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Ukraine : dans l’enfer des combats urbains, la technologie ne fait pas tout

Un an après le début de la guerre en Ukraine, ce conflit nous offre de multiples leçons sur les opérations à grande échelle du XXIe siècle. Parmi elles, deux sont lourdes d’enseignement : les combats pour le contrôle des villes répondent à des règles strictes connues, mais souvent oubliées ; la technologie s’est imposée comme un atout indéniable, mais pas encore décisif.

Si les secteurs urbains sont des environnements importants de ce conflit, chaque bataille a ses caractéristiques propres. Les batailles de Kiev, de Marioupol, de Kherson ou encore de Bakhmout, diffèrent en effet les unes des autres. Malgré l’hétérogénéité de ces affrontements urbains, il est possible de tirer plusieurs grandes leçons et de s’interroger sur la place que peut tenir la technologie dans la guerre urbaine.

Les villes sont des enjeux clés, même si elles n’ont aucune valeur militaire

Premier enseignement majeur, atteindre des zones urbaines s’est avéré très difficile. Contrairement à l’expérience américaine en Irak ou en Afghanistan, avec des environnements urbains « permissifs », faciles d’accès, ou même l’expérience azerbaïdjanaise à Chouchi, en novembre 2020, les forces russes ont dû batailler pour pénétrer dans les zones urbaines ukrainiennes. Les pertes, très élevées, ont poussé les états-­majors à parfois passer de la tactique de l’assaut frontal à celle de la guerre de siège.

Autre enseignement, les batailles urbaines en Ukraine ont vu l’engagement d’unités régulières, mais aussi irrégulières avec des capacités de combat plus puissantes. La Russie a engagé des unités de l’armée composées de conscrits, mais aussi de proxys, des mercenaires du groupe Wagner ou encore de Syriens. Tous, ces soldats ont mené des opérations militaires urbaines avec peu d’égard pour les populations civiles. Du point de vue des armées occidentales, ce type d’engagement total contraste fortement avec les affrontements urbains des vingt dernières années, durant lesquels les armées ont utilisé des tactiques irrégulières avec des capacités de combat de moindre puissance. Nos armées doivent donc se préparer à affronter des adversaires qui optent pour des règles d’engagement moins restrictives que les nôtres.

Globalement, le conflit en Ukraine montre que les villes sont des objectifs stratégiques, opérationnels ou tactiques. Depuis le mois de février 2022, les zones urbaines sont des points focaux où les combats les plus intenses et les plus durs se sont déroulés, et se déroulent encore. D’ailleurs, la plupart des observateurs à qui l’on a demandé de donner des noms de batailles citent des noms de villes comme Kiev, Marioupol, Kherson ou Severodonetsk. En réalité, aucun des deux adversaires n’a été en mesure d’éviter les zones urbaines, car celles-ci jouent un rôle important, sinon crucial. Kiev, par exemple, est le hub stratégique par excellence, par son statut de capitale qui abrite le gouvernement et de nœud de communication vital. L’Ukraine a défendu sa capitale avec succès, garantissant ainsi la survie du régime. Kherson est pour sa part une ville clé sur le plan opérationnel, mais aussi stratégique : port important sur la mer Noire, porte d’entrée vers la Crimée, capitale provinciale du sud de l’Ukraine. En reprenant la ville aux Russes, les Ukrainiens ont contrecarré l’objectif stratégique déclaré de Moscou, à savoir annexer toute la région de Kherson afin de créer un continuum terrestre entre les provinces de Donetsk et de Lougansk, et la Crimée.

Pour autant, d’autres villes n’ont pas de valeur stratégique, voire opérationnelle. Des villes comme Severodonetsk et Bakhmout représentent très peu de valeur militaire, car leur contrôle n’offre pas à l’un des deux camps un avantage sur son adversaire. Pourtant, les combats y ont été, et y sont encore comme à Bakhmout, très intenses.

