Le bellicisme assumé de la Russie et les nouvelles incertitudes qui pèsent sur les formes de l’engagement futur des États-Unis en Europe placent les alliés européens dans la perspective, esquissée par les réunions au sommet de Paris et de Londres en février et en mars de cette année, de devoir assumer une responsabilité collective beaucoup plus grande pour leur sécurité. Même si le pourtour stratégique de cette situation nouvelle reste encore à préciser, il est possible, d’ores et déjà, d’en esquisser les conséquences opérationnelles pour les armées françaises, à court et à moyen terme, aussi bien sur le plan des capacités et des structures de forces que sur celui des coopérations bilatérales et multilatérales.
Depuis le milieu des années 1960, la politique de sécurité et la posture de défense de la France reposent sur trois piliers complémentaires et durables :
• une capacité nucléaire, conventionnelle et spatiale indépendante ;
• l’appartenance à l’Alliance atlantique ;
• une aspiration à une plus grande autonomie stratégique de l’Europe.
Dans ce schéma, la position géographique de la France en Europe, avec deux façades maritimes, et son statut de puissance nucléaire lui avaient permis d’adopter une posture stratégique en retrait du dispositif de l’OTAN et de réserve opérationnelle de l’Alliance. La réunification de l’Allemagne en 1990, l’élargissement de l’Union européenne et une présence militaire américaine réduite ont rendu cette posture en retrait caduque et motivé son aménagement. Celui-ci s’est traduit, notamment, par la réintégration de la structure de commandement de l’OTAN en 2009 et la mise à la disposition de l’Alliance d’états – majors de forces aérien, terrestre et naval de haute disponibilité. Par la suite, le besoin de réassurer les Alliés et de renforcer la dissuasion, dans le sillage des agressions russes contre l’Ukraine en 2014 et en 2022, ont motivé un engagement au sol en Estonie (opération « Lynx ») et en Roumanie (opération « Aigle ») et une contribution conséquente aux activités de vigilance renforcée de l’Alliance, à la mer et dans les airs (1).
Une nouvelle donne stratégique
Les mutations stratégiques en cours en Europe résultant du bellicisme durable de la Russie et des incertitudes créées par le positionnement nouveau des États-Unis requièrent maintenant une adaptation plus profonde et affichée de la posture de défense de la France vers l’avant, en appui des pays européens alliés. Cette posture de « haute visibilité » devra balayer un arc de cercle continental reliant le Grand Nord à la mer Égée, en passant par la Pologne et la Roumanie, pour faire face aux capacités conventionnelles et nucléaires de la Russie. Ce premier arc de cercle devra s’appuyer sur un deuxième arc, maritime celui-là, reliant la mer de Norvège à l’archipel du Cap-Vert. Ce deuxième arc aura pour but, notamment, de contrer la menace que représentent les sous – marins nucléaires d’attaque russes de la classe Yasen, armés de missiles de croisière mer-sol à double capacité conventionnelle et nucléaire, et les sous – marins de poche conçus pour des opérations clandestines contre les installations portuaires et les câbles sous – marins (2). La menace russe contre l’Europe, notamment celle représentée par les missiles de croisière mer-sol Kalibr (SS‑N‑30 Sagaris) et sol-sol Iskander‑K (SSC‑8 Screwdriver), sera durablement omnidirectionnelle (3).