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La Grèce et l’Union : d’une adhésion hâtive à la « rente européenne »

Alexis Tsipras prononce un discours lors du Conseil européen des 22 et 23 juin 2017 à Bruxelles. Une semaine auparavant, lors d’une réunion de l’Eurogroupe, la Grèce avait trouvé un compromis avec ses partenaires de la zone euro, obtenant une aide supplémentaire de 8,5 milliards d’euros lui permettant notamment de rembourser ses échéances échues en juillet. Cet accord, qui devrait éviter le spectre d’un « Grexit » en pleine campagne électorale allemande, ne résout en rien le problème de la dette grecque. Il ne fait que le repousser, puisque ses partenaires européens n’étudieront son allégement qu’en mai 2018. (© Conseil européen)

Si les plans d’austérité européens sont aujourd’hui dénoncés par les Grecs comme la source de tous leurs maux, la crise s’est enracinée bien avant, dans l’irresponsabilité conjointe des décideurs politiques grecs et européens qui n’ont pas vu (ou pas voulu voir) les adaptations nécessaires à l’entrée du pays dans l’Union et dans l’euro.

Le 15 juin 2017, l’Eurogroupe a accepté un nouveau prêt à la Grèce dans le cadre du troisième plan d’aide internationale agréé en août 2015, contre un nouveau plan d’austérité, le dixième depuis le début de la crise financière que connaît le pays. Réduction des retraites après hausse des impôts, les plans se succèdent depuis huit ans. Et pourtant, tel Sisyphe, la Grèce peine à réduire sa dette publique qui atteint plus de 320 milliards d’euros, soit près de 180 % de son PIB, alors que l’Irlande, le Portugal et l’Espagne sont sortis de cette spirale infernale.

Au lendemain de l’accord du 13 juillet 2015 par lequel la Troïka et le gouvernement d’Alexis Tsipras ont ignoré le rejet de nouvelles mesures d’austérité par le peuple grec lors du référendum du 5 juillet, d’aucuns ont parlé de « trahison du projet européen ». Si trahison il y a eu, c’est ailleurs et bien en amont qu’il convient de la chercher. Qui tenait le « poignard dans le dos de l’Europe », expression par laquelle Georges Prévélakis qualifie la crise grecque (1) ? Il nous semble que trois coups ont été portés : lors de l’adhésion de la Grèce, avec les fonds structurels de l’Union européenne (UE) et lors de l’intégration de la drachme dans l’euro.

L’adhésion sans transition d’une société balkanique

Le 12 juin 1975, peu après la fin de la dictature des Colonels (1967-1974), le gouvernement grec déposait une demande d’adhésion du pays à la Communauté économique européenne (CEE). Conformément au Traité CEE, le Conseil demandait l’avis de la Commission européenne.

Dans son Avis du 29 janvier 1976, la Commission recommandait « qu’une réponse clairement affirmative soit donnée et que les négociations pour l’adhésion soient ouvertes ». Mais elle exposait les lourds handicaps de la Grèce pour devenir État membre et « les changements structurels d’une ampleur considérable », qui étaient d’autant plus nécessaires que l’Accord d’association de 1961 avec la CEE, incluant une union douanière, avait été gelé durant la dictature. De sorte que le pays était mal préparé au choc de l’ouverture économique et à la concurrence que son adhésion entraînerait.

En conséquence, elle estimait qu’il était souhaitable « d’envisager une certaine période de temps avant que les obligations de l’adhésion, même assorties de dispositions transitoires, ne soient assumées par ce pays ». Ce serait donc une période de préadhésion, durant laquelle un « programme économique substantiel » serait mis en œuvre. La prudence de la Commission était partagée au Conseil. Pourtant, la recommandation d’une préadhésion fut rejetée, car « on ne laisse pas Platon attendre » comme le déclarait alors le président français, Valéry Giscard d’Estaing !

Une transition de cinq ans fut bien acceptée, mais uniquement pour remplir les dernières obligations de l’union douanière de 1961. L’Allemagne et la France avaient emporté la décision pour ancrer la démocratie après la dictature et pour des raisons à la fois économiques et géopolitiques dans cette région troublée. Les négociations d’adhésion, de juillet 1976 à mai 1979, s’achevèrent par la signature du traité le 28 mai et la Grèce devint membre de la CEE le 1er janvier 1981.

