Areion24.news

Les enjeux d’intégration de l’intelligence artificielle et de la robotique militaire sur le champ de bataille

Les six premiers mois du conflit russo-ukrainien nous ont apporté de précieux enseignements sur l’évolution du combat de haute intensité dans un contexte de symétrie opposant deux belligérants dotés chacun d’armements de haut niveau technologique. Ces enseignements doivent nous guider dans la nécessaire mise à jour des pratiques opératives, des doctrines et des futures orientations de notre base industrielle de défense.

Le retour des conflits de haute intensité aux portes de l’Europe bouleverse les équilibres stratégiques, les tactiques et les doctrines. Le champ de bataille se transforme en un espace multidimensionnel complexe, intégrant des systèmes de systèmes, de la robotique aéroterrestre et, de plus en plus souvent, de l’intelligence artificielle au sein des centres de commandement et de contrôle (C2) et des systèmes d’armes.

Quels enseignements tirer après les six premiers mois du conflit russo-ukrainien ? 

« L’opération spéciale » russe imaginée initialement par le président Poutine comme une opération « éclair » s’est transformée en une guerre de position longue, de haute intensité sur les lignes de front, opposant des forces militaires bien entrainées et dotées de matériels de haut niveau technologique. Les forces ukrainiennes soutenues par l’OTAN bénéficient, entre autres, des livraisons régulières de systèmes d’armes américains, mais aussi de matériels anglais, canadiens, turcs, et français avec notamment le don de dix-huit canons Caesar. Du côté russe, seconde puissance militaire mondiale, l’engagement a été fortement sous-dimensionné en début d’opération, à partir de renseignement de mauvaise qualité : les fortes capacités de résistance ukrainienne et l’inefficacité opérationnelle de certains bataillons russes, souffrant chroniquement d’une logistique défaillante, ont engendré la situation actuelle. Les pertes importantes en hommes et en matériels de part et d’autre ont obligé les deux belligérants à constamment réadapter leurs dispositifs et à alterner les phases offensives et défensives. Les deux adversaires ont opté pour l’engagement systématique de drones aériens de toutes tailles, qu’il s’agisse des drones d’attaque MALE (Medium Altitude Long Endurance), des drones kamikazes ou des mini-drones porteurs de charges opérés comme une munition rodeuse par les combattants au sol. Du côté ukrainien, les drones d’attaque TB2 Bayraktar achetés à la Turquie, couplés à l’artillerie et guidés de nuit par le système satellitaire Starlink, ont permis à l’armée ukrainienne de ralentir puis de contenir le « rouleau compresseur russe » en détruisant de nombreuses positions, colonnes de chars et blindés. Du côté russe, l’usage systématique de drones de renseignement, de drones d’attaque, de drones porteurs de charges, a permis de réduire les capacités de résistance ukrainiennes et la pression des systèmes d’armes livrés par l’OTAN. On notera le rôle central des drones dans le réglage et le guidage de précision des tirs d’artillerie, dans le largage « à la verticale des cibles » de mortiers et grenades sur des positions de tranchées. La montée en puissance des drones d’attaque et des drones porteurs de charge a été décisive durant la guerre d’Arménie – Azerbaïdjan, durant le conflit syrien, durant la guerre du Yémen et durant le conflit russo-ukrainien. Il s’agit d’une tendance lourde qui transforme en profondeur les opérations militaires. Le très grand nombre de chars et blindés russes détruits par le trio « Drones – Artillerie – Guidage Satellitaire » doit susciter une réflexion globale et une révision des doctrines d’engagement traditionnelles. À l’avenir, quel jeune soldat acceptera d’intégrer un équipage de char, connaissant son niveau d’hyper-vulnérabilité aux attaques par drones ? Les colonnes de chars et blindés en mouvement devront être systématiquement protégées par une flotte de drones évoluant en soutien à la verticale de la colonne avec des systèmes de détection et de réponse automatisée aux lancements de missiles de type Manpad. Les chars et blindés devront tous être conçus en double mode piloté et téléopéré à équipage déporté hors du véhicule. Cette « dronification » du char de combat permettra de faire baisser le niveau de létalité durant les manœuvres et les projections de forces en profondeur. L’intégration de l’intelligence artificielle d’aide à la décision au sein des centres de commandement et de contrôle (IA C2) accélèrera toutes les étapes de la boucle OODA (Observation – Orientation – Décision – Action) en tant que modèle de prise de décision compétitive. La robotique associée à l’intelligence artificielle deviendra alors le facteur déterminant dans toute victoire militaire. 

