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« Le ciel pour champ de bataille » : à propos de la nouvelle vision stratégique

Nous connaissons tous la situation internationale et les difficultés qui se présentent. Quelle est votre appréciation de la situation du point de vue de la puissance aérienne ?

La brutalisation des relations internationales et l’innovation débridée, dans les technologies militaires les plus sophistiquées comme dans les plus rustiques, nous obligent à nous adapter. Sans avoir jamais délaissé l’entraînement au combat de haute intensité, nous avons cependant manœuvré au cours des dernières décennies dans des environnements tactiques permissifs. Rappelons d’abord que la puissance aérienne est notre meilleur atout pour éviter un scénario « à l’ukrainienne », une guerre d’attrition, de tranchées, dans laquelle aucun belligérant n’a commencé par imposer sa supériorité aérienne à l’adversaire. Face à la menace que constitue la Russie, qui a énormément appris et durci ses modes d’action en trois ans de guerre, nous devons sécuriser notre domination dans la troisième dimension. C’est un de nos avantages les plus décisifs.

Néanmoins, pour établir la supériorité aérienne, ne serait-ce que localement et temporairement, mais d’une façon suffisamment durable et étendue pour qu’elle soit utile à la manœuvre interarmées, il faut pouvoir manœuvrer dans les airs. La prolifération des dispositifs de déni d’accès est donc un défi, pour lequel il existe des solutions. L’exemple des raids israéliens contre le réseau de défenses aériennes iraniennes en octobre dernier est éclairant. Pour nous, cela veut dire retrouver des capacités de suppression des défenses aériennes ennemies, dites « SEAD » en anglais, et, plus largement, renforcer notre capacité de frappe dans la profondeur. C’est une priorité essentielle pour imposer la supériorité aérienne là où cela sera nécessaire.

Mais il est important de considérer la situation du sol à l’espace, sur l’ensemble de ce que je nomme le « continuum de la troisième dimension ». Mon appréciation de la situation porte donc sur la puissance aérospatiale dans son ensemble, du sol à l’orbite géostationnaire en passant par la très haute altitude, la « THA », illustrée par le vol du ballon chinois au – dessus du territoire américain en 2023. Le constat est clair : dans ces milieux, la conflictualité va crescendo, et nous devons accélérer la mise en œuvre de nos stratégies, dans une vision holistique de la troisième dimension. Cela passe par une approche capacitaire ambitieuse, avec, d’une part, une feuille de route à l’horizon 2030 et, d’autre part, des démonstrateurs et des expérimentations dès cette année, notamment dans la THA. L’enjeu n’est donc plus celui d’une puissance aérienne, mais, plus globalement, celui d’une puissance aérospatiale.

L’évolution politique aux États-Unis va avoir des incidences directes sur la coopération avec les forces américaines, que ce soit lors d’exercices ou en déploiement. Comment anticipez-vous un éventuel défaut d’implication américaine en Europe, pour ce qui concerne l’AAE ?

Il est clair que la coopération internationale est pour nous une dimension structurante. C’est particulièrement évident dans le spatial de défense. Notre modèle repose sur un équilibre entre ce que nous détenons en propre, ce que nous partageons avec nos alliés et les services que nous achetons. Pour chaque application du spatial, le ratio entre patrimonial, partenarial et commercial varie. Notre niveau de dépendance au soutien américain est par exemple très différent selon que l’on parle d’observation, d’écoute ou de positionnement. Mais il est clair que les tendances au repli constituent un risque, auquel nous nous préparons. Cela n’est pas seulement le cas s’agissant du milieu spatial, mais dans toutes nos activités et fonctions, par exemple l’alerte avancée, où la part américaine dans les capacités otaniennes est prépondérante.

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