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Démographie française : vers la fin d’une exception en Europe ?

En 2017, pour la troisième année consécutive, le nombre de naissances a diminué en France, confirmant une tendance démographique forte : si la population française continue d’augmenter, cette croissance est de plus en plus faible. Cette situation n’est pas sans conséquence pour le pays, mais également pour la plupart de ses voisins européens qui sont confrontés à la même réalité.

Avec ses 67,2 millions d’habitants au 1er janvier 2018, la France est le deuxième pays le plus peuplé d’Europe après l’Allemagne (82,8 millions) et reste l’un des plus féconds du continent (cf. document 1), selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Néanmoins, malgré une augmentation de la population (+ 233 000 individus en 2017), la dynamique démographique française marque un net recul par rapport aux années précédentes (cf. carte 2). Le nombre de naissances a diminué par rapport à 2016 (- 17 000), tout comme le taux de fécondité (1,88 enfant par femme contre 1,92 en 2016 et 2 en 2014) alors que, parallèlement, plus de personnes sont décédées (9 000 de plus par rapport à 2016). Le solde naturel (différence entre les naissances et les décès) reste donc positif, mais continue de décroître. Ce phénomène ne s’observe pas qu’en France : quasi partout en Europe, on constate un recul de la démographie, dans des proportions plus graves encore que dans l’Hexagone. Et ce, depuis les années 1970 qui marquent le début de « l’hiver démographique », selon les termes du géographe Gérard-François Dumont.

Les causes du déclin en France

Le recul démographique français s’explique d’abord par des facteurs conjoncturels, socioculturels et politiques. En effet, l’augmentation du nombre de personnes âgées et de décès ces dernières années est la conséquence directe du « baby boom » de l’après-Seconde Guerre mondiale : la génération d’enfants nés jusque dans les années 1960 a vieilli, tandis que le volume de naissances a brutalement chuté dès la décennie 1970.

Cette situation engendre un nombre plus important de personnes âgées (« papy boom ») et une génération de jeunes actifs moins importante. Parmi eux, les femmes en âge de procréer sont donc moins nombreuses. En outre, les Françaises font moins d’enfants et donnent naissance de plus en plus tard. Le taux de fécondité des femmes les plus jeunes (15-24 ans) ne cesse de diminuer (de 3,3 enfants pour 100 femmes en 2010 à 2,4 en 2017) au profit des 25-34 ans. Par conséquent, les projections d’Eurostat anticipent une population française de 74,4 millions d’habitants en 2050, soit une croissance de seulement 10,7 %, contre 18,8 % ces trente-deux dernières années.

Les conséquences de cette situation démographique pourraient être lourdes pour le pays. Ainsi, nous assistons à une augmentation du nombre de retraités par rapport au volume d’actifs, ce qui remet en question le système de retraite actuel. En 2015, on comptait déjà en France 29 retraités pour 100 actifs, un rapport qui pourrait passer à 45 contre 100 d’ici à 2050. Le phénomène constitue également un enjeu pour les politiques publiques en matière de santé et de prise en charge des personnes âgées. En effet, en 2016, les dépenses de soins de longue durée aux personnes âgées ont atteint 10,5 milliards d’euros, deux fois plus qu’en 2005.

Les risques pour l’Europe

Néanmoins, la France s’en sort mieux que la plupart de ses voisins européens dont la situation est plus préoccupante. En 2015, pour la première fois au sein de l’Union européenne (UE), le nombre de décès a dépassé le nombre de naissances avec une diminution de la population (- 0,2 %), même si le taux d’accroissement naturel du continent européen reste positif (0,1 %).

Les pays membres ayant perdu le plus d’habitants sont la Bulgarie (- 0,6 %), la Lituanie (- 0,4 %), la Croatie, la Hongrie et la Lettonie (- 0,3 %). Par ailleurs, douze États européens (Allemagne, Bulgarie, Croatie, Hongrie, Italie, Roumanie, Lettonie, Lituanie, Estonie, Biélorussie, Moldavie, Serbie et Ukraine) connaissent une décroissance démographique depuis plus de dix ans.

À l’inverse, à l’instar de la France, quelques pays connaissent des taux d’accroissement naturel positifs compris entre 0,3 et 0,8 %. Mais à l’exception du Royaume-Uni, tous sont des États faiblement peuplés qui ne pèsent guère dans la démographie européenne (Irlande, Chypre, Luxembourg, Islande, Norvège).

Les prévisions pour 2050 ne sont donc pas rassurantes : selon Eurostat, la population de l’UE n’augmentera que de 4 % en une trentaine d’années, avec des disparités démographiques accrues entre les États. Ainsi, le Luxembourg et la Suède devraient voir leur population augmenter de 30 %, quand la Lituanie devrait, elle, perdre un tiers de ses habitants.

Pour compenser ces pertes, certains pays recourent à l’immigration. C’est le cas de l’Allemagne qui, en 2012, a lancé l’initiative « Make it in Germany » pour attirer les travailleurs étrangers et pallier le manque de personnel qualifié dans certains secteurs d’activité. Selon l’Office allemand de la statistique (Destatis), en janvier 2018, 736 200 postes ont été déclarés vacants dans le pays, soit 12,1 % de plus qu’en 2017 et 63,1 % de plus qu’en 2010. Ainsi, l’Allemagne a accueilli 2,4 millions d’étrangers entre 2014 et 2016, deux fois plus qu’entre 2011 et 2013. Issus pour la plupart de pays extraeuropéens (Afrique, Moyen-Orient), ces immigrés ont provoqué une crise politique qui a fragilisé le parti au pouvoir (la CDU) tout en exacerbant les tensions nationalistes, communautaristes et xénophobes en Allemagne et ailleurs en Europe, comme en témoigne la montée des partis populistes et d’extrême droite aux dernières élections dans les différents États européens. 

Cartographie de Riccardo Pravettoni

Document 1 : Naître en Europe…
Article paru dans la revue Carto n°47, « Alimentation : un commerce mondialisé sous tensions », septembre-octobre 2018.
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