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Puissance aérienne : remue-ménage dans le secteur anti-IADS

À quelques jours d’intervalle, le Pentagone a accordé deux contrats d’une valeur de 110 millions de dollars à Lockheed Martin et à Northrop Grumman pour le développement d’une nouvelle génération de missiles devant contrer les réseaux de défense aérienne intégrés (IADS – Integrated Air Defense Systems). Le concept retenu est celui de missiles de croisière subsoniques à bas coût et dont les designs sont modulaires, permettant ainsi des évolutions « en spirale ». Ces missiles devront par ailleurs pouvoir être placés en réseau, adopter des comportements collaboratifs et pouvoir travailler en essaim. Dans un premier temps, ils seraient testés depuis des F‑16, mais il est question d’en équiper, à terme, les F‑35, F‑15, F‑18, B‑1B, B‑2 et B‑52. Les contrats signés fin 2017 couvrent les travaux de recherche jusqu’en 2019 ; en sachant que l’US Air Force espère avoir terminé le développement de l’arme en 2024 et passer alors les premières commandes de série.

La logique retenue n’est pas uniquement cinétique. Modulaires, les missiles peuvent certes être dotés de charges explosives, mais aussi de charges ISR ou encore d’attaque électronique. Il s’agit ainsi de pouvoir projeter une « toile anti-­IADS » sur l’adversaire. L’intégration en réseau et la capacité à travailler en essaim permettent ainsi une occupation aérienne de l’espace de bataille, avant une éventuelle activation en fonction des besoins ou lorsqu’une menace émerge. L’approche se situe donc en rupture comparativement à l’usage de missiles AGM‑88. Surtout, le choix d’une propulsion par microréacteur et d’une vitesse subsonique offre la possibilité d’un déploiement à distance de sécurité et d’une progression relativement discrète vers la zone des combats.

L’approche de l’US Air Force n’est d’ailleurs pas uniquement liée au SEAD. Déjà dans le cadre du programme Gremlins de la DARPA (voir DSI no 118), une myriade de drones devaient pouvoir être lancés pour se positionner ensuite au-­dessus d’une zone de bataille et y mener une diversité de missions. Dans le cas du Gray Wolf, sa modularité autoriserait une approche similaire ; si ce n’est qu’il est destiné à être « consommable » là où les Gremlins doivent regagner l’appareil qui les a lancés. En tout état de cause, les défis technologiques ne sont pas nécessairement là où on les attend : c’est au niveau des charges utiles, de leur modularité et surtout de l’aptitude à travailler en réseau que se trouve la véritable difficulté. Le type de rationalité envisagé dépend en effet lourdement de l’intelligence artificielle et, surtout, des communications.

Or, il y a fort à parier que l’évolution des systèmes A2/AD (Anti-­Access/Area Denial) ne concernera à l’avenir plus uniquement les systèmes antiaériens ou antinavires. Ils devraient également intégrer des systèmes de guerre électronique et de brouillage ; la Russie et la Chine se positionnant sur le marché. Évidemment, ce ne serait pas sans conséquence pour la viabilité des réseaux projetés de frappe et, plus généralement, des systèmes de combat de cinquième génération. Dans le même temps toutefois, les États-Unis restent discrets quant aux travaux menés sur leurs systèmes d’attaque électronique, et en particulier le système de missile de croisière à impulsion électromagnétique CHAMP (voir DSI no 98).

Les projets de réseaux projetés envisagés montrent également un « retour à la masse » et au risque d’attrition pour le moins intéressant. Les tendances en matière de systèmes de force, ces dernières années, avaient en effet démontré l’attention portée à des systèmes avancés de haute technologie produits en très petit nombre et donc naturellement plus vulnérables à l’attrition. Reste également que les engagements de haute intensité dans lesquelles ces munitions seraient utilisées ne peuvent se limiter à leur seul usage. Toute campagne contre un système A2/AD ne peut s’envisager que d’une manière intégrée et combinée (voir DSI, hors-série no 56), notamment en s’appuyant sur les forces spéciales, mais aussi d’autres capacités, comme l’artillerie à longue portée, qu’elle soit terrestre ou navale.

Au demeurant, dans l’US Navy, qui continue de s’appuyer sur les missiles AGM‑88E AARGM, la situation est également appelée à évoluer. Fin janvier 2018, Orbital ATK a ainsi reçu un contrat portant sur l’Advanced Anti-­Radiation Guided Missile-­Extended Range (AARGM‑ER). La rationalité diffère ici en ce que le système de guidage (qui combine GPS, radar millimétrique et système de localisation de radar), la charge explosive et l’électronique de l’AARGM sont installés dans une nouvelle cellule, partiellement furtive. Le volume de l’AARGM‑ER permettra de le transporter dans les soutes du F‑35 – ce qui est impossible avec l’AGM‑88 – et il pourra également être tiré depuis des Super Hornet ou des Growler. La portée du nouvel engin n’a pas été communiquée, mais elle serait supérieure de 20 à 50 % de celle de l’AGM‑88E, qui est d’environ 110 km.

Brève à paraître dans DSI n°134, mars-avril 2018

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