Comme le berger, le marin comprend que le caractère exigeant, voire ingrat, de la sécurisation maritime n’a d’égal que son importance cruciale. Et que la liberté de commercer en mer est un doux rêve qu’il faut éternellement recommencer en se tenant toujours prêt à affronter un cauchemar.

Représentation des voies maritimes de navigation (SLOC – Sea lines of communication) par visualisation des transits de navires, en 2021. On note également quelques chokepoints, des zones de passage pratiquement obligatoires – détroits ou canaux – et dont la sécurisation est un enjeu stratégique aussi bien pour le commerce maritime que pour les projections de force. (© NOAA)
Ce texte a obtenu la 3e place du prix Amiral Castex IFRI/Marine nationale.
Notes
(1) « Berger de la mer ». Sea Shepherd aussi est le nom d’une ONG de défense des océans créée en 1977 par Paul Watson.
(2) « Les États-Unis se trouvent dans une position curieuse : ils sont l’une des rares grandes puissances de l’histoire moderne à ne pas contrôler leur transport maritime commercial. En fait, il n’est pas exagéré de dire que les États-Unis ne possèdent pas de navires commerciaux, qu’ils n’ont aucun moyen d’en construire et qu’ils n’ont aucun endroit où les amarrer », in Mark Kennedy et Jeffrey Kucik, « It’s time for a comprehensive national maritime strategy », War on the Rocks, 24 mars 2024 (https://warontherocks.com/2024/03/its-time-for-a-comprehensive-national-maritime-strategy).
(3) Christian Wienberg (Bloomberg), « MSC Passes Maersk to Become World’s Top Container Shipping Line », gCaptain, janvier 2022 (https://gcaptain.com/msc-passes-maersk-to-become-worlds-top-container-shipping-line).
(4) Même les assaillants s’y perdent parfois, comme en témoigne l’attaque par les Houthis, le 6 mars 2024, du True Confidence, faisant trois morts et quatre blessés : si le navire avait été par le passé la propriété d’une société britannique, il appartenait lors de l’attaque à une compagnie libérienne, était opéré par une compagnie grecque et arborait le pavillon de La Barbade. Cf. Jérôme Henry, « Quand les intérêts économiques se heurtent aux enjeux politiques », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 98, octobre-novembre 2024, p. 27.
(5) Le 1er juin 1794 (13 Prairial an II), la flotte française essuie une cuisante défaite tactique face à la Royal Navy, perdant sept navires de ligne et plusieurs milliers de marins, mais sauve le convoi de blé qui devait ravitailler la France affamée.
(6) Les deux mouvances se cumulant parfois, comme en témoigne le fait que les Houthis extorqueraient des fonds aux armateurs pour permettre à leurs navires de naviguer au large du Yémen sans être attaqués, cf. « Houthi threat to shipping growing thanks to ‘unprecedented’ network of support », Lloyd’s List (https://www.lloydslist.com/LL1151228/Houthi-threat-to-shipping-growing-thanks-to-unprecedented-network-of-support).
(7) On constate ces dernières années que les pays occidentaux ont souvent réagi en ordre dispersé aux atteintes contre le commerce maritime. Face aux attaques des Houthis, les États-Unis ont créé l’opération « Prosperity Guardian » quand l’Europe fondait la mission « Aspides ». Contre la piraterie, l’OTAN avait créé « Ocean Shield » quand l’Europe fondait « Atalanta ». La « Tanker War » dans le golfe Persique n’avait pas vu non plus la constitution d’une coalition navale globale, les Français organisant par exemple l’opération « Prométhée » de manière nationale.
(8) L’entreprise russe Rosoboronexport commercialise par exemple le système de missile antinavire Club-K dans un conteneur civil de 40 pieds parfaitement anodin.
(9) Notamment la Chine depuis 2019 : voir « PLA Navy Tests Civilian Container Ship for Underway Replenishment », The Maritime Executive, 20 novembre 2019 (https://maritime-executive.com/article/chinese-navy-tests-civilian-container-ship-as-unreps-auxiliary).
(10) En mer Rouge, certains navires civils tentent de leurrer les Houthis en indiquant par AIS qu’ils ont des équipes de protection à bord ou en déclarant un pavillon différent de leur pavillon réel.
(11) Telles que des restrictions excessives des droits de passage ou des lois environnementales factices.
(12) Par exemple, les États-Unis n’ont jamais signé le traité de Paris proscrivant la guerre de course.
