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DSI n°153 – L’éditorial

DSI n° 153, mai-juin 2021 - US Navy vs Marine iranienne

Le domaine militaire n’est pas épargné par les expressions aussi passe-­partout que galvaudées. La notion de « conflit gelé » est ainsi fréquemment évoquée pour souligner l’impasse militaire dans laquelle une confrontation se trouve bloquée, du fait d’une stabilisation des positions des belligérants sur la carte. En l’occurrence, deux récents exemples montrent que l’expression non seulement est trompeuse, mais cache aussi de vraies leçons à tirer pour nos forces : d’une part, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour du Haut-­Karabagh, déjà largement abordé dans nos pages ; d’autre part, le conflit dans l’est de l’Ukraine, avec le déploiement en Crimée, mais aussi à la frontière entre la Russie et les républiques séparatistes ukrainiennes, de gros volumes de forces depuis le mois de mars 2021. Mi-avril, il était ainsi question d’un total de 100 000 hommes et de tout le spectre des capacités de combat russes, avec des déploiements massifs d’artillerie incluant des missiles Iskander.

Il est ici remarquable de constater que cela montre bien la dynamique d’un conflit qui n’a jamais été gelé, ne serait-ce qu’au regard des observations menées par l’OSCE. Il faut également constater que si Moscou est présenté comme le parangon de la « guerre hybride », cette notion est critiquable sur le fond comme sur la forme. Sur le fond, la Russie sait frapper quand elle estime que c’est opportun : la guerre hybride peut préparer le terrain, mais ce dernier doit être saisi – et il ne l’est pas par des déclarations politiques, mais bien par des capacités militaires et de la puissance de feu. Sur la forme, les actions russes autour de l’Ukraine jouent la carte de l’incertitude. Interprétables comme des pressions ou des préparatifs, les déploiements russes ne sont rien d’autre que la énième démonstration que, à la guerre, le déclaratoire et l’opérationnel s’interpénètrent pour générer de la liberté d’action au profit du politique. De ce point de vue, le « conflit gelé » n’est qu’un « conflit mûrissant » voyant le stratège attendre de saisir le meilleur moment pour agir.

Joseph Henrotin

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À propos de l'auteur

Joseph Henrotin

Rédacteur en chef du magazine DSI (Défense & Sécurité Internationale).
Chargé de recherches au CAPRI et à l'ISC, chercheur associé à l'IESD.

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