Le rôle de l’intelligence artificielle dans l’art de la guerre

Les puissances militaires mondiales considèrent l’IA comme un moyen de révolutionner la guerre et de prendre l’avantage sur leurs ennemis. Une guerre s’appuyant sur l’IA ne dépendra pas d’une unique typologie d’armes, de technologies ou de concepts opérationnels mais s’organisera autour d’un vaste ensemble de composantes intégrées, coopérant en mode « haute fréquence » au service du commandement militaire. La supériorité opérationnelle d’une armée sera alors déterminée par la quantité et la qualité des données qu’elle détient, par les algorithmes qu’elle développe, par les réseaux pilotés par l’IA qu’elle connecte, par les systèmes d’armes activés par l’IA qu’elle déploie et par les concepts d’exploitation proposés par l’IA qu’elle adopte pour créer de nouveaux modes de guerre. L’IA s’apprête à transformer l’art de la guerre dans toutes ses dimensions : de l’espace sous-marin à l’espace extra-atmosphérique, du cyberespace à l’ensemble du spectre électromagnétique. À très courts termes, l’IA interviendra dans la prise de décision stratégique, dans la conception et la planification opérationnelle, dans les manœuvres tactiques sur le terrain et dans le soutien administratif et logistique. L’IA rendra le processus de recherche et de neutralisation de cibles militaires plus rapide et plus efficace. Elle augmentera la précision de l’identification de la cible et minimisera les dommages collatéraux. Actuellement, ce processus repose sur la transmission des données issues de capteurs à un système d’armes qui ouvre le feu sur la cible, à travers une série d’opérateurs humains qui valident « manuellement » les différentes étapes de la séquence d’actions. L’IA va automatiser certaines des étapes du processus de décision en réduisant les délais intermédiaires. Elle permet de fusionner de grands volumes de données de capteurs, de les trier, de les hiérarchiser puis de transmettre au commandement militaire les informations exploitables. Durant l’opération militaire, de nombreuses composantes d’IA orienteront les actions des opérateurs humains. 

Les premières fonctions justifiant les utilisations militaires de l’IA sont les suivantes :

 l’analyse en temps réel et l’automatisation de la réponse ;

 l’exécution de tâches automatisées simples à grande échelle ;

 le contrôle des systèmes robotiques semi-autonomes et autonomes ;

 la reconnaissance de modèles pour prédire des tendances futures ou détecter des anomalies ;

 la classification et la reconnaissance d’objets et de signaux dans de grands ensembles de données ;

 l’optimisation des systèmes pour atteindre un objectif ;

 l’amélioration de la qualité de la prise de décision.

L’IA accélère toutes les étapes de la boucle OODA en réduisant les délais « humains ». 

L’étape d’observation (O) de la boucle OODA bénéficie des apports de l’IA dans le traitement de grandes quantités d’informations bien plus rapidement et plus précisément qu’une analyse humaine. Un analyste géospatial humain numérisant des images pour rechercher spécifiquement un blindé de couleur verte sera limité par l’observation simultanée d’un ou deux écrans. L’analyste peut prendre plusieurs heures pour trouver ce blindé et risque de repérer par erreur un véhicule de couleur proche. En revanche, une plateforme de computer vision saura analyser des dizaines de flux vidéo hétérogènes et identifier plus précisément des signatures spectrales voisines que l’œil humain ne peut pas distinguer. 

L’IA enrichit les étapes d’orientation (O) et de prise de décision (D) en dépassant les limites cognitives humaines du traitement de l’information. Un algorithme de reconnaissance d’images peut s’entraîner sur des millions d’images en une seule journée, alors qu’un analyste humain serait formé pendant des mois sur des volumes d’images bien plus restreints. En plus de ses capacités d’aide à la décision en contexte militaire, l’IA peut prédire les résultats d’un plan d’action potentiel et évaluer des variables environnementales ou contradictoires qui échapperaient à une analyse humaine. L’IA fournit des capacités d’arbitrage des plans d’action et de redéfinition dynamique des priorités en prenant en compte, en temps réel, un large éventail de risques potentiels. 

