Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Israël vs Hamas et Hezbollah : état de la confrontation

Que reste-t-il de l’influence du Hezbollah au Liban, à l’heure où la question de son désarmement semble s’inviter dans le débat politique national ?

L’affaiblissement militaire du Hezbollah n’impulse pas nécessairement son crépuscule politique. Alors que certaines sources bien informées décrivent le mouvement comme paralysé, isolé et dépourvu de toute vision régionale pour justifier le maintien de ses armes (4), d’autres, tout aussi bien informées, rappellent la robustesse du Hezbollah en tant que phénomène sociétal au Liban (5). En fait, le Hezbollah s’efforce de se remettre de ce coup dur sans précédent, tout en s’adaptant à une nouvelle réalité politique. À cette fin, le nouveau leadership en recomposition se répartit les rôles. 

D’un côté, Naim Qassem a discrètement embrassé sa désignation comme nouveau « représentant absolu » (wakil mutlaq) du Guide suprême Ali Khamenei au Liban, réaffirmant ainsi l’allégeance religieuse du Hezbollah à la doctrine de la wilayat al-faqih. En sa qualité de nouveau secrétaire-général du mouvement, il a toutefois adopté un ton accommodant envers l’État libanais et centre ses prises de parole autour de l’épineuse question de la reconstruction. De l’autre, Wafiq Safa, chef des services de sécurité du Hezbollah, a adopté un discours plus dur et s’impose lentement mais sûrement comme le nouveau visage de la facette djihadiste du Hezbollah. Ensemble, ils multiplient les efforts pour remplacer l’irremplaçable « Sayyed » (Nasrallah) défunt. 

La cérémonie funéraire de ce dernier (et de son successeur de courte durée, Hachem Safieddine), qui a attiré des centaines de milliers de sympathisants endeuillés à Beyrouth le 23 février 2025, a permis au mouvement de démontrer sa capacité durable de mobilisation populaire. Pour beaucoup, la majorité de l’imposante communauté chiite du Liban continue d’adhérer au Hezbollah — voire d’en dépendre socioéconomiquement —, et celui-ci demeure donc l’acteur politique libanais le plus puissant dans le pays. Il évite, toutefois, et pour l’instant, toute annonce trop frontale sur le statut futur de son arsenal, afin de garantir la résilience ultérieure de son tronc milicien. Même les articles les plus ouvertement anti-Hezbollah (6), décrivant comment empêcher ses tentatives de retour, ne concluent pas sur un ton optimiste évident, ce qui est révélateur. Le lien Hezbollah-Iran est, pour sa part, historiquement ancré et doctrinalement consolidé : à mon sens, il résistera donc, sous une forme ou une autre, à toute remise en question de la stratégie iranienne de guerre par procuration. 

D’ailleurs, lorsqu’il est question de priver le Hezbollah de son argumentaire « pro-arsenal », des déclarations alignées mais des signaux contradictoires émanent de Washington et de Tel Aviv. Les États-Unis feraient actuellement pression sur les deux camps pour trouver une solution politique au contentieux territorial entre Israël et le Liban, ce qui pourrait priver en grande partie — mais pas totalement — la composante armée du Hezbollah de sa raison d’être. Mais en parallèle, Israël a récemment créé un précédent de « tourisme judaïque en territoire libanais » facilité par Tsahal (7), susceptible d’encourager les programmes expansionnistes sionistes et de revitaliser la raison d’être du Hezbollah. 

Que l’on s’y dirige vers un accord de démarcation frontalière ou une occupation israélienne prolongée, le Sud-Liban semble voué à devenir une zone de préoccupation croissante pour les Forces armées libanaises qui sont en train d’y étendre leur empreinte. De nombreux acteurs (dont les États-Unis ou la France) considèrent en effet celles-ci comme une partie de la solution en tant que seul garde-fou capable de contenir le Hezbollah. Mais Israël voit plutôt celles-ci comme une partie du problème, dénonçant de plus en plus régulièrement la pénétration de leurs rangs par le Hezbollah. La saga n’est donc pas terminée.

Propos recueillis par Thomas Delage le 24 mars 2025.

Notes

(1) « Swords of Iron: An Overview », The Institute for National Security Studies (https://​www​.inss​.org​.il/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​/​w​a​r​-​d​a​ta/).

(2) Plusieurs autres figures du mouvement ont été assassinées dans la foulée : Fouad Shukr (24 juillet 2024), Ibrahim Aqil (20 septembre 2024), Nabil Qaouk (28 septembre 2024), Hachem Safieddine (3 octobre 2024), etc.

(3) Nathan Klabin, « Hezbollah’s Weapons Cache Reveals Global Supply Network, IDF Shows », The Media Line, 25 décembre 2024 (https://​urlz​.fr/​u​jPc).

(4) Michael Young, « Hezbollah and National Renewal », Carnegie Middle East Centre, Diwan Commentary, 19 février 2025 (https://​urlz​.fr/​u​jMl).

(5) Hélène Sallon, « L’argent du Hezbollah au cœur de la reconstruction du Liban », Le Monde, 17 février 2025 (https://​urlz​.fr/​u​jMd).

(6) Hanin Ghaddar et Zohar Palti, « Trump Should Aim for a “Riviera” in Lebanon », Washington Institute for Near East Policy (WINEP), 3 mars 2025 (https://​urlz​.fr/​u​jMt).

(7) Rosaleen Carroll, « Israeli army escorts ultra-Orthodox Jews to religious site in south Lebanon: What to know », Al-Monitor, 7 mars 2025 (https://​urlz​.fr/​u​jMv).

Légende de la photo en première page :

Photo ci-dessus : Membre du Djihad islamique. Si pour les Israéliens la branche militaire du Hamas est défaite, sa capacité de frappe, et encore plus celle du Djihad islamique, a été détruite de 80 à 90 %. Ils ne représentent donc plus une menace sur le long terme, d’autant plus qu’ils sont dans l’incapacité de reconstituer des stocks. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°85, « Géopolitique d’Israël », Avril-Mai 2025.

À propos de l'auteur

Didier Leroy

Chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD), expert invité à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et chercheur associé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

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