Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le casse-tête iranien de Donald Trump

Dans cette fresque peinte sur l’ancienne ambassade américaine à Téhéran, la statue de la Liberté est devenue une allégorie de la mort. L’élection de Donald Trump, qui avait promis de déchirer l’accord sur le nucléaire, a, sinon anéanti, à tout le moins refroidi les espoirs nés en Iran de cet accord. (© Milosz Maslanka/Shutterstock)
Depuis sa révolution de 1979, l’Iran est dépeint comme une menace constante à la sécurité et aux intérêts des États-Unis au Moyen-Orient. Ce pays demeure une « préoccupation extraordinaire » (1) de la politique étrangère américaine, car il occupe une part importante des discours politiques à Washington D.C., qui, la plupart du temps, amplifient la menace iranienne.

Sous Barack Obama, l’objectif de la politique étrangère américaine à l’égard de l’Iran faisait consensus, tant chez les démocrates que chez les républicains : empêcher Téhéran d’acquérir l’arme nucléaire. Le Président a jugé que le meilleur moyen d’y parvenir était de négocier un accord, le Plan d’action global conjoint signé à Vienne en juillet 2015, visant à imposer des limites temporaires sur le programme nucléaire iranien en échange d’un allègement des sanctions et du déblocage de quelque 100 milliards de dollars US d’avoirs gelés à l’étranger. Cette décision est loin d’avoir fait consensus et a été dénoncée par de nombreux élus républicains du Congrès. 

Pour Donald J. Trump, le 45e président des États-Unis, il s’agit de l’un des pires accords internationaux négociés à ce jour. Promouvant une doctrine de politique étrangère qu’il résume par la formule America First, Trump estime que l’accord obtenu par son prédécesseur sert mal les intérêts américains. Plutôt que de jeter aux oubliettes cette entente comme il l’a suggéré à quelques reprises avant l’élection, le républicain tentera de la renégocier pour pallier ses lacunes. Comment y parviendra-t-il ? Cette question demeure pour le moment sans réponse, mais il devient de plus en plus clair que Trump devra jongler avec des pressions contradictoires au sujet de l’Iran. D’un côté, plusieurs de ses conseillers de politique étrangère se disent ouvertement hostiles à l’Iran et il a fait de l’amélioration des rapports avec Israël, l’ennemi juré de Téhéran, l’une de ses priorités. De l’autre, le rapprochement avec la Russie qu’il souhaite effectuer sur le dossier syrien sous-tend une sortie de crise qui plairait potentiellement à Téhéran, au grand désarroi de son cabinet et de l’État hébreu. 

Téhéran, vue de Washington D.C.

En relevant les sanctions imposées à l’Iran par les États-Unis, l’Union européenne et l’ONU, l’accord sur le nucléaire pourrait à terme permettre au gouvernement iranien d’attirer les investissements directs étrangers nécessaires à la croissance économique du pays, à condition qu’un cadre réglementaire rassurant les investisseurs soit mis en place (2). De nombreuses entreprises américaines pourraient bénéficier de l’ouverture du marché iranien, comme l’a démontré Boeing avec la signature d’une entente de 16,6 milliards de dollars US pour la vente d’avions à Iran Air en décembre 2016. Plusieurs entreprises feront sans doute pression sur l’administration Trump pour que sa volonté de renégocier l’accord ne compromette pas les occasions d’affaires qu’il a rendues possibles. 

Si ces nouveaux liens économiques et financiers entre les États-Unis et l’Iran peuvent être hypothéqués par les politiques de Trump, ce sont les rapports diplomatiques naissants entre les deux États qui risquent d’être avant tout remis en question (3). La nomination de Rex Tillerson, ancien président d’ExxonMobil, pour remplacer John Kerry au poste de secrétaire d’État pourrait compromettre le timide rapprochement survenu sous Obama. Il est difficile d’estimer l’impact de cette nomination, car nous savons seulement que Tillerson appuie une révision complète de l’accord sur le nucléaire. 