Arrivés à l’étape cruciale de la prise de décision (D), les chefs militaires doivent agir dans des délais souvent très courts, avec précision et exactitude. Les humains sont par nature limités dans le temps dont ils disposent pour lire des rapports, observer des flux de données et établir des liens entre des entrées (inputs) et des sorties disparates. Une solution d’aide à la décision s’appuyant sur l’IA peut ingérer, traiter et synthétiser beaucoup plus d’informations à une vitesse surhumaine. Cela permet aux décideurs d’obtenir une représentation plus complète de la « vérité de terrain » lorsqu’ils en ont besoin. 

L’IA renforce la coordination des fonctions de combat (A). Grâce à ses capacités de prédiction, la technologie permet aux combattants de coordonner les fonctions de manière nouvelle et innovante. Concrètement, une solution de computer vision est capable d’identifier et d’assurer le suivi d’une cible, même lorsque celle-ci disparaît de la ligne de mire, derrière des bâtiments d’une zone urbaine dense ou lorsqu’elle passe dans un tunnel. En reconstruisant en temps réel le mouvement de la cible à l’aide de sa position, de sa vitesse de déplacement et de facteurs de contexte, l’IA peut non seulement maintenir le suivi, mais également prédire où la cible sera située vingt minutes plus tard. Cette capacité de prévision-prédiction de position est d’un grand intérêt opérationnel dans le cadre, par exemple, d’un guidage d’ouverture de feu de l’artillerie.

Dans des situations incertaines ou très évolutives, l’IA peut prendre en charge la redistribution dynamique des actifs en temps réel tout en optimisant certaines variables d’état du dispositif de combat. L’IA peut « voir en avance de phase » dans l’espace de combat en fournissant aux chefs militaires et aux combattants la capacité de voir vers l’avant et de réagir de manière proactive plutôt que réactive. Un cas concret est celui d’un analyste recevant un rapport indiquant qu’une ressource militaire adverse (typiquement un avion ou un drone) s’est déplacée de sa position normale vers un aérodrome voisin. Le renseignement humain sur le terrain confirme cette nouvelle activité. L’IA a le potentiel de connecter ces différents rapports traditionnellement cloisonnés et de brouiller les ressources défensives pendant que l’avion ennemi est toujours sur le sol ennemi, plutôt que d’attendre qu’il soit détecté entrant dans l’espace aérien ami. 

L’IA permet d’agir sur l’ensemble du dispositif en répartissant par exemple des ressources et des connaissances sur plusieurs nœuds opérationnels d’un réseau pour favoriser une connaissance partagée de la situation. Une information ou une connaissance apprise par un seul nœud peut être partagée et appliquée à l’ensemble du dispositif de combat en temps réel. Cette capacité relève de la connaissance en essaim et de ses algorithmes spécifiques. 

Les multiples cas d’usage de l’IA militaire
Le renseignement, la surveillance et la reconnaissance (ISR)

La collecte de renseignements repose sur de très grands ensembles de données hétérogènes : des documents textuels, des images, des vidéos, des données audios, des informations d’interception électronique, des informations sources ouvertes collectées sur Internet. L’IA est utilisée pour le traitement et l’analyse de ces données. En s’appuyant sur des algorithmes de reconnaissance de la parole ou de signaux, il est possible de « nettoyer » les données provenant d’environnements bruyants. Les composantes d’apprentissage automatique contribuent à l’analyse des données brutes, par exemple avec la traduction automatique et la synthèse de textes, l’identification d’objets à partir d’images, la géolocalisation d’images sur des cartes ou la fusion d’images bidimensionnelles pour créer des modèles tridimensionnels. L’IA peut être utilisée dans l’analyse automatique de comportement de sujets d’intérêt comme, par exemple, l’analyse de fréquentation d’un bâtiment sous surveillance pour en déduire sa fonction sur la base d’une analyse de son cycle de vie. 

