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Présidentielle 2017 – Défense : les réponses de Benoît Hamon

Benoît Hamon, candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2017
Benoît Hamon (© Mathieu Delmestre)
Entretien sur les questions de défense avec Benoît Hamon, candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2017 (*)

Les engagements opérationnels et diplomatiques des armées sont nombreux et celles-ci se heurteront, durant le quinquennat, aux défis des renouvellements de la dissuasion, des capacités conventionnelles et de la structure de forces. Comptez-vous lancer, une fois entré en fonction, un exercice de type « livre blanc » ?

Comme cela a été le cas lors des deux précédents quinquennats, il sera nécessaire d’actualiser le livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. En effet, l’accélération de l’histoire, maillée de ruptures stratégiques, fait évoluer continuellement la nature et la gravité des menaces et des risques pesant sur la sécurité de la France et de l’Europe. Les deux précédentes éditions (2008 et 2013) avaient posé une analyse assez juste sur la dégradation de notre environnement stratégique et sur la menace terroriste durable pesant sur nos sociétés. Il nous faut désormais tenir compte des conséquences engendrées par le Brexit et l’avènement de l’administration Trump. Cette dernière laisse entrevoir un repli stratégique des États-Unis auquel les Français et les Européens doivent répondre. À cela s’ajoute la posture offensive, pour ne pas dire agressive, de la Russie à notre égard. En témoignent le survol des environs de l’île Longue par des bombardiers stratégiques russes en septembre dernier et les ingérences de Moscou dans la crise ukrainienne.

Par ailleurs, au-delà de la déstabilisation que connaît le système international, la France sera confrontée dans un avenir proche au défi du maintien de nos capacités opérationnelles et à celui du renouvellement de nombre de nos systèmes d’armes – notamment la modernisation des deux composantes constitutives de notre dissuasion nucléaire. Tout cela exige une revue stratégique permettant une allocation optimale de nos ressources financières, matérielles et humaines, afin de conserver notre modèle de défense actuel, voire d’encourager à son renforcement.

Une nouvelle loi de programmation militaire sera nécessaire pour l’après-2019. Or les 2 % du PIB consacrés à la défense, dont il est fréquemment question, représentent, pour certains observateurs, « un plancher plutôt qu’un plafond ». Comptez-vous accroître le budget de défense et, si oui et compte tenu de la dette et de la dépense publiques, comment allez-vous faire ?

C’est la question centrale, car toute la capacité de nos armées à assurer leurs missions découle des efforts budgétaires que nous consentirons. Tout d’abord, je tiens à saluer le bilan de Jean-Yves Le Drian à la tête du ministère de la Défense, exceptionnel à bien des égards, avec notamment le maintien coûte que coûte de notre modèle de défense, des exportations d’armements qui ont pratiquement quadruplé, l’amélioration de la situation sociale de nos militaires… Je note que la loi de programmation militaire 2014-2019, avec son actualisation de juillet 2015, est la première qui aura été intégralement respectée.

Néanmoins, en dépit des efforts consentis pendant la période 2012-2017, le niveau budgétaire actuel est insuffisant pour faire face aux enjeux stratégiques et aux investissements engagés pour les années à venir, notamment la modernisation de notre dissuasion nucléaire au-delà des années 2035/2040. Un surcroît de ressources budgétaires de l’ordre de plusieurs milliards sera donc nécessaire. Le débat s’est polarisé depuis quelques mois autour de la nécessité de la part des États membres de l’Alliance atlantique d’atteindre 2 % du PIB, et donc d’aller au-delà des 32,7 milliards d’euros alloués par le projet de loi de finances 2017. L’actuel chef d’état-major des Armées plaide en ce sens.

Pour atteindre ces objectifs exigeants, je considère qu’il faut dépasser ce débat sur l’objectif de 2 % du PIB consacrés à l’effort de défense, aujourd’hui largement partagé. En outre, l’interpénétration des problématiques de sécurité intérieure et extérieure justifierait selon moi d’adopter au sein d’une même programmation les budgets de la défense et de la sécurité. Ainsi, les budgets affectés à ce continuum de sécurité pourraient atteindre à terme 3 % du PIB. Ce qui permettrait d’allouer les moyens nécessaires tout en s’autorisant une forme de souplesse dans l’augmentation des ressources budgétaires. C’est le prix à payer pour conserver un modèle de défense articulé autour de la dissuasion nucléaire et une forte capacité de projection de forces.

Les volumes de forces disponibles dans les trois armées sont historiquement bas, qu’il s’agisse de régiments de mêlée, d’avions de combat ou de bâtiments de combat principaux. Faut-il remonter en puissance ?

