Alors que le pays a changé de Premier ministre en 2024 avec la nomination de Lawrence Wong — le quatrième à occuper ce poste depuis 1965 —, il est peu probable que la politique étrangère de la cité-État change, tant la voie privilégiée semble être la continuité et la stabilité, pour maintenir son rôle de pont connecteur entre l’Asie et l’Occident, entre les États-Unis et la Chine.
Singapour est un micro-État d’Asie du Sud-Est de 719 km², peuplé de 6 millions d’habitants. Situé quasiment sur l’équateur à l’extrémité méridionale de la péninsule malaise et du détroit de Malacca, cet ancien territoire britannique s’est séparé de la Fédération de Malaisie en 1965. Depuis cette date, la cité-État a connu une croissance économique exponentielle. Son produit intérieur brut (PIB) a été multiplié par 500 en 60 ans, passant de la condition de pays du tiers-monde à celui de l’un des plus prospères, avec le 5e PIB par habitant au monde en 2024.
Carrefour stratégique et commercial incontournable en Asie, Singapour a largement bénéficié et été un acteur clé de la croissance régionale depuis la seconde moitié du XXe siècle. Le système politique de cette République, une démocratie parlementaire, multiraciale (1) et méritocratique, est parfois qualifié d’autoritaire. Singapour est pourtant souvent érigé en exemple pour son extraordinaire réussite économique, son harmonie sociale, sa qualité de vie (sécurité, santé, espaces verts) et son environnement favorable aux affaires.
En matière de politique internationale, la Cité-État est étroitement liée aux deux superpuissances américaine et chinoise. Pourtant, le pays reste profondément attaché à son indépendance et revendique sa neutralité, voire son multialignement, en se positionnant comme un médiateur régional incontournable tout en promouvant le régionalisme de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), dont il est l’un des États fondateurs.
Xīn jiā pō (新加坡) (2) la Chinoise
Cité fondée de toutes pièces par les Britanniques, la population de Singapour est néanmoins devenue majoritairement chinoise dès le début du XIXe siècle, avec l’afflux de commerçants et de coolies. Les Singapouriens d’origine chinoise constituent aujourd’hui près de 75 % de la population. Ennemi déclaré du communisme en Asie, le pays dirigé par Lee Kuan Yew sera le dernier de l’ASEAN à reconnaitre diplomatiquement la République populaire de Chine en 1990. Pourtant, le père fondateur de la cité-État a vite anticipé l’émergence de Pékin dans les relations internationales. Dès 1969, Singapour adopte les caractères simplifiés, ceux de la Chine continentale, contrairement à Taïwan et Hong Kong qui utilisent encore les caractères traditionnels. Dix ans plus tard est lancée la « Speak Mandarin Campaign », visant à marginaliser les dialectes largement utilisés par la population (Hokkien, Teochew, Cantonais, Hakka, Hainanais) et à généraliser le Putonghua (le mandarin standardisé par la RPC). Les dignitaires chinois ne s’y trompent pas et considèrent Singapour comme un État chinois, mettant l’accent sur le lien culturel entre les deux pays (théorie de la « quatrième Chine », après Pékin, Hong Kong et Taïwan).
Économiquement, Singapour est très proche de la Chine, son principal partenaire commercial, devant les États-Unis et la Malaisie. En 2008, un accord de libre-échange est signé et Singapour participe au sommet Belt Road Initiative (BRI, Routes de la soie) en 2019. Les investisseurs singapouriens ont contribué et bénéficié du « miracle économique » chinois et pilotent largement les investissements estampillés BRI en ASEAN. Depuis 2020, Temasek, le puissant fonds souverain singapourien, compte plus d’investissements en Chine qu’à Singapour.
Politiquement, une certaine affinité entre les deux systèmes est parfois soulignée, notamment à travers la promotion de valeurs proprement asiatiques influencées par le confucianisme, les relations amicales entre les dirigeants, depuis Lee Kuan Yew et Deng Xiaoping, ainsi que le concept géoculturel de Nanyang (南洋), qui unifierait la péninsule sud-est-asiatique sous une influence culturelle chinoise. On retrouve cette référence dans le nom de l’une des principales universités singapouriennes (Nanyang Technological University).
Les liens sino-singapouriens en matière de défense sont plus complexes, marqués par un incident en 2016, quand neuf véhicules militaires singapouriens revenant d’un entrainement à Taïwan sont bloqués à Hong Kong par les autorités chinoises. Le message a bien été reçu par les autorités singapouriennes, qui limitent désormais leurs activités sur l’ile rebelle. L’accord de coopération sino-singapourien en matière de sécurité signé en 2008 a été renouvelé et renforcé en 2019 et 2022. Des exercices militaires conjoints ont lieu depuis 2009, et des manœuvres maritimes sont organisées annuellement. Une ligne téléphonique entre les deux capitales, dédiée à la défense, a même été établie en 2023. Cependant, ces relations restent modestes, car derrière les bonnes intentions de façade, Singapour reste en matière de défense beaucoup plus proche des États-Unis.
Une place forte du dispositif américain en Indo-Pacifique
Ancienne base majeure de l’Empire colonial britannique, la cité-État a maintenu un lien avec son ancien colonisateur à travers les Five Power Defence Arrangements signés en 1971 (3), et c’est vers les États-Unis que les dirigeants singapouriens se sont principalement tournés pour assurer leur sécurité. Dès 1990, un mémorandum d’entente est signé entre le vice-président Dan Quayle et Lee Kuan Yew, facilitant l’accès des forces américaines aux bases aériennes et navales de Singapour.