L’automatisation des processus organisationnels

Les forces armées, comme toutes les grandes organisations, s’appuient sur un grand nombre de processus organisationnels, administratifs et de gestion des données pour atteindre leurs objectifs. Ces processus sont composés de séquences répétitives (des routines) qui peuvent représenter une charge de travail importante. L’utilisation de l’IA pour automatiser ces tâches permet de réaliser des économies en temps de réalisation, en ressources humaines. Les gains en productivité peuvent être très importants en libérant des ressources qui seront réaffectées sur des tâches complexes à plus haute valeur ajoutée. L’IA est régulièrement utilisée dans les segments de gestion du personnel (recrutement, analyse automatique de CV), de logistique, de gestion financière et de comptabilité. 

Les opérations cyber défensives et offensives 

La cybersécurité est l’un des domaines où les composantes d’IA sont de plus en plus intégrées aux solutions et plateformes. Les menaces cyber (attaques par logiciels malveillants — malware, ransomware, spyware, crypto-miner, attaques réseaux DDoS, fraudes, usurpation d’identité) évoluent rapidement en furtivité et se complexifient. Ces cyberattaques exigent une vitesse de réaction supérieure à celle de la prise de décision humaine. Les systèmes d’IA (solutions SIEM UEBA) peuvent identifier de manière proactive les activités suspectes et répondre aux cyberattaques en temps réel. En recherchant des schémas de comportement suspects qui dévient de la normale, les composantes d’apprentissage automatique peuvent repérer des signaux caractéristiques dès le début de l’attaque et produire des alertes. L’IA peut également être utilisée dans une « cyberguerre » offensive afin d’identifier les points faibles des défenses des réseaux de l’adversaire, mais aussi pour concevoir de nouveaux logiciels malveillants. Lors du « Cyber Grand Challenge CGC » organisé par la DARPA en 2016, les équipes participantes ont développé des algorithmes d’IA capables d’identifier et de corriger de manière autonome les vulnérabilités de leurs logiciels d’exploitation tout en attaquant simultanément les réseaux adverses en exploitant les faiblesses et vulnérabilités des autres équipes. Les algorithmes ont été capables de détecter et de corriger les vulnérabilités de sécurité en quelques secondes, contre parfois des mois en utilisant les approches conventionnelles de la cybersécurité. Le logiciel développé dans le cadre du défi CGC était capable d’assumer simultanément des rôles offensifs et défensifs, offrant ainsi de nouvelles capacités à l’utilisateur dans le cadre d’une cyberguerre réelle.

La guerre électronique 

Les opérations militaires et pratiquement les systèmes d’armes dépendent du spectre électromagnétique dans une grande variété de fonctions. Ces systèmes utilisent des radiofréquences, des micro-ondes, des radars et des communications par satellite. En contexte d’opération militaire, il faut offrir et sécuriser un accès libre au spectre électromagnétique pour les forces amies et interdire autant que possible ce spectre aux forces ennemies. La guerre électronique est une action qui utilise l’énergie électromagnétique pour contrôler le spectre électromagnétique, attaquer un ennemi et bloquer ses attaques. L’IA a un rôle à jouer dans toutes les composantes de la guerre électronique, notamment en déployant des capacités de traitement de la menace en mode haute fréquence. Les derniers programmes et challenges DARPA s’appliquent au développement d’algorithmes d’IA intégrés aux systèmes de guerre électronique embarqués dans les avions de combat F-15 puis F-35. Ces composantes devront répondre en temps réel aux menaces émergentes et fournir aux systèmes des capacités de reprogrammations rapides et d’apprentissage automatique adaptatifs. D’autres programmes DARPA ont été lancés pour développer grâce à l’IA des technologies de guerre électronique pleinement autonomes. Les programmes DARPA en cours, ARC (Adaptive Radar Countermeasures) et BLADE (Behavioural Learning for Adaptive Electronic Warfare) utilisent l’IA pour caractériser de manière autonome « à la volée » une menace de type guerre électronique puis pour concevoir et activer, via l’IA, une série de contre-mesures en temps réel. 