Dans l’histoire des élargissements successifs de l’UE, la Grèce est le seul pays candidat pour lequel l’avis de la Commission n’a pas été suivi par le Conseil. Funeste erreur pour le peuple grec, auquel on a ainsi fait croire qu’il deviendrait État membre de plein droit sans effort et sans réformes, confortant par là même les pratiques politiques, créant de très grands risques économiques et mettant en péril, à terme, l’application uniforme de l’acquis communautaire. Cette adhésion directe, sans préparation ni précautions, portait en germe tous les vices qui allaient apparaître trente ans plus tard.

Car c’était un pays balkanique, qui souffrait des mêmes maux que ceux que l’UE allait exposer trois décennies plus tard au sujet de ses voisins des Balkans occidentaux (2) : une administration surdimensionnée et inefficace, un clientélisme politique ancré dans les traditions et accentué par une polarisation politique extrême, un budget dispendieux sans rentrées fiscales d’équilibre et une règle de droit flexible. La Grèce des années 1970 présentait aussi certaines caractéristiques des sociétés postottomanes des Balkans. Les liens politiques et familiaux primaient sur le contrat, la notion de conflit d’intérêts était étrangère, les titres de propriété étaient rares et le cadastre absent. L’agriculture n’était relativement prospère que dans le cadre du marché national, encore protégé. Et les marchés publics obéissaient plus aux relations politiques qu’aux règles de la concurrence, mettant à mal les dépenses publiques nationales et locales.

Il eût assurément fallu une longue période de préadhésion, à l’instar de celle que les pays d’Europe centrale allaient connaître entre leur signature des Accords d’association en 1991-1993 et leur adhésion le 1er mai 2004. Les « critères économiques » établis à leur intention par le Conseil européen de Copenhague en 1993 (3), combinés à la mise en œuvre des accords pendant plus de dix ans, ont assuré la restructuration des économies et évité les chocs de l’adhésion. D’autant plus qu’un critère complémentaire essentiel pour une bonne gouvernance économique est venu s’ajouter en 1995 : chaque candidat devait se doter des moyens et mécanismes pour garantir une « mise en œuvre de l’acquis communautaire de façon efficace et effective ».

Ces conditions et critères ont été encore renforcés et surtout explicités avec les pays candidats des Balkans occidentaux en 2004, lors de l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Croatie et plus encore en 2011 avec le Monténégro, puis avec la Serbie. C’est en effet en 2011 que l’Union a fait obligation aux pays en négociation d’adopter des plans d’action détaillés sur l’indépendance de la justice, la lutte contre la corruption, la réforme de l’administration publique et la gouvernance économique et de produire des résultats sur le terrain, avec le soutien des fonds de préadhésion de l’Union.

Avec la Grèce, rien de tout cela. Le Conseil a raisonné en termes purement politiques et géostratégiques, sans prendre la mesure du fossé entre, d’une part, pratiques, traditions et état réel du pays et, d’autre part, obligations découlant de son adhésion. Andréas Papandréou, candidat aux élections parlementaires de 1981, avait bien dénoncé la sous-estimation des problèmes économiques durant la campagne électorale. Mais, devenu Premier ministre après la victoire du PASOK le 18 octobre, il a aussitôt engagé une relance économique par des mesures sociales coûteuses.

Il a demandé, il est vrai, la révision du traité d’adhésion. Le Conseil l’a refusée, mais il a accordé une augmentation des aides financières au pays. Dès lors, le ver était dans le fruit, l’argent facile allait alimenter le budget et la logique de la « rente européenne » s’installer. Le cercle vicieux de l’aide financière sans conditionnalité réelle, et donc sans réformes, allait prendre une ampleur encore bien plus grande avec l’aide budgétaire après l’adhésion.

La « rente européenne » sans condition

Entre 1989 et 2008, la Grèce a reçu quelque 80 milliards d’euros des fonds structurels (4). La politique de cohésion de l’Union aurait ainsi représenté 3,5 % du PIB grec de 1994 à 1999 (5), puis 2,15 % entre 2000 et 2010 (6). Manne providentielle puisqu’il s’agit d’allocations budgétaires non remboursables, qui ont fait de la Grèce l’un des premiers bénéficiaires de tous les États membres. Ces financements étaient certes salutaires sur la base du principe de solidarité promu par Jacques Delors pour permettre aux pays moins performants, et en général périphériques, de rattraper leur retard dans le cadre du marché unique lancé en 1982.

Un tel soutien financier suppose toutefois une double responsabilité : du donateur et du bénéficiaire. Or ces fonds n’étaient pas conditionnés à des réformes structurelles, sans cesse reportées pour la plupart. Et la Grèce ne les a pas vraiment utilisés pour se réformer ni pour améliorer le système productif, alors que le clientélisme a continué à prospérer.