Alors, pourquoi s’y battre ? Parce que ces villes sont importantes symboliquement ; les contrôler a pris une valeur politique. L’Ukraine refuse que des villes de 70 000 ou 100 000 habitants tombent aux mains de l’ennemi. La Russie cherche à les conquérir pour montrer qu’elle gagne du terrain. Bakhmout devient dès lors un symbole, au même titre que Verdun durant la Grande Guerre. Russes et Ukrainiens s’acharnent à faire tomber le symbole pour les uns, à le maintenir pour les autres.

Dans ce contexte si particulier des zones urbaines, le terrain joue un rôle capital. Celui-ci est caractérisé par des concentrations de populations civiles plus ou moins fortes, et par des infrastructures et de nombreux bâtiments de natures différentes. Or, on se rend compte que l’armée russe n’était pas bien préparée aux nombreux défis posés par la guerre urbaine. De leur côté, les Ukrainiens savent utiliser ce terrain pour le défendre. Les nombreuses infrastructures en béton dans les villes rendent très difficiles pour l’attaquant l’identification et l’élimination de son adversaire via des moyens aériens et de renseignement. Sur les plans tactique et opérationnel, le maillage urbain complique la manière dont une armée se meut et mène une offensive.

La guerre urbaine se caractérise par deux éléments : le défenseur a l’avantage sur le champ de bataille, et les combats rapprochés annulent l’avantage de l’attaquant offert par la puissance de feu et la supériorité technologique. Le défenseur connaît parfaitement le terrain. Ainsi, un avantage de 3 pour 1 est admis, mais il est fortement recommandé d’obtenir un avantage de 6 pour 1 (1). Quoi qu’il en soit, l’attaquant doit être prêt à subir de lourdes pertes pour atteindre ses objectifs. La ville de Bakhmout est un symbole fort sans valeur militaire. Le prix payé par les Russes pour se rendre maîtres d’une grande partie de la ville aura été exorbitant.

Globalement, avec 200 000 hommes lors de l’invasion en février 2022, la Russie n’a jamais été en mesure d’obtenir la supériorité requise pour les batailles urbaines.

Dans la guerre urbaine, le feu et la manœuvre sont indispensables

La tâche fondamentale de la guerre urbaine est de désavantager l’attaquant ou le défenseur avec le feu et la manœuvre : trouver, fixer et détruire un ennemi caché ou « enkysté » dans une position défensive fortifiée, mais aussi tenir ou prendre des points clés comme des zones fortifiées, des ponts, des rues ou des zones surélevées. Une armée peut aussi, comme à Kherson, mettre l’adversaire dans une situation si difficile qu’elle le force à quitter la ville sans même essayer de la défendre.

À Kiev, les Ukrainiens ont inondé certaines zones et forcé les Russes à emprunter des axes de progression préétablis pour mieux les neutraliser dans des embuscades. À Kherson, celui qui tenait les points de passage sur le fleuve parvenait à couper son adversaire de ses bases logistiques et de ravitaillement.

Le schéma du feu et de la manœuvre répond en partie au fameux triangle tactique auquel il faut ajouter la protection qui en forme la dernière pointe. Tout est question d’équilibre. Si l’un des trois éléments prend le dessus sur les deux autres, alors le déséquilibre engendre un blocage tactique. La Première Guerre mondiale est le parfait exemple de déséquilibre tactique : le feu empêche toute mobilité ; sortir des tranchées conduit au carnage ; le mouvement s’arrête, le front se fige dans un immense blocage. En Ukraine, notamment à Bakhmout, l’incroyable attrition a bloqué le mouvement. Les Russes y ont globalement dominé les Ukrainiens, mais à un coût en vies humaines incroyablement élevé. Les combats s’y déroulent malgré tout encore. Les soldats russes y confirment l’assertion de Primakov qui soulignait la capacité des Russes à souffrir avant de l’emporter. Notons que les Ukrainiens semblent eux aussi disposer de cette capacité, que nous appelons aujourd’hui la résilience. Rien ne semble donc totalement acquis.

