Tandis que la Chine a désormais classé la question hydrique comme un enjeu de sécurité nationale, elle mise également sur le potentiel hydroélectrique de ses fleuves, non sans conséquences pour les pays voisins, avec, en première ligne, l’Inde. Sommes-nous à l’aune de tensions hydro-militaires entre les deux pays ?
Pour les autorités de Pékin, l’été 2022 a brutalement mis fin au sentiment de sécurité hydrique, obligeant un retour certain au principe de réalité. La Chine a en effet été confrontée à sa pire sécheresse enregistrée depuis soixante ans (1). Cette situation a affecté la moitié du territoire chinois, et en particulier une large bande s’étendant de la partie sud de la région autonome du Tibet jusqu’aux régions côtières de l’est, véritable poumon économique du pays.
Ce tracé a principalement suivi le Yangtsé, ou fleuve Bleu, considéré comme l’artère fémorale de l’alimentation en eau de la Chine. Entre aout et septembre 2022, le fleuve était en effet à 50 % de son débit moyen des cinq dernières années.
« Nan Shui Bei Diao », les « Eaux du Sud coulent au Nord »
Sur fond d’impacts structurels liés au changement climatique, les situations d’étiage que le fleuve Yangtsé rencontre (soit le niveau moyen le plus bas ou le débit minimal d’un cours d’eau) inquiètent au plus haut niveau, car il est la pièce maitresse du Projet d’adduction d’eau du Sud vers le Nord (PAESN) — Nan Shui Bei Diao (les « Eaux du Sud coulent au Nord ») — qui permet de dévier une partie de son débit vers le Nord de la Chine, très peuplé, aux ressources en eau rares et surexploitées.
Prouesse de l’ingénierie chinoise achevée en décembre 2014, la route centrale, également appelée le Grand Aqueduc, permet d’alimenter Pékin et Tianjin en transportant de l’eau brute sur 1 200 kilomètres, en traversant les provinces du Henan et du Hebei. La route la plus à l’est s’appuie quant à elle sur le tracé du Grand Canal, construit entre Hangzhou et Pékin il y a plus de 2 500 ans.
Le PAESN, avec ses deux dérivations, est une réalisation titanesque, estimée à près de 79 milliards de dollars, soit deux fois le cout du barrage des Trois Gorges, qui a rendu possibles les paroles prononcées par Mao Zedong dans les années 1950 : « L’eau du Sud est abondante, celle du Nord est rare. Dans la mesure du possible, il serait bon d’emprunter de l’eau au Sud et de la conduire au Nord (2). » Cette réalisation hors norme, tant en termes de travaux que de capacités de pompage et d’empreinte énergétique, a déjà permis de transférer d’immenses volumes d’eau vers la partie septentrionale de la Chine. Selon l’Autorité de l’eau de Pékin, il est question de 9,3 milliards de mètres cubes d’eau déjà fournis à Pékin depuis sa mise en exploitation (3). Mais la Chine va-t-elle arrêter là ses ambitions d’exploitation du débit de ses fleuves, prennant leurs sources sur les contreforts tibétains, comme c’est le cas du fleuve Jaune et du fleuve Bleu ? Pas si sûr, quand on sait que la ressource en eau est désormais perçue comme un enjeu de sécurité nationale pour la Chine du XXIe siècle.
Au sein des plus hautes instances de l’État, le président Hu Jintao, ingénieur hydraulicien diplômé de la prestigieuse université de Tsinghua, avait initié ce mouvement de réflexion, accompagné de grands programmes d’investissement pour la gestion de l’eau. La Commission militaire centrale du Parti communiste chinois, dont Xi Jinping fut le président avant de succéder à Hu Jintao à la magistrature suprême, s’était elle-même penchée sur le sujet. En mai 2008, un colloque, intitulé « Water security: China and the world », organisé à Pékin par le China International Institute for Strategic Studies (CIISS), l’un des think tanks de l’Armée populaire de libération (APL), était également l’illustration de l’intérêt des armées chinoises pour la vulnérabilité stratégique que la ressource en eau soumet à la Chine.
Politique hydrique vue par Xi Jinping
Élu président de la République populaire de Chine en 2013, Xi Jinping conservera cette ligne politique en faisant adopter dans son pays le slogan « Les eaux claires et les montagnes vertes ont la même valeur que l’or et les montagnes d’argent » [formulé dans un discours de 2005 alors qu’il était secrétaire du PCC au Zhejiang]. Alors que ces positions sont plus que louables et fort justifiées, en mettant l’eau au cœur des enjeux stratégiques nationaux, elles inquiètent cependant les voisins de la Chine, au premier rang desquels figure l’Inde.