Les États-Unis jouent un rôle important – sinon central – dans l’architecture stratégique de l’Indo-Pacifique. Tokyo pense-t‑il possible un « lâchage » américain ou craint-il l’imposition d’une « taxe de sécurité » pour le positionnement de forces américaines sur place ?
Le Japon s’interroge sur le degré d’engagement des États-Unis en Asie à ses côtés, tout en rappelant que l’alliance de défense et de sécurité entre Tokyo et Washington, qui date de 1960, constitue toujours la « pierre angulaire » de la sécurité en Asie. Le retour au pouvoir de Donald Trump, son imprévisibilité et son goût de la transaction inquiètent à ce titre, le Japon n’étant pas en mesure de combler le vide que laisserait un éventuel retrait américain. Toutefois, Tokyo considère que les États-Unis ne pourraient se permettre d’abandonner l’Asie et leurs alliés en cas de conflit avec la Chine. L’accent mis par une partie de l’équipe Trump sur l’Asie et la menace chinoise, aux dépens de l’Europe et de l’Ukraine, rassure également au Japon. En revanche, celui-ci s’attend à devoir payer, et il sera prêt à le faire, sacrifiant sans doute une part importante de l’augmentation de son budget de défense pour préserver l’assurance américaine, seule garante de la stabilité stratégique en Asie.
La Chine poursuit sa montée en puissance capacitaire, de même qu’elle travaille sur tout le spectre stratégique, des démonstrations balistico-nucléaires aux actions subversives. Quel est votre sentiment – plutôt optimiste ou plutôt pessimiste – quant à l’évolution du contexte stratégique en Indo-Pacifique ?
La Chine menace, et multiplie les déclarations et les gesticulations, justement pour compenser le fait qu’une offensive contre Taïwan serait très dangereuse pour un dirigeant dont le seul objectif, comme celui de la Corée du Nord, est de se maintenir au pouvoir. Mais la multiplication des tensions, comme des exercices nombreux autour de Taïwan, destinés à compenser une certaine impuissance, dans un contexte de ralentissement économique, peut aussi aboutir à un incident non contrôlé menant à l’escalade. Une crise grave dans la zone ne peut donc être totalement exclue. Mais face à la Chine, et à des États-Unis moins engagés, le Japon peut aussi choisir de défendre ses propres intérêts, y compris économiques, en recherchant une politique d’apaisement – relatif – avec Pékin.
Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 22 décembre 2024.
Légende de la photo en première page : Le porte-hélicoptères – et futur porte-aéronefs – Izumo et le destroyer Takanami avec la frégate de surveillance Prairial, au cours d’un exercice à proximité d’Hawaii en juin 2022. (© MoD Japan)