En fait, 2023 avait déjà démarré au ralenti pour l’économie israélienne en raison d’une réforme judiciaire lancée par la coalition gouvernementale dirigée par Benyamin Netanyahou (depuis décembre 2022) et qui ne parvenait pas à convaincre de son opportunité de nombreux Israéliens et observateurs étrangers. La guerre déclenchée le 7 octobre n’aura fait qu’amplifier le ralentissement économique qui avait commencé à se faire ressentir durant les mois précédents ; sur toute l’année 2023, la croissance du PIB s’est établie à 1,8 %, soit une contraction du PIB par habitant de -0,1 %.
Évolution en dents de scie
Sur l’ensemble de 2024, le PIB d’Israël a augmenté de 1 %, soit un recul de 0,3 % du PIB par habitant, compte tenu de la croissance démographique de l’an passé (+1,3 %). L’activité économique ne s’est pas déroulée de façon uniforme tout au long de l’année ; elle a connu une évolution trimestrielle en dents de scie, avec des hauts et des bas au gré des conflits, risques et incertitudes. Après la forte reprise du premier trimestre 2024 (+15,6 %), le taux de croissance du PIB a chuté au second trimestre (-0,8 %) pour rebondir au troisième trimestre (+5,3 %) et connaitre une croissance modérée au dernier trimestre 2024 (+2,5 %) en glissement annuel (3).
La croissance 2024 a été soutenue par la forte augmentation des dépenses publiques qui ont bondi de +13,7 % par rapport à 2023 : l’État a davantage accru ses dépenses de défense (+43,3 %) que ses dépenses civiles (+4,2 %). Les moteurs traditionnels de l’économie israélienne se sont carrément éteints en 2024 : les exportations de biens et services ont reculé de 5,6 % par rapport à 2023, notamment les exportations de diamants (-20,3 %) et de hautes technologies (-36,8 %). Quant aux investissements en capital fixe, ils ont baissé de 5,9 % en 2024, surtout dans la construction (-17,5 %) et l’industrie (-1,6 %).
Si le pire a pu être évité en 2024, c’est aussi grâce à la consommation privée qui a tenu bon : si la guerre a pesé sur le moral des consommateurs, ils se sont vite ressaisis. Après une chute au premier trimestre (-3,8 % par tête en rythme annuel), la consommation des ménages est repartie lentement malgré la confiance en berne d’une majorité d’Israéliens. Sur toute l’année 2024, les ménages ont relevé leur consommation de 2,6 % par tête, davantage en biens durables (+7,8 %) qu’en dépenses courantes (+0,7 %).
Libéralisme de guerre
La stratégie adoptée par le gouvernement israélien pour faire face aux répercussions économiques de la guerre est restée fidèle à son idéologie libérale et conservatrice. Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui gère les caisses de l’État depuis deux ans et demi, applique un programme économique néolibéral, tout en laissant une large place aux principes religieux de l’orthodoxie juive. En définitive, la guerre à Gaza et au Liban n’a pas ralenti le glissement vers la droite de l’économie israélienne ; pour financer des dépenses militaires, le gouvernement israélien est fidèle à son idéologie ultralibérale de dépenser le moins d’argent public possible. Alors que dès octobre 2023, les recettes fiscales ont reculé pour cause de récession, le grand argentier est resté réticent à des hausses d’impôt sur le revenu, préférant réduire les dépenses sociales : l’éducation, la santé et les transports publics n’ont pas échappé à de sévères coupes budgétaires.
Naturellement, la guerre a engendré de lourds couts pour l’économie : après 18 mois de combats, et sous l’hypothèse d’une fin de guerre au premier semestre 2025, la Banque d’Israël a estimé le cout global de la guerre à 250 milliards de shekels ou 65 milliards d’euros, l’équivalent de 13 % du PIB annuel israélien, un cout qui se partage à parts quasi-égales entre budget militaire et dépenses civiles d’indemnisations. Face à des recettes fiscales insuffisantes, les dépenses budgétaires sont restées soutenues depuis 2023 et pas seulement à cause de la guerre : la stabilité gouvernementale est garantie par d’importantes subventions aux partis ultraorthodoxes et sionistes religieux, ainsi que par de fortes dépenses de fonctionnement qui entretiennent un gouvernement pléthorique (33 ministres et 5 vice-ministres).
Avec l’évolution des conflits tout au long de 2024 et l’augmentation rapide des dépenses militaires, Bezalel Smotrich s’est résolu à relever la pression fiscale mais en prenant des mesures de nature libérale, c’est-à-dire en faveur des plus riches et au détriment des plus modestes. En 2025, il a choisi de ne pas relever l’impôt sur le revenu du travail, alors que les taux d’imposition en Israël sont parmi les plus bas des pays de l’OCDE (4). En revanche, les impôts indirects et tarifs publics ont été fortement alourdis sur le consommateur : le taux standard de la TVA a été relevé de 17 à 18 %, la taxe d’habitation s’est accrue de 5,3 %, le ticket de transports en commun a connu un bond de 33 %, les tarifs de l’électricité ont augmenté de 3,8 %.
Les retombées d’une politique budgétaire qui est devenue expansionniste dans le courant 2024 ne se sont pas fait attendre : les comptes publics ont basculé d’un excédent budgétaire de 0,4 % du PIB en 2022, à un déficit de 4,1 % du PIB en 2023 et 6,9 % en 2024. Quant à la dette extérieure, elle passera de 60 % du PIB en 2022 à 62 % en 2023 et 69 % en 2024. Les risques de guerre et les incertitudes sur les capacités de l’économie à se redresser ont conduit chacune des trois principales agences de notation à revoir à la baisse l’évaluation de la dette publique tout au long de 2024 : Moody’s a abaissé sa note de crédit d’Israël à deux reprises (février et septembre) comme Standard & Poor’s (avril et octobre) puis Fitch (aout). Sous l’effet d’un début de désinflation et de la stabilité de la monnaie, la Banque d’Israël avait abaissé son taux d’intérêt directeur de 4,75 % à 4,5 % en janvier 2024. Les contraintes de l’offre ont ensuite contribué à l’accélération de l’inflation qui est passée d’un rythme annuel de 2,5 % à 3,5 % entre février et novembre 2024 puis à 3,8 % en janvier 2025, obligeant la Banque centrale à laisser son taux d’intérêt inchangé à 4,5 % depuis un an et demi (5).
Paradoxalement, la situation de guerre n’a pas interrompu, ni même ralenti, le processus de privatisation des services publics lancé en Israël il y a quelques années. En mai 2024, le gouvernement israélien a finalisé la privatisation de la Poste en la cédant au groupe Milgam, propriété de la famille Weil qui est à la tête d’un important empire financier dans le pays. Au milieu de l’été 2024, ce fut au tour du marché de l’électricité de s’ouvrir à la concurrence, faisant perdre à la Compagnie nationale d’électricité le monopole de la distribution. Début 2025, la privatisation se poursuit avec le dernier port public israélien d’Ashdod qui sera cédé à un investisseur étranger.