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Mutations stratégiques en Europe. Conséquences opérationnelles pour les armées françaises

Le rétrécissement extraordinaire du format des forces de manœuvre s’est accompagné d’une réduction marquée ou de l’abandon des capacités organiques des niveaux du corps d’armée et de la division, comme l’artillerie antiaérienne et le génie. Mécaniquement, ces réductions ont été répercutées dans le domaine de l’infrastructure, avec la fermeture de casernes, de dépôts de munitions, de champs de tir et de bases aériennes avec leurs abris à avions durcis, obérant les possibilités de disposer d’une infrastructure adaptée à un format des forces élargi et de recourir à la dispersion face à une menace de frappe russe accrue par rapport à son équivalent soviétique des années 1980 (4). Cette vulnérabilité stratégique est de nature à affaiblir la dissuasion en temps de crise si elle n’est pas compensée par une plus grande capacité européenne de défense antimissile, de frappe conventionnelle dans la profondeur et de lutte anti – sous – marine.

La mise à niveau du format des armées françaises préconisée ici devra s’accompagner, pour être pleinement efficace, d’efforts de nature comparable chez les principaux partenaires européens de la France. Elle devra aussi s’appuyer sur une adaptation de la structure de commandement de l’OTAN, destinée à conforter les ambitions européennes, tout en préservant l’articulation avec les forces américaines. Dans cette perspective, les trois états – majors interarmées alliés situés aux Pays-Bas, en Italie et à Norfolk (Virginie), aux États-Unis, pourraient revenir aux alliés européens. Dans le cadre de cette structure de commandement adaptée, l’état-major interarmées de Norfolk pourrait utilement être relocalisé au Royaume – Uni, pour couvrir l’Atlantique nord et le Grand Nord à partir d’un site géographiquement plus proche (5). En parallèle, la 2e Flotte de l’US Navy basée à Norfolk pourrait devenir un commandement naval expéditionnaire allié.

L’Europe est à un tournant. Il pourrait être salutaire. Les pistes proposées ci-dessus offrent une panoplie de perspectives et de propositions à même de donner une assise opérationnelle forte aux ambitions et aux besoins portés par la France et par ses partenaires dans le contexte stratégique mouvant dans lequel se trouve l’Europe aujourd’hui.

Notes

(1) Diego Ruiz Palmer, « “Air shielding” : le bouclier aérien de l’OTAN », Air Fan, no 497, février-mars 2025.

(2) Benjamin Gravisse, « Yasen-M : le renouveau de la flotte d’attaque sous-marine russe », Défense & Sécurité Internationale, no 159, mai-juin 2022.

(3) Les missiles SS-N-30 et SSC-8 représentent des développements des missiles de croisière soviétiques SS-N-21 Samson et SSC-X-4 Slingshot des années 1980. Ils illustrent la capacité technique de l’industrie de défense russe à maintenir en place, sur des décennies, des équipes d’ingénieurs de haut vol, notamment dans le vaste domaine des missiles qui, dans la pensée militaire soviétique et russe, sont les « armes-miracle » par excellence, du fait de leur réactivité, de leur vitesse, de leur portée et, de plus en plus, de leur précision.

(4) Dans les années 1980, seuls les missiles balistiques tactiques soviétiques SS-21 Scarab et SS-23 Spider avaient une capacité conventionnelle, en complément de leur capacité de frappe nucléaire. Aujourd’hui, la quasi-totalité des missiles balistiques et de croisière non stratégiques russes ont cette double capacité, avec une précision plus élevée.

(5) Après la fin de la guerre froide, la base aérienne de RAF High Wycombe a accueilli, entre 1994 et 2000, l’état-major interarmées des Forces alliées du nord-ouest de l’Europe (AFNORTHWEST).

Légende de la photo en première page : La feuille de route des évolutions incrémentales du Rafale est encore loin d’être accomplie. (© K. Tokunaga/Dassault Aviation)

Article paru dans la revue DSI n°177, « Réarmement : vers une nécessaire indépendance de l’Europe », Mars-Avril 2025.
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