Magazine DSI HS

Malte dans la Deuxième Guerre mondiale : la défense aérienne d’un porte-avions incoulable

Mais ces renforts restaient trop modestes pour que Malte pût remplir ses trois missions : assurer sa propre défense aérienne, protéger les convois transitant de Gibraltar à Alexandrie et attaquer les convois italiens en route pour la Libye. Il fallait donc envoyer de nouveaux avions sur l’île. La difficulté était que les chasseurs britanniques n’avaient pas assez d’autonomie pour voler de Gibraltar à Malte et ne pouvaient plus faire escale en Tunisie depuis la chute de la France. D’où le recours à des porte-­avions qui, partis de Gibraltar, s’avançaient vers l’est jusqu’au point où leurs appareils pouvaient décoller pour Malte, procédé baptisé « Club Run » (3). Douze chasseurs Hurricane arrivèrent ainsi sur l’île le 2 août 1940, mais le deuxième envoi, le 17 novembre, se finit dramatiquement : ralentis par des vents contraires, huit autres chasseurs sur 12 tombèrent à la mer, en panne de carburant.

Entre-temps, fin août-début septembre 1940, la cohérence du dispositif britannique avait été vérifiée par le passage d’ouest en est d’un convoi comprenant notamment des renforts pour l’escadre d’Alexandrie – dont le porte-­avions Illustrious – et des canons 
antiaériens pour Malte. Le 6 septembre, par ailleurs, trois bombardiers légers partis du Royaume-­Uni s’étaient posés sur l’île. Ils jouèrent un rôle important dans les vols de reconnaissance qui permirent aux avions de l’Illustrious d’attaquer la base navale de Tarente dans la nuit du 11 au 12 novembre 1940. Ce raid coûta trois cuirassés à la Regia Marina, qui dut ensuite se replier sur Naples. Les Britanniques en profitèrent pour continuer à envoyer des pièces antiaériennes à Malte, où arrivèrent aussi trois nouveaux radars fin 1940.

Tout cela n’avait pas empêché l’armée italienne de Libye de lancer son offensive sur l’Égypte en septembre 1940 : Malte était trop occupée à survivre pour pouvoir intercepter les convois qui la ravitaillaient. Mais cette armée, sous-­équipée, dut se replier en décembre devant les forces britanniques. En octobre-novembre, d’autre part, une offensive italienne avait échoué en Grèce. La Regia Aeronautica avait dû appuyer ces opérations terrestres, ce qui l’avait obligée à relâcher la pression sur Malte, où elle avait d’ailleurs perdu beaucoup d’appareils. Décidément, l’année 1940 se terminait bien mal pour l’Italie. Mais l’Allemagne se préparait à entrer en lice.

De la crise au sursaut

Au début de la guerre, Hitler ne s’était guère intéressé à la Méditerranée. Mais les déboires de ses alliés italiens ne pouvaient le laisser indifférent, car si cette mer restait aux mains des Britanniques, ceux-ci pourraient se projeter en Grèce, donc menacer le flanc sud des armées allemandes, qui s’apprêtaient à attaquer l’URSS. C’est pourquoi le Führer décida en décembre 1940 l’envoi en Sicile d’une grande unité aérienne, le X. Fliegerkorps, fort de 255 appareils, dont 210 bombardiers en piqué Stuka et bombardiers moyens.

Dès le début de janvier 1941, l’aviation allemande matraqua Malte. Le 10 en outre, une nuée de Stuka attaqua l’Illustrious, qui protégeait alors des convois à destination de la Grèce. Atteint par six bombes, le porte-­avions réussit à gagner Malte, où l’on entreprit des réparations d’urgence. Pendant 12 jours, les Stuka s’acharnèrent sur le chantier naval de La Valette : l’Illustrious fut encore touché deux fois, et eût à coup sûr été anéanti sans la défense fournie par les Hurricane et l’artillerie antiaérienne. Enfin, le 23 janvier, il parvint à appareiller de Malte et rallia Alexandrie le surlendemain.

Pendant ce temps, l’armée britannique d’Égypte avait conquis la Cyrénaïque. Mais Malte, bombardée sans relâche, ne pouvait plus protéger les convois qui ravitaillaient les Tommies. A contrario, l’Afrika Korps de Rommel débarqua en Libye en février 1941 et reprit la Cyrénaïque début avril. En avril-mai, d’autre part, l’Allemagne envahit les Balkans et la Crète. Ces combats s’accompagnèrent de durs engagements navals : l’escadre d’Alexandrie y perdit trois croiseurs et six destroyers, plus 12 navires très endommagés.

Depuis la Cyrénaïque et la Crète, les avions allemands menaçaient plus que jamais les communications entre Malte et Alexandrie, d’ailleurs compromises par l’affaiblissement de l’escadre d’Alexandrie ; en outre, les Hurricane qui défendaient le ciel maltais s’avéraient inférieurs aux Messerschmitt Bf 109. L’étau se resserrait donc sur Malte, qui ne pouvait presque plus attaquer les convois italiens dont dépendait Rommel. Or, si ce dernier réussissait à s’emparer du canal de Suez, la survie de l’Empire britannique serait compromise… Conclusion : il fallait à tout prix renforcer la défense aérienne de Malte. On en revint donc aux Club Runs : d’avril à novembre 1941, 12 envois permirent de baser à Malte 317 Hurricane et 19 torpilleurs-­bombardiers. Certes, les deux tiers des Hurricane rallièrent ultérieurement l’Égypte ; certes aussi, l’aviation ennemie abattit ou détruisit au sol une partie de ceux qui restèrent dans l’île ; mais cette dernière était incontestablement mieux défendue, d’autant que la menace diminuait. En effet, l’offensive contre l’URSS obligea l’Allemagne à retirer le X. Fliegerkorps de Sicile en juin 1941 ; le bombardement de Malte redevint donc l’affaire des Italiens. Mieux encore : le potentiel offensif de Malte s’accrut sensiblement avec l’entrée en service de radars aéroportés permettant d’attaquer de nuit les convois italiens et avec l’arrivée de bombardiers légers et moyens. La flottille sous-­marine de Malte fut elle aussi renforcée, jusqu’à compter une dizaine d’unités. Enfin, des croiseurs légers et des destroyers rallièrent l’île pour participer à la lutte contre les convois de l’Axe.

0
Votre panier