Mais un double bouleversement économique a brutalement révélé toutes les faiblesses de l’économie grecque. La crise pétrolière a induit une forte augmentation des prix du pétrole qui a soudain pesé sur les comptes publics. La récession internationale a ajouté aux difficultés. Et l’ouverture du marché grec à la concurrence des autres États membres a conduit au doublement du déficit commercial entre 1981 et 1985. La production agroalimentaire, atout du pays, est passée d’un excédent avec la CEE en 1980 à un lourd déficit trois ans plus tard.

L’économie grecque a été brusquement confrontée à la concurrence extérieure, européenne en premier lieu, puisqu’elle n’avait pas acquis la « capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché » dans l’Europe élargie, pour reprendre les critères économiques utilisés dans le cinquième élargissement de l’UE. Cruelle désillusion : une désindustrialisation s’engageait, cependant que l’agriculture peinait à faire face aux importations.

Pourtant, le pays n’avait guère changé ses pratiques. Le secteur public restait peu productif, mais continuait à servir des salaires élevés. La classe politique pratiquait toujours le clientélisme qui prospérait sur des marchés protégés. Le cadastre n’était toujours pas établi. De grandes fortunes échappaient à l’impôt sur le revenu. Les rentrées fiscales n’étaient pas à la hauteur des activités économiques. La fraude et l’évasion fiscales étaient pratiques courantes, évaluées entre 12 et 15 % du PIB par le directeur de la brigade grecque des contrôles fiscaux (7) !

Mais alors, comment le pays assurait-il ses équilibres ? Grâce aux fonds de l’UE qui permettaient une plus grande souplesse budgétaire, facilitant notamment l’aide aux groupes sociaux turbulents. « Les transferts de l’UE ont permis […] aux politiciens grecs de retarder l’adaptation et de pérenniser l’ancien système clientéliste. (8) »

La Cour des comptes de l’UE a bien dénoncé, à plusieurs reprises dans les années 1990, des « évaluations défaillantes des statistiques », des erreurs d’estimation et des « retards dans les contrôles inacceptables », alors même que la Grèce n’était pas en mesure d’absorber seule ces financements. D’où la création d’entités externes avec des consultants pour aider les ministères à utiliser ces fonds, ce qui a conduit à une « administration semi-autonome parallèle […], à des îlots européanisés dans un océan d’institutions et de pratiques traditionnelles (9) ». Dix ans après l’adhésion, l’analyse de la Commission dans son Avis de 1976 sur les faibles capacités de l’administration publique révélait, hélas, toute sa pertinence.

Pourtant l’UE a fermé les yeux. Parce que les États membres ne souhaitaient pas que la Commission vienne contrôler de trop près leur gestion ? Sans doute. Mais aussi par manque de cohérence globale entre les différentes politiques que les acteurs responsables ont failli à établir. La leçon a été retenue pour les adhésions ultérieures, notamment celles des pays des Balkans occidentaux, pour lesquels la réforme de l’administration publique est l’une des priorités dans leur période de préadhésion.

Elle a été retenue aussi pour les fonds structurels, le nouveau règlement pour 2014-2020 du Parlement et du Conseil introduisant une conditionnalité macro-économique. En effet, si un État membre ne prend pas des mesures efficaces de gouvernance économique pour respecter le Cadre stratégique commun (l’examen budgétaire annuel, crucial pour les membres de l’Eurogroupe) agréé au Conseil, la Commission a le droit de suspendre tout ou partie de ses versements à l’État en cause. Inversement, si un État est bénéficiaire du Mécanisme européen de stabilité, une aide supplémentaire peut lui être octroyée pour réduire la pression sur le budget national.

La rente européenne sans condition dans les années 1980 et 1990 n’a donc fait qu’accroître les déséquilibres en l’absence de réformes. De sorte que les fonds transférés ont agi comme un poison sur l’économie. Plus grave encore, ils ont accrédité l’idée que le pays pouvait ainsi continuer sa fuite en avant sans remettre en cause le système. Et les gouvernements socialiste et conservateur se sont ainsi succédé sans toucher à l’édifice qui assurait leur maintien par les facilités extérieures. La Grèce et l’Union allaient en payer le prix fort avec l’intégration de la drachme dans l’euro.
L’intégration de la drachme dans l’euro ou « la falsification révélée »

Lors de l’examen des comptes publics des États candidats à l’intégration de leur monnaie dans l’euro, il apparaît que la Grèce ne peut être retenue. En 1998, son déficit public déclaré dépassait 4 % du PIB. Elle ne remplissait pas les critères de Maastricht (10), comme d’autres États membres d’ailleurs. Le gouvernement Simitis lança alors un plan d’austérité au terme duquel il annonça, début 2000, un déficit public de 1,8 % et une inflation de 2 %, ce qui permit à la Grèce de faire acte de candidature à l’euro le 9 mars 2000.