L’autre facteur déterminant dans la guerre urbaine est la combinaison des armes : le feu (artillerie, roquettes et mortiers), les blindés, l’infanterie, le génie, les frappes aériennes, les différentes plateformes de reconnaissance (avions, hélicoptères, drones), le cyber, l’espace, la guerre électronique, etc. Cette combinaison s’effectue à un moment et à un endroit précis pour identifier et détruire les personnels ennemis ou bien ses centres névralgiques. Si les Russes ont des pertes en hommes très élevées, c’est bien qu’ils opèrent dans un schéma séquentiel, et non simultané : l’artillerie d’abord, puis les blindés, enfin l’infanterie. Il n’y a de ce fait aucun soutien mutuel.

Les armées doivent attaquer et défendre sans cesse, voire simultanément

Les villes ne pouvant pas être contournées, chaque camp qui y est engagé doit défendre ou attaquer. Guerres et batailles étant fluides, les armées doivent être capables d’attaquer et de défendre et de passer d’une posture à l’autre très rapidement. Au début du conflit, les Ukrainiens sont globalement en défense, mais ils parviennent à mener une contre-­attaque d’envergure contre les forces russes qui venaient de prendre l’aéroport d’Hostomel. Cet engagement illustre à la perfection la manière dont une armée doit être capable de passer d’un statut à un autre très rapidement pour prendre l’ascendant sur son adversaire. Dès les premières heures du conflit, les Russes larguent par hélicoptère 300 parachutistes pour se saisir de l’aéroport d’Hostomel. Celui-ci est pris et sécurisé en quelques heures. Au mois de janvier 2022, la CIA avait pourtant informé les Ukrainiens qu’Hostomel serait une cible privilégiée des Russes, mais la rapidité d’exécution a totalement pris les Ukrainiens par surprise. Néanmoins, les paras russes doivent faire face à de violentes contre-­attaques ukrainiennes et ne disposent d’aucune couverture aérienne. Les renforts arrivant de Biélorussie subissent par ailleurs de lourdes pertes dans des embuscades. Enfin, le gigantesque bouchon logistique russe hypothèque toute réussite de la mission. Soumis à une énorme pression de la part des Ukrainiens, ne recevant aucun ordre clair sur la posture à tenir, les Russes commencent à décrocher. Toute l’opération visant à s’emparer de Kiev à partir d’Hostomel est dès lors impossible à mener.

En septembre 2022, l’armée ukrainienne libère les villes d’Izioum et de Koupiansk capturées par les Russes durant les deux premiers mois de la guerre. Ces deux villes étaient en réalité des hubs logistiques russes très importants grâce à de bons maillages routier et ferré qui permettaient aux Russes de se ravitailler et de projeter des forces vers l’intérieur du pays. Les forces russes ont payé le prix fort pour prendre Izioum, mais n’ont pas été capables de la défendre et de s’y maintenir.

Marioupol est une autre bataille urbaine intéressante à plus d’un titre. Quelques centaines de soldats ukrainiens tiennent la ville face à un ennemi jusqu’à huit fois plus nombreux. Les défenseurs utilisent parfaitement le terrain urbain très dense, le complexe industriel avec son dédale de sous-sols. Cette bataille est stratégiquement importante pour les Russes. Sa capture permet de sécuriser l’accès à la mer d’Azov, que Moscou veut transformer en « mer russe ». Du côté ukrainien, cet engagement a des impacts opérationnels, car il fixe 40 000 soldats russes qui auraient pu se battre sur d’autres secteurs du front.

