Dès le milieu des années 2010, on pouvait entendre en Italie que mieux valait intégrer ce qui était encore le Tempest, dès lors que cela pourrait créer une tension vers la fusion des deux programmes… où Rome pourrait trouver sa place. Plusieurs autres acteurs européens regrettent la concurrence entre Paris et Londres, et du côté d’Airbus, la tentation d’un programme européen unique semble bien réelle. Évidemment, Paris, qui a pris les devants budgétaires et programmatiques et a le bénéfice d’années d’investissements sur des briques technologiques utiles, n’entend pas que d’autres se paient sur la bête. La possibilité même d’une fusion des programmes est donc conditionnée à des négociations particulièrement ardues, pour employer un euphémisme. La solution de repli, en France, serait un abandon du SCAF, pour se concentrer sur l’évolution du Rafale. C’est peut-être aussi ainsi – mais pas uniquement – qu’il faut lire le lancement, en octobre 2024, d’une étude sur un drone de combat furtif devant accompagner, dès 2033, les Rafale F5 pour assurer des missions SEAD (Suppression of enemy air defence). L’équation de la sixième génération est alors renversée : si les radars sont détruits, les besoins en furtivité sont moindres. Les évolutions concernent alors, dans les limites de la relativement petite taille du Rafale, les logiciels et l’intégration d’IA et des hardwares associés… L’option n’est par ailleurs pas commercialement inepte : pouvoir exporter des appareils de sixième génération n’est pas garanti du fait de leurs coûts, mais aussi de l’exposition potentielle de leurs systèmes d’IA.
Avancées américaines
Pendant que les Européens se disputent, les États-Unis et la Chine poursuivent leurs travaux. Si nous reviendrons plus loin sur le cas chinois, la transformation du programme NGAD (Next generation air defence) en F‑47 et la sélection de Boeing pour le conduire marquent une étape importante de ce programme resté particulièrement discret. Plusieurs interviews révèlent cependant que les besoins avaient été établis à partir de 2017, avant d’évoluer pour prendre en compte l’intégration de drones CCA (Collaborative combat aircraft), entre-temps désignés FQ‑42 (General Atomics) et FQ‑44 (Anduril). Un bureau spécifique a été mis en place dès 2019 : un Executive office for advanced aviation, ensuite devenu l’Agile development office. Dans le cadre de l’Aerospace innovation initiative, deux démonstrateurs, issus de Boeing et de Lockheed Martin, ont volé en 2019 et en 2022 – Northrop Grumann se retirant en 2023. La logique derrière le F‑47 est multiple. D’une part, il pourrait n’être qu’un premier design avant l’apparition d’autres qui utiliseraient les mêmes systèmes ou leurs évolutions logicielles. Ces derniers devraient par ailleurs être utilisés sur le futur F/A‑XX de la Navy, qui n’entrerait en service que vers 2035. D’autre part, le F‑47 est surtout destiné à la supériorité aérienne offensive, devant pénétrer loin dans les espaces aériens adverses pour y porter le combat. Cette logique, initialement liée aux opérations contre le Pacte de Varsovie pour le F‑22, se voit adaptée à l’Indo – Pacifique. Reste à savoir, comme pour le F-22, dans quelle mesure des opérations de frappe pourront être menées avec des drones qui, à la différence du LongShot de la DARPA conçu pour le tir de missiles air-air, semblent surtout orientés vers les missions ISR et de frappes air-sol. La question du ravitaillement en vol se posera aussi dès lors que l’avenir du programme, aussi furtif que possible, de ravitailleur NGAS (Next generation air-refueling system) semble compromis. Enfin, la question calendaire se pose aussi. La phase d’EMD (Engineering and manufacturing development) devrait se poursuivre au moins jusqu’à 2030, mais ce n’est que plus tard après son entrée en service, dont la date n’est pas encore connue, qu’il recevrait les moteurs développés dans le cadre du programme NGAP (Next generation adaptative propulsion).
Bien peu a été dévoilé du design, plusieurs responsables indiquant que la représentation informatique fournie – et ses plans canards qui ont beaucoup fait parler – pourrait être générique et ne pas être représentative de l’appareil. En revanche, l’US Air Force semble toujours déterminée à disposer de 414 exemplaires et à faire en sorte que leur coût unitaire soit inférieur à celui du F‑22. Cela reste à démontrer, au vu des performances mitigées en la matière des KC‑46 ou du VC‑25, qui ont accumulé retard et surcoûts ; mais aussi au vu des ambitions à l’endroit du F‑47… voire de celles de Lockheed. Dans la foulée de la désignation de Boeing, Lockheed a proposé un F‑35 « 5G+ », tirant parti des travaux réalisés dans le cadre de l’Aerospace innovation initiative et qui permettrait de disposer de « 80 % des capacités du NGAD à 50 % du prix ». Il s’agirait également de transformer « le châssis du F‑35… en Ferrari ». Vaste programme…
Notes
(1) Olivier Zajec, « Faut-il encore penser en termes de “générations” d’avions de combat ? », Stratégique, no 102, 2013/1.
(2) Sans parler du standard F5, ne serait-ce que le F4 : Yannick Smaldore, « Rafale : le standard F4 se dévoile », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 69, décembre 2019-janvier 2020.
(3) Joseph Henrotin, « Effecteurs déportés et “ailiers loyaux”. Retour à la masse, différentiels technologiques et reconfiguration de la puissance aérienne », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 78, juin-juillet 2021 ; Philippe Langloit, « Effecteurs déportés : derrière la bataille industrielle, les enjeux techniques », Défense & Sécurité Internationale, n° 172, juillet-août 2024.
(4) Les AACO (Autonomous air combat operations) et ACE (Air combat evolution).
(5) Sur ces piliers : Mathieu Ducarouge, « Les enjeux technologiques du SCAF », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 90, juin-juillet 2025.
(6) On l’a ainsi appris au cours d’une interview du nouveau ministre de la Défense, Theo Francken, en mars 2025.
Légende de l’image en première page : Lʼinterface homme-machine sera centrale pour les appareils de sixième génération. (© P. Barut/V. Almansa/Dassault Aviation)