Le débat au Conseil se révéla difficile. D’aucuns s’étonnaient en effet d’un succès aussi rapide du plan de rigueur et soupçonnaient une situation en réalité moins positive. Le ministre allemand de l’Économie, Otto Graf von Lambsdorff, indiquait même que l’acceptation de la Grèce serait une « erreur capitale ». Pourtant, on ne fit pas plus de recherches sur la véracité des chiffres et, le soutien de la France aidant, la Grèce fut admise au Conseil européen en juin 2000. Le 1er janvier 2001, soit deux ans après les autres membres, elle devint le douzième État à adopter l’euro et, le 1er janvier 2002, l’euro remplaça la drachme.

En septembre 2004, un audit (11) a révélé que le déficit public avait toujours été supérieur à 3 % du PIB depuis 1997 et qu’il avait atteint 5,3 % en 2004. Il aurait même été de 6,6 % en 1997 ! On découvrit alors que les chiffres avaient été falsifiés grâce à l’habileté comptable des conseillers de la banque Goldman Sachs par des rentrées fiscales gonflées et un rééchelonnement d’une partie de la dette. La dette publique avait atteint 100 %. Les ministres des Finances de la zone euro demandèrent à la Grèce de corriger rapidement ces déséquilibres. Et la Commission lança une procédure d’infraction pour non-respect des règles statistiques européennes (12). On peut être étonné de la réaction relativement modérée du Conseil. Il est vrai que, dans le même temps, la France et l’Allemagne avaient annoncé des déficits publics supérieurs à la limite fixée de 3 % – en fait, 4 % en 2003 et 3,6 % en 2004 pour la France. Et, sur leur pression, le Conseil ECOFIN repoussa même la recommandation de la Commission de réduire leur déficit. Quel exemple donné par les deux États membres qui ont « inventé » l’euro et les critères de Maastricht !

Pourtant, la situation grecque ne s’améliorait guère. Le déficit public pour 2009 était annoncé à 6 % du PIB. Or, nouveau coup de théâtre : revenu au pouvoir cette même année, le gouvernement d’Andréas Papandréou révélait qu’il atteignait en réalité 12,7 % du PIB ! Il renonça à son plan de relance et proposa des mesures d’austérité pour restaurer la confiance des créanciers et réduire le déficit. Mais il était déjà trop tard. Les agences de notation déclassèrent la Grèce, ce qui renchérit le coût des emprunts. Un an plus tard, le Premier ministre appelait l’UE à l’aide, car la dette avait atteint 150 % du PIB. La suite est connue : dix plans d’austérité, trois plans d’aide internationale, et la dette est aujourd’hui de 180 % du PIB.

Que s’est-il passé ? Au-delà de la falsification des chiffres, comment la dette publique a-t-elle pu exploser à ce point ? On peut avancer trois séries de raisons. En premier lieu, des recettes fiscales limitées par l’économie souterraine, estimée à 25 % du PIB, ainsi que par la fraude et l’évasion fiscales. Voilà bien le prix payé pour l’absence de période de préadhésion, puis de réformes dans les années 1980 et 1990. En second lieu, des projets dispendieux : Jeux olympiques de 2004, alors que de nombreux sites sont aujourd’hui abandonnés ; un budget militaire excessif, jusqu’à 4 % du PIB entre 1995 et 1999 ; et des emplois publics additionnels par milliers, par clientélisme politique.
Mais cette situation n’aurait pu perdurer sans les transferts financiers de l’UE et les emprunts à taux bas du fait de l’intégration à la zone euro. C’est la troisième série de raisons. La rente européenne, jamais vraiment mise en cause depuis l’adhésion, accrue par les transferts budgétaires sans condition, s’est trouvée sanctuarisée dans la zone euro. Le philosophe Nikos Dimou a décrit cette dernière étape avec humour : « Accepter la Grèce dans la zone euro a été irresponsable. C’est comme si on avait laissé un enfant de 5 ans libre dans une fabrique de chocolat ! (13) »