Toute proportion gardée, Marioupol n’est pas sans rappeler la « reine de toutes les batailles urbaines », Stalingrad. La ville, presque totalement détruite, est une véritable « impossibilité militaire » aux nombreux pièges, chausse-trapes, cachettes pour des embuscades, le tout avec un horizon bouché qui favorise les combats rapprochés. Dans les deux cités industrielles, les secteurs des usines Octobre rouge, Tracteur et Barricade pour Stalingrad, Azovstal pour Marioupol, sont de véritables dédales de passages et sous-sols parfaitement utilisés par les défenseurs. L’équipement lourd cède la place à du matériel plus léger, à de petites unités mobiles, rapides, agiles, capables d’attaquer et de défendre quasi simultanément. En ce qui concerne l’Ukraine, le général Yakovleff parle d’un retour à plus de « rusticité » chez les combattants dans des univers déconnectés.

Les manœuvres interarmes : la clé du succès

Cette guerre est menée par deux pays aux stratégies différentes. L’Ukraine version 2022 est très différente de celle qui s’est battue contre les séparatistes du Donbass. Les réformes amorcées à partir de 2014 et de l’épisode de la Crimée ont porté leurs fruits. L’armée ukrainienne a acquis une doctrine et des savoir-­faire, a complètement modifié et renforcé l’entraînement de ses soldats. Ses unités ont intégré une véritable culture militaire nouvelle, très occidentale, très anglo-­saxonne, pour finalement quitter l’univers soviétique. La décentralisation du commandement, le fameux « mission command » dérivé de la non moins célèbre Auftragstaktik prussienne puis allemande, a insufflé une culture du leadership nécessaire pour mener des manœuvres interarmes indispensables en territoire urbain.

La guerre urbaine est en effet le test ultime de la manœuvre d’armées combinées. L’armée qui intègre le mieux le feu, la manœuvre, l’infanterie, le génie, les blindés et le renseignement prend l’avantage sur son opposant. Or depuis 2022, ce sont bien les Ukrainiens qui ont le mieux mené ce type de manœuvres.

En face, l’armée russe a bien entamé des réformes, notamment à la suite du conflit syrien, pour justement mieux intégrer ces armées combinées, comme la 58e armée ou la 1re armée de tanks de la Garde (2), pleinement équipées. Mais le rythme n’a pas été assez soutenu. De ce fait, l’armée russe qui pénètre en territoire ukrainien en février 2022 est très disparate, avec des unités manquant de tout et mal commandées, et d’autres, parfaitement entraînées et équipées, comme les forces spéciales, jouant souvent un rôle d’unités d’infanterie, mais avec un énorme taux d’attrition. Globalement, l’armée russe est mal menée, peu motivée, mal équipée et mal entraînée. Le système très vertical laisse moins de place à la confiance entre les grades et à la prise d’initiative. Ainsi, l’armée russe connaît depuis plus d’un an des difficultés dans l’exécution de manœuvres complexes sur le champ de bataille. L’emploi d’armées combinées a donc cédé la place à ce qui a toujours fait sa force : la masse.

À Marioupol comme à Bakhmout, les Russes ont d’abord lancé de puissants barrages d’artillerie avant de lâcher des milliers d’hommes dans la fournaise des combats urbains. Cela a été efficace, mais à un coût humain très élevé et avec d’incroyables consommations de munitions.

Les technologies sont-elles des « game CHANGERS » ?

L’étendue et le degré de sophistication des technologies comptent moins que la manière dont celles-ci sont utilisées. Tel pourrait être l’adage de cette guerre en Ukraine. Dans ce contexte, l’Ukraine se montre plus agile et créative que son opposant russe. Elle tire aussi profit des livraisons d’armes perfectionnées occidentales, notamment américaines. Les technologies militaires utilisées par les Ukrainiens peuvent être classées en trois ensembles. Le premier, dit « tiers haut », comprend des systèmes très perfectionnés comme les HIMARS (High Mobility Artillery Rocket Systems), des missiles antiradars (AGM‑88 HARM pour High-speed Anti-Radiation Missiles), des batteries de missiles Patriot, des missiles antichars portatifs Javelin.