Trois autres membres du cabinet Trump, le conseiller pour la Sécurité nationale Michael T. Flynn, le directeur de la CIA Mike R. Pompeo et le secrétaire à la Défense James N. Mattis, sont aussi partisans de la ligne dure vis-à-vis de l’Iran. La méfiance du lieutenant général Flynn envers l’Iran est profonde. Alors qu’il dirigeait l’Agence de renseignement de la Défense, il s’est obstiné à chercher des preuves impliquant cet État dans l’attentat contre le consulat américain de Benghazi de septembre 2011 (4). Pompeo, un représentant républicain du Kansas, souhaite pour sa part l’abrogation du pacte sur le nucléaire, qu’il juge désastreux. Quant au général « Mad Dog » Mattis, il a critiqué l’administration Obama pour ne pas en avoir fait plus pour empêcher l’Iran d’offrir son soutien financier et militaire au régime de Bachar el-Assad en Syrie, en plus d’affirmer que la République islamique est « la menace la plus durable à la stabilité et à la paix au Moyen-Orient » (5).

Avant de prétendre que les prises de position passées au sujet de l’Iran de ces membres du cabinet Trump façonneront la politique extérieure du pays pour les quatre prochaines années, il faudra voir quels rôles joueront ces individus au sein de l’administration. La manière de gérer la prise de décision de Donald Trump conditionnera en grande partie leur capacité à influencer la direction que prendra la fragile relation irano-américaine. 

Alliance avec Israël

La position de Washington à l’égard de Téhéran est indissociable des rapports que les États-Unis entretiennent avec l’un de leurs principaux alliés : Israël. Trump promet de rompre avec l’approche d’Obama à l’égard de l’allié israélien, qui a été caractérisée par un appui militaire accru, mais une attitude critique en ce qui a trait aux colonies de l’État hébreu en Cisjordanie. En décembre 2016, le président Benyamin Netanyahou s’est réjoui de la fin de la présidence Obama. Celle-ci a culminé avec l’abstention des Américains lors du vote sur la résolution 2334 au Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la politique de colonisation. La coalition de droite menée par Netanyahou n’a pas caché son enthousiasme à voir l’équipe Obama remplacée par celle de Trump (6). Le nouveau président républicain a maintes fois dénoncé l’évolution des rapports Washington-Tel-Aviv sous Obama et le prétendu « dédain » avec lequel son prédécesseur a traité l’allié israélien. Il a sommé Israël de prendre son mal en patience, car cette dynamique allait changer à partir du 20 janvier 2017. Symbole de cette nouvelle ère promise, l’ambassadeur qu’a choisi Trump pour représenter le pays en Israël, David Friedman, réclame le controversé transfert de l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, ce qui contribuerait à attiser les tensions avec les Palestiniens. 

Les balbutiements de rapports diplomatiques avec l’Iran souffriront sans aucun doute de cette volonté de resserrer les liens avec l’État hébreu. Est-ce que les grands talents de négociateur de Donald Trump lui permettront d’obtenir un nouveau pacte sur le nucléaire iranien qui serait plus contraignant pour Téhéran et qui satisferait Israël ? Le président américain pourrait certes proposer une nouvelle version de l’accord qui plairait à Netanyahou, mais il serait alors très difficile d’obtenir l’assentiment du principal pays impliqué, l’Iran. 

La guerre civile en Syrie

L’Iran demeure un joueur incontournable sur l’échiquier géopolitique du Moyen-Orient. L’ascendant qu’il exerce sur le pouvoir chiite à Bagdad et l’approche du gouvernement irakien pour lutter contre Daech, l’appui de Téhéran au régime Assad en Syrie, de même que le soutien aux groupes chiites au Yémen sont autant d’éventuelles pommes de discorde avec les intérêts de Washington dans la région (7), peu importe l’occupant du bureau Ovale. 

Sur le dossier syrien, la cour que Trump s’évertue à faire à la Russie de Poutine en cessant l’appui américain à certains groupes rebelles entre en contradiction avec la ligne dure qu’il s’est engagé à adopter pour contrer la puissance régionale ascendante qu’est l’Iran (8). Régler la guerre civile syrienne en donnant au Kremlin ce qu’il veut, c’est-à-dire garder Assad en poste et stopper Daech et les groupes rebelles, comblera aussi en partie les attentes de Téhéran. Trump réussira-t-il à négocier un accord de fin de crise incluant l’Iran, mais qui garantit que ce pays n’exercera par la suite qu’une influence limitée sur le régime de Damas ? Même s’il se présente comme un habile négociateur, il sera difficile pour Trump de convaincre Téhéran à consentir à un tel scénario sans d’importantes concessions. Pendant ce temps en Iran, certains conseillers militaires de l’ayatollah Khamenei se disent prêts à entendre ce que Trump proposera sur la Syrie, tout en espérant qu’il adoucira sa rhétorique au sujet de leur pays (9).

