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L’interminable chute du commerce extérieur français : enjeux et perspectives

Le déficit commercial français a atteint un niveau record en 2022, entrainant une perte de souveraineté financière et de revenu national potentiel qui fragilise le pays et qui impose une véritable prise de conscience des enjeux de compétitivité et d’attractivité.

En 2022, la France a connu un déficit commercial de 164 Md€, soit 6 points de PIB. Ce record historique depuis au moins 1949 — date des premières données de comptabilité nationale — a trouvé un écho important dans la presse. Mais le déficit commercial record de 2022 est pour une grande partie attribuable à des facteurs exceptionnels : hausse des prix des hydrocarbures, difficultés de production d’électricité en France qui en est devenue importatrice nette, perturbation des chaînes d’approvisionnement dans l’industrie, et en particulier dans l’automobile et l’aéronautique, dont la production a été freinée. Ces explications exceptionnelles et donc, il faut l’espérer, temporaires, brouillent quelque peu le diagnostic qui peut être fait sur le commerce extérieur en 2022.

Un problème ancien

Le problème, c’est que le déficit commercial record de 2022 s’inscrit dans la continuité d’une longue tendance amorcée au début des années 2000, qui a vu nos échanges en biens, hors énergie, se dégrader lentement. La France a pourtant largement bénéficié de l’ouverture des échanges internationaux au cours des dernières décennies. Ses exportations en biens sont montées à près de 22 % du PIB en 2019 contre 20 % en 2000 : elles ont donc constitué un véritable moteur de croissance pour l’économie nationale. Les importations ont également augmenté plus rapidement que le PIB au cours des deux dernières décennies, traduisant la capacité de la France à tirer profit de la production de ses partenaires commerciaux, tant en quantité qu’en variété de produits et en innovations. La dégradation du solde commercial, c’est-à-dire la différence comptable entre les exportations et les importations, traduit quant à elle un affaiblissement de la production française, qui ne se retrouve pas chez nos proches voisins.

Le creusement du déficit commercial doit être lu à l’aune de la dégradation de la part de la France dans les exportations de la zone euro. Cet indicateur calculé à partir des statistiques douanières des pays de la zone euro rassemblées par Eurostat permet de situer la compétitivité de la France relativement aux autres pays européens. C’est un bon ensemble de comparaison, car ce groupe de pays partagent la même monnaie, des politiques commerciales proches et un niveau de développement de leur économie comparable. Par rapport aux autres pays européens, notamment l’Allemagne mais aussi l’Espagne et dans une moindre mesure l’Italie, la France se singularise par une baisse quasi-continuelle des parts de marché à l’exportation depuis 20 ans. De 17 % en 2000, la part des exportations françaises dans celles de la zone euro est tombée à 12 % en 2022. Pour donner un ordre de grandeur de ce que représente ce recul, si les exportations françaises représentaient encore 17 % de celles de la zone euro en 2022, alors le chiffre d’affaires à l’exportation de la France serait supérieur de 330 milliards d’euros, soit l’équivalent de 12 points de PIB. Ces évolutions se retrouvent également lorsque l’on regarde la part de la France dans la valeur ajoutée industrielle ou encore dans l’emploi industriel européen.

Les explications qui peuvent être données à cette perte de compétitivité à l’exportation renvoient aux causes du mouvement de désindustrialisation de la France au cours des dernières décennies (1). Le coût du travail a plus fortement augmenté en France durant la décennie 2000 que chez ses voisins, notamment l’Allemagne. S’ajoute la fiscalité, plus élevée en France, notamment au niveau des facteurs de production. Ces handicaps de compétitivité coût ont conduit progressivement à pénaliser le produire en France par rapport au produire ailleurs en zone euro dans le double contexte d’une intégration européenne accrue renforçant la concurrence entre pays et d’une accélération de la mondialisation. La perte de compétitivité à l’exportation traduit ainsi une perte d’attractivité de la France pour la production industrielle. Les produits français sont par ailleurs jugés plus chers que ceux de nos voisins et, même si la France se situe plutôt dans une catégorie supérieure sur les paramètres de compétitivité hors prix, le rapport qualité prix des produits français est souvent perçu comme médiocre. L’attrition progressive de la base industrielle pèse à son tour sur la capacité de la France à se positionner dans la compétition internationale, dès lors que les producteurs français sont moins présents sur certains marchés et dépendent d’un écosystème local de fournisseurs et partenaires de plus en plus réduit. Entre 2000 et 2019, la France a ainsi perdu la moitié de ses entreprises industrielles, quand l’Allemagne par exemple affiche un nombre d’entreprises industrielles quasiment inchangé.