(13) Comme l’amiral Castex en faisait le constat après la Première Guerre mondiale, « tous les sophismes du temps de paix relatifs à la liberté des mers ont été balayés », in Raoul Castex, Théories stratégiques, tome I, Economica, Paris, 1997, p. 77.
(14) Dans les années 2010, les missions d’escorte des navires du Programme alimentaire mondial au large de la Somalie se révélèrent très coûteuses en ressources humaines, des marins des équipages des navires militaires étant le plus souvent détachés à bord des navires civils pour y constituer des équipes de protection embarquée (EPE).
(15) Les champs d’éoliennes provoquent par exemple des dégradations des performances des radars de surveillance maritime.
(16) Robert Rubel en déduit le syllogisme suivant, probablement encore incomplet : « Les marines protègent les perspectives économiques de leurs nations en coopérant pour défendre tous les éléments du système mondial de commerce et de sécurité », in Robert C. Rubel, « Navies and Economic Prosperity – the New Logic of Sea Power », Corbett Paper no 11, The Corbett Centre for Maritime Policy Studies, King’s College, Londres, octobre 2012, p. 18.
(17) Alfred Thayer Mahan, Retrospect and Prospect, Studies in International relations, Naval and Political, Little, Brown and Company, Boston, 1902, p. 135.
(18) Comme les nomme Geoffrey Till dans « Maritime Strategy in a Globalizing World », Orbis, vol. 51, no 4, 2007.
(19) Selon l’expression du capitaine de vaisseau américain Tangredi pour qui l’US Navy « n’est plus seulement la marine des États-Unis, mais, assurant une fonction de sécurité pour l’ensemble du système mondial, elle est la marine du monde ! », in Jean-José Segeric, L’amiral Mahan et la puissance impériale américaine, Marines éditions, Rennes, 2010, p. 234.
(20) Pêche illégale, non déclarée et non réglementée.
(21) La vision de Mahan restait très restrictive : « La nécessité d’une marine découle […] de l’existence d’une navigation pacifique et disparaît avec elle », in Alfred Thayer Mahan, The Influence of Sea Power Upon History (1890), édition Kindle, p. 49.
(22) Ce cargo iranien, suspecté de servir de base aux Gardiens de la Révolution en mer Rouge, fut saboté par des nageurs de combat le 6 avril 2021. Plusieurs sources ouvertes attribuent cette attaque à Israël.
(23) African Union mission in Somali : mission de l’Union africaine en Somalie, créée en 2007.
(24) « La mer ne peut faire l’objet d’une domination ou d’une propriété politique. Nous ne pouvons pas y subsister… ni en exclure les neutres », in Julian Corbett, Some principles of maritime strategy (1911), Naval Institute Press, Annapolis, 1988, p. 316.
(25) Au XVIIe siècle, Hugo Grotius plaidait dans Mare Liberum pour la liberté absolue des mers tandis que John Selden tenta de réfuter ses idées par la publication de Mare Clausum sive De Dominio Maris. La convention de Montego Bay de 1982 rechercha un compromis entre ces deux visions.
(26) Comme en témoigne par exemple le passage sous pavillon américain des tankers à destination du Koweït durant la « Tanker War » afin de les protéger des attaques irakiennes et iraniennes.
(27) COSCO Shipping, 4e armateur mondial pour les conteneurs, est une compagnie appartenant à l’État chinois.
(28) Aux États-Unis, des voix proposent de recréer des chantiers navals et d’étendre le Jones Act, loi protectionniste obligeant les navires faisant du cabotage aux États-Unis à battre pavillon américain et à avoir un équipage américain. En France, une mission gouvernementale a été chargée en 2023 de réévaluer le dispositif de flotte stratégique.
(29) Mahan affirmait que la loi était « un moyen, pas une fin, un bon serviteur, mais un mauvais maître », in Jean-José Segeric, L’amiral Mahan et la puissance impériale américaine, op. cit., p. 213.
(30) Comme l’expliquait déjà Castex : « La maîtrise de la mer n’est […] pas absolue. Elle est simplement relative, incomplète, imparfaite. Malgré une prééminence parfois écrasante, le dominateur des communications n’est jamais parvenu à empêcher complètement son ennemi de paraître sur l’eau », in Raoul Castex, Théories stratégiques, op. cit., p. 92.
(31) En paraphrasant Marcel Gauchet : « La logique de la mondialisation renforce en profondeur la nécessité des nations qu’elle conteste en surface », in Marcel Gauchet, Le nœud démocratique – Aux origines de la crise néolibérale, Gallimard, Paris, octobre 2024.
Légende de la photo en première oage : Derrière la capacité à protéger, il y a d’abord celle à agir. (© DoD)