Des analystes suggèrent que l’administration Trump devrait tenter de diviser Moscou et Téhéran sur la Syrie pour obtenir un accord de sortie de crise impliquant un retrait du Hezbollah et des milices chiites appuyées par l’Iran, contribuant ainsi à endiguer l’influence iranienne au Moyen-Orient (10). Une telle politique serait difficile à mettre en œuvre et risquerait de mettre davantage le feu aux poudres dans un pays déchiré par la guerre depuis le printemps 2011. 

Le défi de taille d’un président inexpérimenté

À Washington, la finalité d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire fait consensus, mais pas les moyens pour l’atteindre. En guise de compromis, Trump pourrait conserver l’accord négocié par Obama, quitte à le renégocier légèrement, et adopter une politique de dissuasion qui énoncerait sans équivoque la volonté de recourir à la force dans l’éventualité où Téhéran ne respecterait pas cette entente (11). Une telle politique permettrait de tirer profit des atomes crochus qu’ont les deux États sur le dossier syrien. 

Cependant, l’alliance avec Israël que promet de solidifier Trump et la peur de voir l’Iran jouir d’une influence grandissante au Moyen-Orient met en péril un tel scénario. Sans oublier que Trump s’est entouré de conseillers de politique extérieure qui cherchent à confronter Téhéran. Trump en a surpris plus d’un avec son élection et il pourrait surprendre à nouveau en conciliant l’inconciliable. S’il est le grand négociateur qu’il se targue d’être, il pourrait revoir l’accord sur le nucléaire iranien, s’entendre avec Moscou et Téhéran pour une sortie de crise en Syrie, ce malgré une idylle renouvelée avec Tel-Aviv et un groupe de faucons méfiants envers l’Iran dans son cabinet. Or, la diplomatie est un art dans lequel il faut faire preuve de subtilité, nuance et discrétion, autant de qualités qui font défaut au président le plus inexpérimenté de l’histoire américaine. Tous les yeux seront donc rivés sur Washington durant les quatre prochaines années pour voir comment Trump tentera de résoudre son casse-tête iranien aux multiples ramifications. 

Notes

(1) Paul R. Pillar, « The Role of Villain : Iran and U.S. Foreign Policy », Political Science Quarterly, 128(2), 2013, p. 211.
(2) Cyrus Amir-Mokri et Hamid Biglari, « A Windfall for Iran ? The End of Sanctions and the Iranian Economy », Foreign Affairs, 94(6), p. 25-32.
(3) Tyler Cullis, « The Iran Deal After Obama », Foreign Affairs, 7 mars 2016.
(4) Matthew Rosenberg, Mark Mazzetti et Eric Schmitt, « In Trump’s Security Pick, Michael Flynn, ‘Sharp Elbows’ and No Dissent », The New York Times, 3 décembre 2016.
(5) « The Middle East at an Inflection Point with Gen. Mattis », Center for Strategic and International Studies, 22 avril 2016.
(6) David Rothkopf, « The Last Act of Obama’s Israel Drama May Be His Best », Foreign Policy, 26 décembre 2016.
(7) Reuel Marc Gerecht et Ray Takeyh, « Can’t Have It Both Ways in Iran », Foreign Affairs, 13 juillet 2016.
(8) Kim Ghattas, « Trump’s Syria Conundrum », BBC, 24 décembre 2016.
(9) Alex Vatanka, « Iran and Assad in the Age of Trump », Foreign Affairs, 29 novembre 2016.
(10) Larisa Epatko, « What should Trump do about Syria ? We get 5 takes », PBS Newshour, 22 décembre 2016.
(11) Michael Mandelbaum, « How to Prevent an Iranian Bomb », Foreign Affairs, 94(6), 2015, p. 19-24.

Article paru dans Les Grands Dossiers de Diplomatie n° 37, février-mars 2017.

À propos de l'auteur

Vincent Boucher

Chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand et doctorant en science politique à l’Université du Québec à Montréal.

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