Un pays devenu débiteur du reste du monde

La France équilibre une partie du déficit commercial sur les biens par l’excédent qu’elle dégage sur les échanges internationaux de services ainsi qu’avec les recettes nettes des investissements étrangers de ses multinationales. Le tourisme, les services financiers et les services aux entreprises procurent traditionnellement de fortes recettes à l’exportation. En 2022, la France a perçu aussi un excédent exceptionnel des services de transport, notamment de fret maritime, pour près de 26 Md€, alors qu’elle était déficitaire sur ce poste en 2019. Par ailleurs, le développement étranger des entreprises françaises, autour de plusieurs grandes multinationales qui sont devenues des champions mondiaux, procure des revenus d’investissements importants. Mais ni les recettes du commerce en services, ni les revenus procurés par nos investissements étrangers ne suffisent à équilibrer le déficit sur les biens. Lorsque l’on regarde le compte courant du pays vis-à-vis du reste du monde, il apparaît que celui-ci est déficitaire. Cette situation signifie qu’à l’échelle macro-économique, le niveau de dépenses de l’économie en son ensemble dépasse celui de son revenu global : autrement dit la France vit au-dessus de ses moyens. Conséquence de ce déséquilibre, la France, dont les résidents disposaient de plus d’actifs à l’étranger que d’engagements financiers vis-à-vis de l’étranger au début du siècle, est désormais dans une situation inverse. Elle est devenue débitrice nette du reste du monde, pour environ 30 % du PIB, et le chiffre augmente tendanciellement.

L’endettement externe de la France correspond indirectement à celui de son secteur public, notamment l’État et la sécurité sociale. C’est ce que l’on déduit des comptes financiers respectifs des ménages et des entreprises, qui dégagent ensemble, structurellement, un solde financier positif, et de celui des administrations publiques, qui est déficitaire. Cette situation de « déficits jumeaux » est caractéristique d’une sphère publique qui reporte systématiquement à plus tard le retour à l’équilibre budgétaire en tirant profit de conditions de financement favorables : la France a vu sa charge de la dette diminuer depuis vingt ans alors même que le poids de celle-ci augmentait en pourcentage du PIB. Dans l’histoire économique, lorsqu’une telle situation d’accès facilité au crédit ne s’accompagne pas d’une discipline budgétaire prudente, elle donne souvent lieu à des crises financières, dans les pays émergents, mais aussi dans des économies développées.

Perte de souveraineté financière et de revenu national potentiel

La première conséquence du déficit courant de la France sur ses échanges extérieurs de biens, services et revenus d’investissement, est donc une perte de souveraineté financière. L’accumulation de dettes vis-à-vis du reste du monde rend la France dépendante de ses créanciers étrangers. Avant la création de l’euro, cette situation conduisait la France à fortement augmenter ses taux d’intérêt pour préserver la parité. Le dernier épisode en date, en 1993, s’était accompagné d’une crise économique sévère. L’intégration à l’euro a déplacé le risque d’une crise de changes vers le marché des obligations souveraines, comme l’a montré la crise de la zone euro en 2011. Le renforcement des règles européennes de gouvernance de finances publiques et la faiblesse de l’inflation ont permis à la Banque centrale européenne d’intervenir massivement, à partir de 2012, pour assurer le financement des États. La solidarité européenne qui a bénéficié à la France depuis trois décennies, l’oblige en contrepartie à se conformer aux règles communes. Le non-respect chronique par la France du Pacte de stabilité d’une part, et la nouvelle donne macroéconomique post-Covid, avec le retour de l’inflation et le redressement des taux d’intérêt mondiaux d’autre part, créent à nouveau les conditions d’un ajustement abrupt des finances publiques sous pression de nos partenaires européens ou bien des marchés financiers.

Une deuxième conséquence du déficit extérieur est une perte de revenu national potentiel, qui se paie en emploi et en pouvoir d’achat. Rappelons que si la part de la France dans les exportations de la zone euro s’était maintenue à son niveau du début des années 2000, celles-ci seraient en 2022 supérieures de 330 Md€ à leur niveau enregistré. Quand on sait les effets d’entraînement que l’exportation industrielle a sur un territoire, à travers l’activité des sous-traitants et les emplois indirects des salariés, on mesure l’importance d’un tel retard pris sur nos partenaires européens dans le commerce mondial. Sans signifier nécessairement une stratégie mercantiliste, la puissance à l’exportation est un indicateur d’excellence industrielle et technologique, et donc de richesse nationale. Un pays comme l’Allemagne, qui a gagné des parts de marché à l’exportation et maintenu une base industrielle forte, fait d’ailleurs la différence sur la compétitivité hors prix, synonyme de contenu en innovation technologique, de qualité, de variété des fournisseurs, de niveau de gamme, de design et de services associés. 