Le second, dit « tiers moyen », inclut des drones type Bayraktar TB2 turcs et Switchblade et ScanEagle américains. Livrés en grandes quantités, ces systèmes ne requièrent pas de formation technique poussée et offrent un avantage immédiat sur le champ de bataille.

Le troisième, dit « tiers bas », inclut des technologies commerciales disponibles « sur étagère » comme de petits drones civils, le système satellite Starlink d’Elon Musk ou encore l’intelligence artificielle pour la reconnaissance vocale, mais employée par l’armée ukrainienne pour analyser les conversations radios russes (3). Ces technologies civiles ont permis aux Ukrainiens d’améliorer le commandement et contrôle, leurs communications et leur connaissance des différentes situations sur le champ de bataille.

En face, la Russie apparaissait au départ comme technologiquement supérieure. Et pourtant, elle n’a pas réussi à tirer profit de cette supériorité supposée. En cause, un mauvais commandement et contrôle et un manque d’expertise. Par ailleurs, l’armée russe a fait le choix des technologies moyennes et basses et a fortement hésité à engager ses matériels les plus perfectionnés, comme les chasseurs Su‑57 ou les chars Armata T‑14. Comme l’Ukraine, elle a déployé des drones civils pour la reconnaissance, le renseignement ou le bombardement, mais aussi des drones iraniens Shahed‑136. En revanche, l’armée russe garde un avantage dans la catégorie des missiles de croisière de précision à long rayon d’action. Selon une récente étude du Royal United Service Institute of Defence and Security Studies britannique, les Russes détruisent 10 000 drones ukrainiens (de petits drones commerciaux dans une grande majorité) par mois grâce à un système sophistiqué de guerre électronique (4). Ces chiffres sont sûrement surestimés, mais cela montre que la guerre électronique russe est très efficace et que l’armée russe parvient à s’adapter et à trouver des parades.

Mais ces technologies sont-elles pour autant des « game changers » en milieu urbain ? Il est évident que l’utilisation de l’IA, de petits drones de reconnaissance et de Javelin antichars a favorisé les Ukrainiens. Mais la technologie ne fait pas tout ; du moins, pas pour le moment. La guerre urbaine répond à des règles (5) qui favorisent le défenseur, souvent moins fort que son opposant. Cet état de fait ne changera pas tant que les règles ne seront pas modifiées avec de nouvelles tactiques de combat, de nouvelles technologies et de nouvelles armes. Certaines de ces technologies existent déjà, mais elles ne sont pas déployées en assez grand nombre et sont encore coûteuses. Il peut s’agir d’armes guidées de précision sans ligne de visée (NLOS), de drones VTOL (Vertical Take Off and Landing), de drones ISR, voire ISTAR, équipés de caméras ultra-­haute définition, d’intelligence artificielle, de robots terrestres OMFV (Optionally Manned Combat Vehicles), de systèmes C‑UAS (Counter-Umanned Aerial Systems), de capteurs hyperspectraux ou Ultra-­Wide Band pour repérer la présence humaine dans les bâtiments, de brouilleurs GNSS, etc. En théorie, des manœuvres interarmes, combinées et multidimensionnelles pourraient transformer la guerre urbaine à l’avantage de l’attaquant.

Une autre technologie, encore balbutiante, pourrait réellement changer la donne : la quantique. Le gravimètre quantique sera capable de scanner les cavités et les sous-sols avec une extrême précision. La première génération sera déployée comme capteur statique, à bord d’un véhicule. Le rayon d’action sera faible. La génération suivante sera plus sensible et la résolution spatiale sera meilleure. Avec la réduction du SWaP (Size, Weight and Power ou taille, poids et puissance), les capteurs pourront être installés dans des avions, des drones, voire des satellites en orbite terrestre basse. Dans ce contexte, l’ISTAR quantique offrira une grande précision susceptible d’améliorer ou d’introduire de nouvelles applications comme le balayage souterrain. Avec une telle technologie, une armée sera capable de voir son ennemi jusque dans les moindres recoins des sous-sols et des cavités les plus enfouies et inaccessibles. La transparence du champ de bataille sera dès lors totale.

