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Quelle stratégie d’équilibre du Viêt Nam dans le contexte de l’Indo-Pacifique ?

Le renforcement sécuritaire vietnamien

Comme de coutume pour un nouveau dirigeant vietnamien, To Lam s’est rendu en Chine pour sa première visite à l’étranger, deux semaines après sa nomination au poste de secrétaire général (5). Lors d’un déplacement en aout 2024, 14 accords ont été signés entre les deux États. To Lam a répété que les relations avec la Chine sont une « priorité absolue » pour le Viêt Nam. Hanoï soutient « l’initiative pour une civilisation mondiale » de Xi Jinping, affirmant que ces programmes visent à protéger les intérêts communs de toute l’humanité, à promouvoir la paix et à créer un monde meilleur (6). Ses élites dirigeantes savent qu’un Viêt Nam économiquement fort, c’est un PCV puissant et par là même, une assurance de voir le régime perdurer. Malgré ses contentieux maritimes avec Pékin en mer de Chine méridionale, Hanoï estime que la Chine va jouer un rôle croissant et que les États-Unis n’ont plus guère de chance de les concurrencer dans la région. À l’occasion de la conférence du forum économique mondial organisé par les Chinois à Dalian en juin 2024, le Premier ministre Pham Minh Chinh, un homme du renseignement réputé pour sa proximité avec les dirigeants chinois, a souligné « le rôle important de la Chine dans le développement du monde ». Il s’est engagé, au nom de son gouvernement, à travailler avec Pékin pour construire une « communauté de destin partagé ».

Dans le contexte de la montée en puissance de la rivalité sino-américaine en Asie, et d’une année 2025 riche en anniversaires patriotiques pour Hanoï (50 ans de la prise de Saïgon le 30 avril 1975, 80 ans de la révolution d’aout 1945 et de la déclaration d’indépendance du Viêt Nam le 2 septembre 1945), le Viêt Nam poursuit le renforcement sécuritaire de son appareil d’État (7). Parallèlement, To Lam renforce son pouvoir en recourant comme son prédécesseur à la grande campagne de lutte anticorruption lancée par le Parti sous le nom de « Fournaise ardente ». Ces dernières années, plusieurs centaines de cadres de la formation et de hauts fonctionnaires ont été destitués, et souvent mis en prison, dans le cadre de cette opération lancée initialement par Nguyen Phu Trong. Au Viêt Nam, la corruption est omniprésente et généralisée, en raison de la faiblesse de l’infrastructure juridique, de l’imprévisibilité financière et des décisions bureaucratiques largement conflictuelles. Mais plus concrètement, la plupart des personnes arrêtées lors de ces campagnes très médiatisées le sont d’abord pour être des opposants au secrétaire général du PCV. Lorsqu’à l’automne 2023, To Lam, convaincu qu’il succéderait prochainement à Nguyen Phu Trong, s’empara de la gestion de ces campagnes, il récupérait l’outil qui lui manquait pour compléter son ascension finale à la tête du régime. Au même moment, l’Assemblée nationale adoptait une loi sur les forces de protection de l’administration et de sécurité au niveau local en réponse à l’attaque de deux postes de police en juin par des Montagnards sur les Hauts-plateaux (neuf policiers tués). Ce nouveau texte validait l’augmentation des effectifs de la Sécurité publique dans les provinces du pays : près de 300 000 agents de police postés localement et une hausse de budget sécurité avoisinant les 56 milliards de dongs [2,2 millions d’euros] par circonscription. Le ministère de la Sécurité publique, désormais confié au bras droit de To Lam, le général de police Luong Tam Quang, confirme son statut d’administration la plus influente de l’appareil d’État, avec près de deux millions d’agents répartis sur l’ensemble du territoire. Sur la scène internationale comme à l’intérieur du pays, les stratégies d’équilibre du Viêt Nam continuent de s’élaborer autour de l’autorité de son Parti communiste, d’un strict contrôle de la population par sa police et d’un rapprochement renforcé avec la Chine de Xi Jinping.

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Notes

(1) Benoît de Tréglodé, « Viêt Nam – Chine : cybersécurité et contrôle social », RDN, no 852, été 2022, p. 116-120.

(2) À la différence de 72 autres pays, dont le Royaume-Uni, le Canada, le Mexique, l’Australie, l’Inde, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande, qui ont reconnu le statut d’économie de marché du Viêt Nam.

(3) Nguyen Hai Hong, « Why Biden should welcome Vietnam’s To Lam to the White House », The Diplomat, 11 septembre 2024.

(4) Entretien avec l’auteur, Hanoï, décembre 2023.

(5) Laura Zhou, « China relations ‘a top priority’, Vietnamese leader To Lam tells new Beijing envoy », South China Morning Post, 18 septembre 2024.

(6) Alexandre Antonio, « Le programme de Pékin pour arsenaliser le Sud global », Le Grand Continent, 6 mai 2023.

(7) Benoit de Tréglodé, « Vietnam, un tournant sécuritaire pour la nouvelle équipe dirigeante », Institut Montaigne, 7 avril 2021.

Article paru dans la revue Diplomatie n°131, « L’Asie oubliée au coeur des jeux de puissance », Janvier-Février 2025.
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