad en décembre 2022 donna du lustre à cette dynamique chinoise visant à réduire l’espace stratégique américain au Moyen-Orient.
Si Pékin a su défendre ses intérêts à l’ONU à propos de la répression des Ouïghours, son investissement plus fort dans le processus de paix est l’autre sujet de relations internationales sur lequel les enjeux stratégiques au Moyen-Orient font écho à la rivalité sino-américaine. Pékin fait entendre sa voix pour une solution à deux États. Cette posture tactique et stratégique est à resituer dans le cadre plus général de la politique internationale de la Chine au Moyen-Orient ; à savoir, devenir une puissance extrarégionale faisant contrepoids à la présence américaine (6). Pékin souhaite peser de tout son poids à l’ONU en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, puissance économique majeure possédant le réseau diplomatique le plus important au monde avec 171 ambassades. Depuis la fin des années 2000, à chaque période de montée des tensions, Pékin lance des appels à la retenue et à la reprise des pourparlers, toujours mieux coordonnés et audibles, à la fois par la voix du ministère des Affaires étrangères et par celle de la Commission des affaires étrangères du Comité central du Parti communiste chinois (PCC).
Si le président Xi Jinping a convié plusieurs fois Israéliens et Palestiniens (de tous bords) à Pékin afin de poursuivre des pourparlers de paix et proposer une solution à deux États, cela n’a pas eu d’effet ; pas plus que sa proposition devant la Ligue arabe, en janvier 2016 au Caire, de créer un État palestinien avec Jérusalem comme capitale. La pandémie de Covid-19 a aussi été l’occasion pour Pékin d’asseoir son influence à travers les nouvelles routes de la soie « sanitaires », par le don de vaccins et d’autres matériels médicaux aux Palestiniens de Gaza en 2021 et en 2022. Une façon de montrer sa présence, sa « responsabilité » et de poursuivre son œuvre post-tiermondiste contre l’Occident. Voilà qui est davantage l’illustration de la rivalité avec les États-Unis qu’une démarche spontanée et désintéressée.
Demeure sur le long terme la question de l’implication discrète de la Chine dans l’armement de groupes au Moyen-Orient, le tout dans l’articulation des relations anciennes et structurantes entre Pékin-Téhéran-Damas (extension au Liban avec le Hezbollah) et le Hamas. Après l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, les massacres du 7 octobre 2023 révèlent toujours plus les lignes de fracture du monde contemporain. Pékin recourt au terme « neutralité » pour utiliser le monde non occidental comme levier pour sa politique internationale.
La fin des intentions cachées ?
Au 1er juin 2024, si la République populaire s’est opposée à des « actes portant atteinte à des civils », elle n’a pas officiellement condamné les attaques du 7 octobre. Dès le début, les médias chinois ont développé une hypertrophie de la guerre et des destructions à Gaza, sans évoquer les pogroms de juifs israéliens. Si le ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, a appelé, le 14 octobre 2023, à « l’arrêt des combats le plus tôt possible » et au respect du « droit humanitaire international », les termes « terrorisme » et « Hamas » sont méticuleusement évités. Ils n’ont depuis lors pas été mentionnés une seule fois. La diplomatie israélienne a de son côté exprimé sa « profonde déception » devant les déclarations chinoises, déplorant qu’il n’y ait « pas eu de condamnation claire et sans équivoque du terrible massacre commis par l’organisation terroriste Hamas » (7). Zhai Jun, envoyé spécial chinois pour le Moyen-Orient, a condamné « les actions qui nuisent à des civils innocents » et s’est contenté d’exprimer sa « sympathie aux familles endeuillées ».