La technologie n’est qu’un outil, l’homme reste central

Dans ce contexte, la technologie favorise la victoire sans pour autant la garantir. Attention, donc, à la dépendance technologique qui fait ressortir les failles ou en crée de nouvelles. Attention aussi à ne pas être aveuglés par des technologies « miracles ». N’oublions pas que la modernisation draine autant les opportunités que les vulnérabilités.

Au combat, le soldat reste central, décisionnel, utilisateur de technologie (mais bien formé à cette utilisation), mais a besoin de rester « rustique ». Le général Yakovleff soulignait l’importance de la « rusticité » du soldat dans un environnement littéralement « débranché ». C’est une sorte de retour aux fondamentaux pour faire face à l’imprévu, pour s’affranchir de la technologie dans un milieu hostile et déconnecté. Le combat urbain est brutal, au corps à corps. Les armes les plus utiles sont celles qui tirent à courte portée, comme les armes antichars et les mitrailleuses, et le poignard reste par excellence l’outil du combat rapproché. Le combat est « charnel, tribal, violent, sanglant (6) ».

La technologie est un moyen, un outil, un levier d’efficacité capable de suggérer de nouvelles modalités d’engagement en milieu urbain. Relisons John F. C. Fuller pour qui l’apparition d’une rupture technologique permet à la pensée militaire de s’adapter à l’innovation (7). Le renouveau du combat urbain passera par un travail de réflexion sur la combinaison des armes avec les nouvelles technologies (cyber, IA, quantique, etc.), par l’évolution des doctrines en fonction de ces nouvelles technologies présentes et à venir, mais sans oublier de réserver la place centrale et décisionnelle à l’homme.

Notes

(1) C’est ce que recommande la doctrine américaine.

(2) Brigade d’artillerie, brigade de roquettes, brigade antiaérienne, brigade de reconnaissance, brigade de transmission, compagnie de forces spéciales, compagnie chimique, bataillon ECM (contre-mesures électroniques), régiment du génie, brigade d’infanterie (fusiliers) mécanisée.

(3) L’IA a pu collecter, retranscrire, traduire et analyser le contenu des conversations russes grâce aux algorithmes développés par la société américaine Primer.

(4) https://​static​.rusi​.org/​4​0​3​-​S​R​-​R​u​s​s​i​a​n​-​T​a​c​t​i​c​s​-​w​e​b​-​f​i​n​a​l​.​pdf

(5) John Spencer, président de la chaire d’études sur la guerre urbaine à West Point en relève huit : le défenseur a l’avantage ; l’absence de reconnaissance, de renseignement et de surveillance diminue la capacité d’engagement à distance de l’attaquant ; le défenseur peut voir et engager l’attaquant qui s’expose ; les bâtiments sont transformés en forteresses inexpugnables ; l’attaquant doit user d’une grande force de frappe pour pénétrer les bâtiments ; le défenseur dispose d’une plus grande liberté d’action en zone urbaine ; les sous-sols servent de refuges ; ni l’attaquant ni le défenseur ne peut concentrer suffisamment de forces contre son ennemi.

(6) Vincent Desportes.

(7) John F. C. Fuller, L’influence de l’armement sur l’histoire, Payot, 1948.

Légende de la photo en première page : Les abords de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine. Cette ville ne revêt aucun intérêt militaire, mais est devenue un véritable symbole, de conquête pour les Russes, de défense pour les Ukrainiens. (© Armed Forces of Ukraine)

Article paru dans la revue DefTech n°06, « Comment survivre au combat ?», Juillet-Septembre 2023.
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