On ne peut que dresser in fine un constat sévère : la classe politique grecque n’a pas assumé ses responsabilités et les décideurs politiques dans la CEE, puis dans l’Union, ont laissé trop longtemps la situation se détériorer. Le poignard a bien été tenu par deux mains et il a frappé à trois reprises ! Cruelles leçons pour les institutions européennes et les États membres. D’abord, lorsque le politique – fût-il géopolitique – prend le pas sur les cadres juridique et économique établis en commun – ou la partialité sur la raison –, une dérive de la construction est à redouter. La leçon grecque a pourtant été quelque peu oubliée avec l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie ou encore avec l’adhésion trop souple de la Bulgarie et de la Roumanie.

Ensuite, il n’est que temps de revoir l’ampleur des fonds structurels et la conditionnalité attachée à leur mise en œuvre, surtout à la lumière des politiques adoptées récemment en Hongrie et en Pologne. Que les transferts financiers à hauteur de 3,1 % du PIB servent à consolider le gouvernement Orban (14), lequel conteste les valeurs et les principes de l’Union, dont celui de la solidarité, sont bien le signe qu’une réforme profonde est nécessaire.

Enfin, toute nouvelle politique doit pouvoir fonctionner par tous les temps. Et donc être pleinement assortie des éléments nécessaires à sa viabilité. C’est pour ne l’avoir pas fait avec l’euro, comme avec Schengen, que l’Union a vu les crises amplifiées. Dans ces domaines hautement sensibles, ne mutualiser sa souveraineté que partiellement ne peut en effet qu’aggraver les difficultés lorsque la tempête succède au temps calme. Les règles doivent être respectées ou adaptées. Car l’oubli de celles-ci ou, pis, leur détournement, ne peut que générer crises et dilution de la solidarité et affaiblir ainsi le « système européen ».

Salutaire leçon aussi pour les pays candidats des Balkans occidentaux qui mesurent bien que l’Union ne les acceptera pas sans que les critères et conditions aient été remplis. Car le succès d’une adhésion, c’est-à-dire de l’exercice en commun de souverainetés volontairement partagées, dépend d’abord du respect par chacun des règles qu’il a acceptées ou contribué à édicter pour le groupe. Il en va de la crédibilité de l’Union et de la réussite du projet européen.

* Les propos exprimés ici n’engagent que leur auteur.

Notes

(1) « La crise grecque. Un poignard dans le dos de l’Europe », in Confluences Méditerranée, no 94, 2015/3.

(2) Dans les Rapports de Progrès sur les Balkans occidentaux publiés par la Commission européenne, les derniers en date étant ceux du 9 novembre 2016.

(3) « Une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union. »

(4) Fonds européen de développement régional créé en 1975, Fonds social européen prévu par le Traité CEE, puis Fonds de cohésion décidé en 1994 pour les réseaux transeuropéens et le développement durable.

(5) Selon la Direction générale « Politique régionale » de la Commission européenne.

(6) Greece Macro Monitor, Eurobank EFG, 22 décembre 2011.

(7) « L’évasion fiscale dépasse 12 % du PIB en Grèce », lexpress​.fr, 8 juin 2012.

(8) Loukas Tsoukalis, « La Grèce dans l’Union européenne » Pôle Sud, vol. 18, no 1, 2003, p. 91-100, p. 96.

(9) George Andreou, « The governance effects of EU cohesion policy in Greece : the horizontal dimension », in Beyond “absorption”, the impact of EU structural funds on Greece, Konrad Adenauer Stiftung, 2016.

(10) Critères de convergence des politiques économiques et monétaires : le déficit annuel et l’endettement ne doivent pas dépasser respectivement 3 % et 60 % du PIB, l’inflation ne doit pas être supérieure de 1,5 % à la moyenne des trois États membres qui ont le taux le plus bas.

(11) Stéphane Duté, « Dette grecque : chronologie d’un désastre », ichtus​.fr, 9 juillet 2015.

(12) EUROSTAT avait d’ailleurs refusé de valider les statistiques présentées par la Grèce en 2002 et 2004.

(13) Nikos Dimou, « Les Grecs ont l’impression d’être innocents », propos recueillis par Alain Salles, Le Monde, 19 mai 2017.

(14) Country report Hungary 2017, European commission, SWD (2017) 82 final, 22 février 2017.

Article paru dans la revue Diplomatie n°88, « Europe : vers un retourdes conflits ? », septembre-octobre 2017.
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