Quelles perspectives ?

Pour les années qui viennent, la France va bénéficier des premiers effets positifs de la politique de l’offre amorcée depuis dix ans. Le rapport Louis Gallois de 2012 a ouvert une réflexion en France sur la place de l’industrie dans l’économie et dans la société, avec une véritable prise de conscience des enjeux de compétitivité et d’attractivité. On assiste depuis à une mise en cohérence graduelle des politiques économiques avec des objectifs de compétitivité industrielle : fiscalité avec le CICE, le pacte de responsabilité puis les baisses d’impôts de production, marché du travail avec les lois El-Khomri puis les ordonnances de 2017 et la réforme de l’apprentissage, soutien à l’innovation avec France 2030, énergie avec la relance du nucléaire… Certes, la France conserve plusieurs handicaps, notamment au niveau de la fiscalité de production et de l’accès aux compétences, mais cette inflexion permet d’observer une amorce de stabilisation de la base industrielle après plusieurs décennies d’érosion. Les principaux indicateurs que sont l’emploi industriel, le nombre de sites industriels, l’investissement, les annonces d’implantations se sont stabilisés ou bien augmentent depuis quelques années. 

Le rétablissement graduel de l’industrie intervient néanmoins dans un contexte de révolution industrielle, avec la transition écologique, et technologique, avec notamment l’IA et plus généralement la numérisation de l’économie. Il se fait également dans un environnement géopolitique qui favorise la recherche d’une plus grande résilience des chaînes de valeur, et dans certains cas, le rapprochement géographique de la production vers les lieux de consommation. De telles transformations sont de nature à rebattre les cartes de l’industrie mondiale, et interrogent sur l’adéquation des politiques européennes qui régulent l’industrie et les échanges commerciaux. Au niveau européen, la politique commerciale, tout en recherchant prioritairement l’ouverture, prend mieux en compte les enjeux de régulation des flux commerciaux pour assurer des conditions d’égalité de concurrence. Mais celle-ci ne semble pas en capacité de freiner l’arrivée massive de véhicules électriques fabriqués en Chine (certains sous marque européenne), ni de répondre à l’Inflation Reduction Act américain, qui est ouvertement protectionniste. En même temps, la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, dans son architecture actuelle, pénalise la compétitivité industrielle européenne. La crise ukrainienne a remis sur le devant de la scène la question de la sécurité d’approvisionnement et des prix de l’énergie, ceux-ci étant bien plus élevés en Europe qu’aux États-Unis. La régulation de l’IA et des données posent également de nombreux défis. Il y a un enjeu majeur à trouver au niveau européen le bon équilibre entre régulation, ouverture des échanges, concurrence et compétitivité industrielle qui ne soit pas pénalisant pour la France.

La dette publique des États de l’UE

Évolution de la structure sectorielle des exportations

Note

(1) http://​www​.rexecode​.fr/​p​u​b​l​i​c​/​I​n​d​i​c​a​t​e​u​r​s​-​e​t​-​G​r​a​p​h​i​q​u​e​s​/​C​o​m​p​e​t​i​t​i​v​i​t​e​-​l​-​o​b​s​e​r​v​a​t​o​i​r​e​/​E​n​q​u​e​t​e​-​q​u​a​l​i​t​e​-​p​r​i​x​-​a​u​p​r​e​s​-​d​e​s​-​i​m​p​o​r​t​a​t​e​u​r​s​-​e​u​r​o​p​e​ens

Légende de la photo en première page : Un porte-conteneurs s’apprête à quitter le port du Havre, premier port français pour le commerce international. Après une nette dégradation du commerce extérieur français en 2022, les exportations de la France ont atteint 50,3 milliards d’euros en mars 2023, soit une hausse de +8,9 % sur un an. Si la balance commerciale de la France s’améliorait pour le troisième mois consécutif, le déficit mensuel demeure beaucoup plus élevé qu’avant la crise sanitaire et l’invasion de l’Ukraine. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°75, « Géopolitique de la France », Août-Septembre 2023 .
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