Il n’y a pas d’autre choix que celui de la remontée en puissance au vu de la dégradation du contexte géostratégique des dernières années. L’engagement de nos forces armées au Mali en 2013, l’annexion de la Crimée et la prise de Mossoul en 2014, les terribles attentats sur notre territoire en 2015 et en 2016 sont autant d’événements, loin d’être exhaustifs, qui ont suscité une prise de conscience nationale quant à la nécessité de renforcer notre outil de défense. De fait, cette remontée en puissance est déjà amorcée depuis 2015 avec l’actualisation de la loi de programmation militaire en vigueur, qui a augmenté de 3,8 milliards d’euros le budget de la défense pour la période 2015-2019, et le gel des réductions d’effectifs annoncé par le chef de l’État devant le Parlement réuni en congrès. Ainsi, pour la première fois depuis la suspension du service national, les effectifs de nos forces armées ont cessé de décroître et ceux de la force opérationnelle terrestre sont en train d’être augmentés de plus de 15 %. Mais cette dynamique doit être encore amplifiée, car notre modèle d’armée a été conçu avant les évolutions stratégiques majeures que je viens d’évoquer. De fait, la disponibilité des matériels est insuffisante, leur entretien coûte cher, le rythme de leur renouvellement n’est pas satisfaisant et nos engagements actuels dépassent de près de 30 % les contrats opérationnels définis par le dernier livre blanc. Cela pèse à la fois sur notre capacité opérationnelle et sur le moral de nos militaires.

Nous devons donc y répondre par un effort quantitatif : la prochaine programmation doit définir un modèle d’armées complet et cohérent, dimensionné non plus en fonction de contraintes budgétaires, mais, avant toute chose, en fonction des menaces auxquelles nous devons parer. Cela passe, à mon sens, par la recherche d’un mécanisme permettant d’exclure les dépenses de défense et de sécurité des critères de Maastricht et par la construction d’une véritable Europe de la défense. Mais notre effort doit aussi être qualitatif, et c’est pourquoi la revalorisation de la condition militaire sera l’une de mes priorités. Elle fera l’objet d’un plan pluriannuel ambitieux, qui sera annexé à mon projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité et la défense, car nous devons prêter une attention particulière à celles et ceux qui servent notre pays, ainsi qu’à leurs familles.

Les armées sont fortement engagées : réassurance à l’Est, opérations en Afrique et au Levant, « Sentinelle » sur le territoire national, opérations en haute mer et sur le deuxième domaine maritime mondial, posture permanente aérienne, dissuasion, diplomatie de défense. Faut-il réduire le nombre de missions ? « Sentinelle » doit-elle être maintenue sous sa forme actuelle ou sous une forme adaptée ?

Je considère que lorsque la sécurité de nos concitoyens et celle de nos intérêts nationaux, sur le territoire national ou à l’extérieur, sont en jeu, ou quand la France doit assumer ses responsabilités sur le plan international, il n’est pas possible de déroger à ces missions. Le niveau d’engagement actuel et à venir doit donc correspondre aux nécessités du moment, considérant que la sécurité n’est pas négociable. Ces dernières années, aux opérations extérieures s’est ajoutée l’opération « Sentinelle », entraînant une tension croissante sur les effectifs. L’actualisation de la loi de programmation militaire, consécutive aux attentats de janvier 2015, votée en juillet de la même année, a permis l’arrêt de la déflation des effectifs que connaissaient nos armées depuis 2009. Elles opèrent aujourd’hui une remontée en puissance, puisque le solde sera positif en 2017 avec 400 personnels supplémentaires. Nous devons continuer à observer ce principe de juste suffisance en termes de moyens et de personnels de façon à ce que nos armées puissent assurer l’ensemble des missions qui leur incombent.

Le débat relatif au maintien de l’opération « Sentinelle » doit être quant à lui relié à celui portant sur la pérennité de l’état d’urgence. Par définition, l’état d’urgence est un régime exceptionnel répondant à une situation où la menace atteint un degré de gravité exceptionnel, il ne peut donc se prolonger dans la durée. Il sera nécessaire de débattre de l’après et du niveau d’engagement de nos armées dans le cadre de missions de sécurité qui relèvent également de la Gendarmerie et de la Police nationale.

Une interview publiée en janvier dans nos pages montre d’une manière parfois crue la réalité de la réserve opérationnelle. Quelle vision avez-vous pour les dispositifs comme la réserve opérationnelle ou la Garde nationale ?

Je ne pense pas qu’on puisse résumer la réalité de la réserve opérationnelle à cette seule interview. Il y a de nombreux unités, états-majors, directions ou services, où les réservistes sont considérés comme étant de la « famille », sont parfaitement intégrés par leurs frères (ou sœurs) d’armes de l’active et apportent pleine satisfaction à leur commandement. Mais ce que décrit cet entretien doit être pris en compte parce qu’il montre à quel point nos réserves ont pâti de la tendance baissière des dernières années. Faute de moyens suffisants, de volonté politique et de doctrine d’emploi claire, la réserve opérationnelle a trop longtemps été, en pratique, en deçà des objectifs qu’on lui assignait sur le papier, en termes de volume comme de taux d’emploi. L’augmentation du budget alloué à la réserve et la création d’une Garde nationale pour assurer à la fois une meilleure gouvernance et une plus grande attractivité des dispositifs relevant des ministères de la Défense et de l’Intérieur constituent un pas dans la bonne direction. Il faut désormais aller plus loin en simplifiant le recrutement, en modulant la mise en formation, en améliorant les procédures d’administration et de gestion et, à terme, en créant un nouveau statut pour les réservistes, un peu sur le modèle canadien, qui permettrait de passer facilement d’un temps partiel à un temps complet.

