La chute de Goma, le 26 janvier 2025, a mis en lumière le conflit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Il oppose, depuis 2021, les Forces armées de la RDC (FARDC), alliées à de nombreux groupes armés locaux et aux forces armées burundaises (1), aux forces de défense du Rwanda (RDF) qui soutiennent, encadrent et accompagnent au combat les troupes du mouvement rebelle du M23, récemment rebaptisé Alliance fleuve Congo. L’Ouganda, quant à lui, soutient tour à tour les deux belligérants en fonction de ses intérêts immédiats. Alimenté par des causes internes à la RDC, le conflit est surtout dû aux tensions géopolitiques entre le Rwanda et ses voisins qui, tous, y défendent militairement leurs intérêts.
L’invasion rwandaise est, d’abord, le résultat de l’extériorisation des tensions internes d’une jeune nation autoritaire et militariste, dirigée par un autocrate sûr de sa force. Le débat sur les Forces démocratiques de libération du Rwanda (2) masque ainsi le fait que les agressions successives naissent de tout prétexte, servi par la mobilisation d’un argumentaire remettant ouvertement en cause les frontières issues de la décolonisation et instrumentalisant la mémoire du génocide de 1994. La plupart des commentateurs ont longtemps ignoré la dimension inter-
étatique du conflit, privilégiant une lecture exclusivement ethnique et milicienne, aujourd’hui dépassée.
Confrontées à une véritable invasion, les FARDC n’ont pas réussi à s’y opposer. Héritières de mœurs politiques despotiques, beaucoup d’unités sont toujours des bandes indisciplinées, où l’irresponsabilité et l’absentéisme des chefs sont des maux endémiques. Une lutte équilibrée est alors impossible entre cette troupe et l’armée rwandaise, alors même que cette dernière n’utilise en RDC qu’une partie de ses moyens. Fort de ce constat, le président congolais Félix Tshisekedi a engagé un effort sans précédent. En trois ans, les dépenses militaires du pays sont ainsi passées de 3 % à plus de 7 % du budget national (3), soit plus d’un milliard de dollars (4), trois fois plus que le Rwanda. Le résultat est pourtant médiocre. Le problème est ailleurs. Comment concevoir l’outil militaire, au service d’un intérêt national bien défini, alors que la RDC dispose d’un potentiel humain et économique et d’une profondeur stratégique bien supérieurs à ceux de ses voisins ? De fait, on ne trouve chez les FARDC que des expédients : poids excessif des positions et des appuis – feu et externalisation au secteur privé, conséquence prévisible d’une augmentation rapide, mais non planifiée des dépenses militaires.
De fait, le recours à des sociétés militaires privées induit quasi systématiquement une focalisation de la réflexion sur la dimension capacitaire, poussant parfois à des choix qui accentuent l’incohérence des systèmes militaires. Or, l’inaptitude à produire des effets sur le terrain est souvent, et avant tout, le symptôme de blocages organisationnels. Plusieurs épisodes récents ont démontré que les FARDC font parfois preuve d’une réelle pugnacité. Confrontée à une violente offensive du M23 et des RDF dans le Lubero, début décembre 2024, leur résistance, pendant plus de dix jours, empêche la partie rwandaise d’obtenir les résultats qu’elle escompte pour imposer ses vues politiques lors du sommet de Luanda, prévu le 15 décembre. L’annulation unilatérale de la rencontre par Paul Kagame coïncide ainsi, sur le terrain, avec une relance de cette offensive par des troupes rwandaises renforcées. De même, par comparaison avec l’abandon de 2012, la résistance de plusieurs unités FARDC dans Goma, plus de 72 heures après la chute de la ville, augure un tournant bien réel. Loin de certains clichés, des pistes de réformes réalistes existent donc bel et bien. Elles ont, toutes, pour but d’accroître le rendement des moyens existants, à dépenses et effectifs constants.
Définir les buts de guerre
Les échecs récents sont l’occasion de clarifier une question fondamentale : que représentent les provinces de l’Est pour la RDC ? De la réponse dépend le développement d’une stratégie cohérente, alignée avec des capacités militaires limitées. À cet égard, la faiblesse chronique de la RDC la place, de facto, dans une impasse. Un pays qui émerge de 30 ans de guerre civile et d’ingérences étrangères ne peut aisément se résigner au compromis. Ainsi, la mise en avant par Félix Tshisekedi d’une résolution du conflit cristallisait un enjeu électoral majeur. Le retour récent de l’ex – président Joseph Kabila à Goma l’indique : le pouvoir à Kinshasa reste tributaire des rapports de force dans l’est du pays. De même, l’opinion publique reste hostile à une solution politique qui verrait la réintégration des rebelles au sein de l’appareil d’État. Récupérer l’ensemble des territoires perdus est, pour l’heure, hors de portée. Il reste possible de s’attaquer à l’impunité militaire du Rwanda, qui empêche toute solution politique équilibrée, alors que les relations de Paul Kagame avec les Occidentaux et son interventionnisme militaire sur le continent africain le rendent diplomatiquement inatteignable. L’objectif pour la RDC semble donc clair : rendre toute nouvelle escalade militaire coûteuse pour le Rwanda afin de modifier les calculs de Kigali et restaurer une marge de manœuvre politique autonome.