Les systèmes C2 de « Command and Control » et d’aide à la décision 

Les systèmes de commandement et de contrôle aident les opérationnels à diriger les tâches et à contrôler les forces affectées à une mission. Ils contribuent à présenter les informations au commandant dans un format facilement compréhensible afin d’aider à la prise de décision. Les composantes d’IA sont utilisées depuis plusieurs décennies dans les plateformes et solutions C2. Par exemple, lors de la guerre du Golfe en 1991, le United States Transportation Command (USTC) a utilisé la plateforme DART (Dynamic Analysis and Replanning Tool), outil dédié à l’analyse et à la planification dynamique, développé par BBN Systems et ISX Corporation dans le cadre d’un programme de la DARPA, pour planifier et résoudre les problèmes d’approvisionnement et transport de fournitures militaires depuis les bases américaines en Europe vers le Moyen-Orient. L’IA symbolique, l’optimisation combinatoire et les solveurs étaient déjà intégrés à l’outil de planification DART. Trente années plus tard, l’apprentissage statistique peut être utilisé pour rassembler, intégrer et structurer de très grands volumes de données issues d’une multitude de capteurs, au sein d’un outil unifié de gestion de l’information. Cette solution fournit une image opérationnelle commune pour le commandement militaire sous la forme d’une carte montrant les objets d’intérêt sur un champ de bataille, tels que les positions des forces amies et ennemies, les infrastructures importantes, les manœuvres en cours et les informations opérationnelles pertinentes.

Les systèmes d’aide à la décision basés sur l’IA sont déjà utilisés dans des applications de diagnostic médical pour analyser les informations et proposer des plans d’action potentiels ou des protocoles médicaux aux opérateurs humains, infirmiers et médecins. Dans le domaine militaire, les systèmes d’aide à la décision sont destinés à soutenir les chefs militaires répondant à des événements en cours sur le champ de bataille. Ce soutien s’effectue sur la base d’une analyse en temps réel des données et d’une connaissance de la doctrine de combat de l’ennemi. Le système présente un menu d’actions possibles au commandant, avec une indication et une explication des conséquences probables de chacune de ces actions. Même si le jugement humain demeure essentiel dans la prise de décision en matière de commandement et de contrôle (C2), la rapidité et la puissance des outils basés sur l’IA peut aider à éliminer les tâches périphériques, permettant ainsi au donneur d’ordre d’être plus efficace sur les tâches essentielles. 

Les opérations à distance en environnement risqué 

Les systèmes robotiques et automatisés ont vocation à effectuer des missions militaires « ennuyeuses, sales ou dangereuses » (« dull, dirty, dangerous ») en remplaçant et éloignant les opérateurs humains du risque. La robotique semi-autonome permet par exemple la détection et l’élimination des explosifs, les opérations de dragage de mines en mer ou sur terre, ou encore la reconnaissance dans des environnements hostiles.

Les véhicules autonomes et la robotique militaire 

Les drones et les robots terrestres téléopérés ont été utilisés efficacement au combat au cours des deux dernières décennies. Les composantes d’IA sont de plus en plus souvent intégrées aux systèmes robotisés (UAV, UGV, USV) pour permettre à ces systèmes de fonctionner de manière autonome. Les applications de l’IA dans ce domaine sont similaires à celles développées pour les véhicules sans conducteur du secteur industriel civil qui utilisent des capteurs et des logiciels d’IA pour percevoir l’environnement, reconnaître les obstacles, fusionner les données des capteurs, naviguer et communiquer avec d’autres véhicules. Les technologies sont désormais suffisamment matures pour que les véhicules semi-autonomes militaires soient massivement déployés sur les théâtres d’opérations. Des drones aériens capables de voler de manière totalement autonome sont en cours de développement aux États-Unis, en Chine et en Russie. 

La robotique en essaim 

Des composantes d’IA orientées « multi-agents » ont été développées pour permettre à une flottille autonome de drones, de robots terrestres ou marins de se déplacer et d’agir comme un essaim intelligent. Inspirées des essaims d’insectes ou d’étourneaux, les essaims robotisés sont capables de coopérer pour se déplacer (algorithme de consensus de l’essaim sur un mouvement), pour surveiller une zone ou pour détruire une cible en fonctionnant de manière autonome, sans contrôle central. Une mission peut être définie globalement et programmée pour l’essaim à partir d’algorithmes multi-agents, sans avoir à programmer individuellement chaque composant (agent) de l’essaim. Cette configuration apporte de la résilience au dispositif qui peut poursuivre sa mission même si une partie de l’essaim a été neutralisée par l’ennemi.