L’OTAN et l’Union européenne sont deux des plus importants piliers de la sécurité européenne. Quelle sera votre attitude à leur égard ? Faut-il renforcer le poids de l’OTAN et/ou pousser au développement d’une défense européenne ? Dans ce dernier cas et compte tenu du grand nombre de forces bi/multinationales déjà existantes, comment procéder ?

L’Alliance atlantique et l’Union européenne sont les deux piliers de la sécurité continentale. La première, dominée par les États-Unis, constitue un outil opérationnel qui a fait ses preuves sur plusieurs théâtres, dans les Balkans, en Afghanistan, en Méditerranée ou au large de la Somalie. La seconde, en dépit de quelques avancées institutionnelles et des missions menées sous l’égide des Nations unies, reste largement en devenir. Néanmoins, le Brexit et l’America first prôné par le nouveau président américain, qui s’apparente à une forme de repli stratégique, obligent les Européens à prendre en charge une part croissante de leur sécurité. Il s’agit d’une opportunité pour la France et ses partenaires d’affirmer la dimension européenne de l’Alliance atlantique et d’orienter cette organisation dans un sens plus conforme à leurs intérêts. C’est pour cela que, contrairement à ce que d’autres candidats proposent, je ne souhaite pas que la France quitte le commandement que nous avons réintégré en 2009 au moment du Sommet de Strasbourg/Kehl.

Par ailleurs, le contexte stratégique auquel l’Europe est confrontée confère à l’idée d’Europe de la défense une actualité nouvelle. Les citoyens européens attendent de l’Union européenne qu’elle prenne « plus et mieux » en charge leur sécurité. Des avancées tangibles en matière d’Europe de la défense sont donc attendues. J’appelle donc de mes vœux une véritable stratégie de coopération européenne dans le domaine de la défense. Celle-ci comprendra une amélioration du hub européen afin que nos partenaires accentuent leur soutien logistique et financier aux opérations extérieures faites par la France. De même que les états-majors européens et les brigades binationales seront renforcés. Enfin, nos moyens de renseignement doivent être progressivement mutualisés avec la mise en place de task forces multilatérales pour aboutir à une agence de renseignement européenne.

Avec le Brexit, la France sera bientôt le seul pays de l’Union européenne à porter un effort budgétaire significatif en matière de défense. Je plaide donc pour l’exclusion du budget de la défense du calcul du déficit au sens des critères de Maastricht, considérant que la défense française assure notre protection, mais aussi celle de l’ensemble des Européens.

La Chine a une attitude révisionniste en mer de Chine méridionale. Actuellement, notre présence militaire dans la région est épisodique dès lors qu’elle n’est pas prioritaire selon les deux derniers livres blancs. Faut-il être plus présent dans la zone ?

Pour la Chine, Taïwan, le Vietnam, Brunei, la Malaisie et les Philippines, cette zone est un enjeu de souveraineté, de sécurité énergétique et de profondeur stratégique. Elle est l’objet d’un contentieux remontant à l’époque coloniale, et dans lequel toutes les parties brandissent des revendications plus ou moins contradictoires sur tout ou partie des archipels inhabités que sont les Spratly et les Paracel. Dans ce litige, la position de la Chine s’appuie sur ce qu’elle considère comme des « droits historiques » très anciens, remontant aux époques impériales, pour contester les pertes territoriales imposées par les puissances coloniales européennes et japonaise au XIXe siècle. Elle joue également des ambiguïtés du droit de la mer existant dans une zone à la géographie particulièrement complexe pour avancer l’interprétation qui est la plus favorable à l’extension de sa souveraineté, ce que les pays voisins perçoivent comme relevant d’une ambition hégémonique et menaçante.

Mais l’importance stratégique de la mer de Chine méridionale n’est pas uniquement régionale, car elle est une voie de communication maritime essentielle entre les pays d’Asie, d’une part, et entre l’Europe et l’Extrême-Orient, d’autre part. Ainsi, le trafic maritime mondial y est six fois plus dense qu’à Panama, et représente un quart du fret mondial. Il est donc important que la communauté internationale reste particulièrement vigilante quant à la libre circulation, à la sécurité des transports et au risque d’escalade que pourrait entraîner un incident, même mineur. Est-ce à dire que nous devons être plus présents dans la zone, comme le sont les États-Unis ? Je ne le pense pas. D’abord, parce que la militariser davantage serait contre-productif en ravivant des tensions là où nous devons les apaiser ; ensuite, parce que nous ne pouvons être partout à la fois, au risque de diluer notre efficacité opérationnelle dans notre environnement immédiat : les flancs sud et orientaux de l’Europe ainsi que les approches maritimes des départements et collectivités d’outre‑mer.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 23 février 2017

(*) Pour en savoir plus sur notre démarche et notre dossier « présidentielle 2017 », cliquez ici.

Article paru dans DSI n°128, mars-avril 2017.
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