La guerre en Ukraine arrive dans une phase où l’attrition des troupes devient un facteur clé. Recruter des soldats constitue un défi pour la Russie et pour l’Ukraine, avec la tentation d’accroître le périmètre de la conscription, bien qu’elle soit impopulaire des deux côtés. Pour en éviter le coût politique, le recours à des incitations financières se développe, notamment quant au risque de décès ou d’invalidité, afin d’attirer des engagés volontaires. Comment calculer alors le coût de la vie ? Cela a-t-il un sens ?
La guerre en Ukraine est l’un des conflits les plus meurtriers sur les champs de bataille depuis des décennies. La capacité à régénérer les effectifs devient un enjeu clé puisque la guerre va certainement entrer dans une troisième année. Le nombre réel de tués et de blessés est entouré de secret tant du côté russe que du côté ukrainien. Les chiffres affichés sont souvent surestimés ou sous-estimés pour des objectifs de propagande. Il n’en reste pas moins que la guerre en Ukraine est très meurtrière.
Volodymyr Zelensky a ainsi déclaré en février 2024 que 31 000 soldats ukrainiens avaient été tués. Le Wall Street Journal a proposé, quant à lui, une estimation de 80 000 tués et de 400 000 blessés du côté ukrainien. Les pertes russes seraient plus élevées. L’état-major ukrainien estime que plus de 730 000 soldats russes ont été blessés ou tués, avec certainement un ratio de un à trois. Les estimations occidentales sont plus conservatrices, de l’ordre de 615 000 soldats concernés, dont certainement 115 000 tués.
Au-delà de la bataille des chiffres, qui fait partie de la guerre psychologique, se pose la question de la valeur qu’un pays donne à la vie de ses soldats. L’enjeu est de taille quand la Russie ou l’Ukraine doivent recruter 25 000 à 30 000 nouveaux soldats par mois uniquement pour compenser les pertes. La conscription est une réponse, mais elle peut aller de pair avec un taux élevé de désertion, voire de suicides, et avec une contestation politique croissante. Le recrutement de volontaires constitue une approche complémentaire, comme le montre notamment l’identification de mercenaires étrangers du côté russe.
Afin d’attirer des recrues, il est important d’utiliser des incitations financières. La Russie a multiplié les primes et bonifications, tout comme les États-Unis avaient pu le faire pendant leurs engagements en Irak et en Afghanistan. Outre un salaire minimum garanti près de trois fois supérieur à celui du secteur civil (210 000 roubles contre 75 000), les primes à l’embauche se sont multipliées au fur et à mesure que la guerre se prolongeait.
Pour attirer encore davantage de volontaires, Vladimir Poutine a même décidé, en juillet 2024, de doubler la solde mensuelle des contractuels, soit dix fois plus que le salaire moyen. S’y ajoute une prime forfaitaire de 1,2 million de roubles versée à l’engagement… Cependant, le risque d’être blessé gravement ou tué constitue la principale désincitation à l’engagement. Pour surmonter cette difficulté, la Russie a mis en place un système d’indemnisation important, ce qui revient à valoriser le prix de la vie.
Donner un prix à la vie est une question sensible, car faire ce calcul revient à soulever des questions morales. Par exemple, en Irlande du Nord, l’État britannique avait dédommagé une famille pour le décès d’un proche avec la somme ridicule de 44,62 livres sterling à la fin de la guerre civile (l’équivalent de 403 livres d’aujourd’hui). Pourtant, calculer le prix de la vie est le moyen pour indemniser une personne qui serait gravement blessée, ou ses proches en cas de décès.
L’économiste russe Vladislav Inozemtsev a calculé que la famille d’un soldat de 35 ans ayant combattu un an recevrait 14,5 millions de roubles (130 000 euros) sans compter d’autres primes et compensations comme des postes réservés dans l’administration pour les veuves des combattants. Cela représente en moyenne plus que ce qu’il aurait gagné au cours de toute sa vie dans certaines régions de Russie.

L’ampleur de ces incitations est telle que certains Russes préfèrent prendre le risque de se sacrifier pour donner un avenir à leur famille. Vladislav Inozemtsev n’hésite pas à parler de la mise en place d’une véritable « économie de la mort » (deathonomics) par le pouvoir de Moscou pour éviter une mobilisation générale. Les sommes en jeu sont importantes pour la Russie et atteindraient déjà 8 % du budget fédéral sur l’année fiscale qui s’est terminée en juin 2024.