Les systèmes d’armes létaux autonomes (SALA)

Les SALA sont des systèmes d’armes actionnés par l’IA, capables d’identifier, d’engager et de détruire une cible sans aucune interaction humaine. Ils s’appuient sur la combinaison d’un système de capteurs qui surveille l’environnement, d’une solution d’IA capable d’identifier un objet en tant que cible potentielle et de décider de l’engager ou non, et d’armes qui peuvent détruire la cible. Les technologies sous-jacentes qui, une fois combinées, constituent un SALA, se développent très rapidement, en étant de plus en plus performantes et accessibles en termes de coût. Cette évolution va induire une très forte dissémination des SALA au sein des armées régulières mais également au sein de groupes terroristes ou mafieux. Ces systèmes qui peuvent acquérir et engager des cibles de manière autonome sont principalement des systèmes défensifs, tels que les systèmes de défense aérienne, ou le robot sentinelle SGR-A1 déployé à la frontière de la Corée du Sud. Ces systèmes sont destinés à être utilisés sous la supervision de l’homme et à tirer de manière autonome dans les situations où le temps d’engagement est jugé trop court pour que l’homme puisse réagir. Les systèmes d’armes capables d’acquérir et d’engager des cibles de manière autonome et offensive se développent rapidement. 

Les opérations de désinformation et manipulations en ligne

Les plateformes de réseaux sociaux sont de plus en plus utilisées comme source de données et d’informations. Le succès d’audience de ces réseaux ouvre de nouvelles opportunités pour organiser des opérations de désinformation à grande échelle. Des acteurs malveillants, étatiques ou non, utilisent les réseaux sociaux en s’appuyant sur des architectures de profils fictifs pour diffuser de fausses informations (« fake news »), dans le but d’engendrer des divisions, de fracturer les opinions, d’amplifier les conflits, de dégrader l’image d’une cible, de manipuler les processus démocratiques et de cibler des individus pour les radicaliser ou les encourager à désobéir à des consignes. Ces opérations d’influence peuvent être menées collatéralement à des opérations militaires « sur le terrain » pour accélérer ou aider à atteindre les objectifs opérationnels (cf. les opérations du groupe russe Wagner au Mali et dans le cyberespace visant à dégrader l’image de l’armée française sur place). Les comptes « bots » (de faux profils alimentés par des applications logicielles qui exécutent des tâches automatisées simples et répétitives) peuvent désormais être supervisés et actionnés par des composantes d’IA (par exemple GPT2, GPT3 Open AI) pour mener de telles campagnes en créant de fausses identités en ligne et en diffusant des informations tout en restant indétectables. Les solutions d’IA peuvent également être utilisées pour extraire des données des médias sociaux afin de créer un « modèle de vie » numérique associé à des personnalités, des représentants du gouvernement, des politiciens et des membres des forces armées — à des fins de manipulation. Les techniques de synthèse d’images par l’IA (réseaux GAN, deep learning) permettent d’engendrer des faux parfaits, de créer des médias synthétiques — des photos et des séquences vidéo de plus en plus réalistes et complexes qui peuvent ensuite être utilisées pour soutenir des campagnes de manipulation ou de désinformation offensive en ligne. 

Pour conclure…

La course mondiale à « l’IArmement » a débuté avec la robotisation globale du champ de bataille. Les trois premières puissances militaires mondiales (États-Unis, Chine, Russie) sont désormais confrontées à la montée en puissance technologique d’acteurs du « second cercle » dont l’Inde, le Pakistan, l’Iran, la Turquie, les Corées, Israël, l’Australie, le Canada, qui, chacun à leurs niveaux, développent des systèmes d’armes robotisés, des flottilles de drones multi-mission et de l’IA militaire d’aide à la décision. Les rapports de force et équilibres ne sont jamais figés. Ils peuvent évoluer, être contestés ou remis en question par la technologie. Pour se maintenir dans cette nouvelle course aux armements, la France doit soutenir sa filière industrielle robotique – IA. Il en va de sa souveraineté et de sa sécurité !

Légende de la photo en première page : Vue d’artiste d’un essaim de drones de combat. Selon la revue NewScientist, en mars 2021, l’armée israélienne aurait utilisé des essaims de drones épaulés par une intelligence artificielle et des supercalculateurs pour identifier les cibles et organiser ses frappes dans la bande de Gaza. Tsahal affirme que l’IA apporte une réduction considérable de la durée des combats. (© Shutterstock)

Quitter la version mobile