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Navires de combat autonomes : l’US Navy passe la vitesse supérieure

Après un premier test de navigation concluant mené en 2019, le chef du commandement de la flotte de surface de la marine américaine a demandé que soient mises à l’étude les possibilités opérationnelles des nouveaux drones navals de combat.

Cette demande, qui a été formulée conjointement avec les forces navales américaines en Europe et la Flotte du Pacifique, a été adressée au Surface Development Squadron One (SURFDEVRON ONE, organe créé en mai 2019 pour incorporer les nouvelles technologies au sein des forces de l’US Navy et pour accélérer le développement de nouveaux concepts de guerre navale) afin de développer des concepts pour « l’organisation, l’armement, l’équipement, l’entretien, l’introduction et l’intégration opérationnelle du véhicule de surface sans équipage moyen (Medium Unmanned Surface Vessel, MUSV) et du grand bâtiment de surface sans équipage (Large Unmanned Surface Vessel, LUSV) pour naviguer avec des groupes aéronavals et des groupes d’action ».
Elle intervient après une longue bataille avec le Congrès pour l’obtention d’un budget consacré aux forces combattantes de surface sans équipage. Les législateurs américains avaient d’ailleurs fait part de leur scepticisme quant à la capacité de la Navy de maîtriser la technologie pour ce type de navire. Le Congrès a finalement donné son accord pour un budget permettant à la marine de commander deux bâtiments de surface sans équipage, ou autonomes, mais les législateurs ont mis leur veto pour les tubes verticaux lance-missiles que la Navy espérait pouvoir faire installer.
Les MUSV et LUSV seront des drones d’une grande longévité, capable d’embarquer plusieurs types de charges utiles. Ils rempliront des missions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, mais aussi de frappe contre des cibles terrestres et navales et de guerre électronique.

Sea Hunter
Parmi les projets de la Navy et du SURFDEVRON ONE, le robot trimaran chasseur de sous-marins Sea Hunter semble prometteur.
Le Sea Hunter a été développé à partir de 2014 par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) et le bureau de recherche naval de la marine américaine (Office of Naval Research, ONR), dans le cadre du programme de recherche ACTUV (Agency’s Anti-Submarine Warfare Continuous Trail Unmanned Vessel).
Il s’agit d’un drone de 40 mètres de long, d’un déplacement de 140 tonnes, dont 40 tonnes de carburant, capable de traquer les sous-marins. Il peut opérer durant 70 jours. La propulsion comprend deux moteurs Diesel pour une vitesse maximale de 27 nœuds obtenue durant les essais.
Cet USV moyen est équipé de capteurs, de caméras et d’un système de sonar pour repérer les sous-marins et les bâtiments de surface. Pour l’heure, le Sea Hunter n’est pas armé, car il a un rôle d’éclairage et de guidage des forces de surface et sous-marines jusqu’aux cibles. Mais de futurs modèles, notamment des Large USV, seront équipés de missiles antiaériens et de missiles longue portée pour des frappes contre des navires ou contre des cibles à terre.
En août 2019, le Sea Hunter a réussi son premier test en reliant San Diego à Pearl Harbor, à Hawaii, soit un peu plus de 4 000 kilomètres.
Le SURFDEVRON ONE doit examiner le commandement et conduite (C2) des plates-formes et les défis potentiels en termes d’opérabilité et de communications. Il doit également évaluer les besoins des bâtiments en capteurs, ordinateurs et divers systèmes. Enfin, il a pour mission de préparer l’entraînement des personnels qui piloteront et géreront les USV.

Changement de doctrine : la puissance du réseau
Les drones de combat de la marine américaine s’inscrivent dans le cadre plus large d’une réorientation de la doctrine élaborée par le Pentagone qui se prépare pour la guerre du futur.
La Chine et la Russie ont énormément investi dans leurs programmes de bulle A2/AD (Anti-Access/Area Denial). Ces systèmes de défense, technologiquement très avancés, regroupent des batteries de missiles antinavires de longue portée, de la guerre électronique, le cyber, des batteries de missiles balistiques tactiques, etc. Le groupe aéronaval américain, et notamment le super porte-avions qui en forme le cœur, est dès lors devenu très vulnérable. C’est la raison pour laquelle le programme Ghost Fleet Overlord pour l’acquisition de plusieurs USV a vu le jour. Au départ, l’objectif était d’ajouter de grands bâtiments de surface pour garantir la présence de la Navy, par exemple en mer de Chine méridionale et orientale, avec une grande puissance de feu pour sa propre protection et pour projeter des forces dans un environnement de bulles A2/AD. Aujourd’hui, l’idée est de passer franchement à l’offensive.
La marine a complètement changé son approche. L’objectif est d’aller vers le plus petit, de sortir du « gros », comme les destroyers de classe Arleigh Burke, énormes, remplis de capteurs et d’armes, mais extrêmement chers à construire, à entretenir et à améliorer.
Le programme des navires de surfaces autonomes s’inscrit dans le plan de remplacement des croiseurs et des destroyers par la nouvelle génération de frégates et de plus larges bâtiments de combat.
Il s’inscrit aussi dans la nouvelle stratégie de la marine américaine pour contrer les avancées maritimes de la Chine et, dans une moindre mesure, de la Russie. L’idée est d’engager des forces de surface sur de vastes zones, d’étirer le renseignement et les outils de reconnaissance chinois et éventuellement de mener des frappes offensives.
Augmenter la flotte et accroître ses capacités et l’inter­opérabilité entre chaque bâtiment sont gages d’avantage sur les concurrents chinois et russe. Pour faire fonctionner toutes ces plates-formes ensemble, il faut tout mettre en réseau, c’est-à-dire que chaque navire, avec ou sans équipage, doit être un nœud dans le réseau.
Pour la marine, qui souhaite commander dix LUSV d’ici à cinq ans, un dernier obstacle reste à surmonter. Si le Congrès a approuvé l’acquisition de deux LUSV, il a refusé l’installation de systèmes de lancements verticaux. De nouvelles études doivent être menées par les bureaux recherche et développement de la marine et présentées lors du vote des prochains budgets.

Légende de la photo ci-dessus : Le porte-avions géant américain USS Gerald Ford (CVN-78), navire de tête de la nouvelle classe Gerald Ford qui doit remplacer la classe Nimitz. Les porte-avions américains et leurs groupes aéronavals sont vulnérables face aux bulles A2/AD russe et chinoise. © US Navy

Article paru dans la revue DefTech n°07, « Guerre du futur : les nouveaux enjeux du cyberespace », janvier-mars 2020.

À propos de l'auteur

Boris Laurent

Manager Défense & Sécurité chez Sopra Steria Next, historien spécialiste en relations internationales et en histoire militaire et officier de réserve au sein de la Marine nationale

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