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Le Japon : leader mondial de la robotique

Le Japon a toujours été une référence mondiale dans le domaine de la robotique. Sur le marché de la robotique industrielle, il demeure d’ailleurs depuis longtemps le leader international. Cependant, le nombre total d’unités en fonction dans le pays est maintenant inférieur à celui de la Chine (1), et sur le plan de la densité robotique, le Japon est devancé par Singapour, la Corée du Sud et l’Allemagne.

Aujourd’hui, la part des fabricants japonais de robots représente 52 % (2) de l’offre mondiale et deux des quatre grandes compagnies robotiques mondiales sont japonaises (3). La robotique est l’un des outils essentiels de croissance du Japon. On peut se rappeler qu’en 2015, Shinzo Abe a annoncé la création du Conseil pour la Révolution robotique. Avec l’essor de l’Internet des objets (IdO) et de l’intelligence artificielle (IA), donc dans le contexte de la Quatrième Révolution industrielle, le Japon considère le développement de la robotique comme un axe de la réalisation de son projet de « Société 5.0 ». Le Japon tiendra d’ailleurs des Jeux olympiques de robots (4) en 2020, après la version humaine à Tokyo.

Domo arigato, Mr. Roboto

Quand nous avons entendu ce refrain dans les années 1980, 70 % des robots industriels en fonction dans le monde étaient concentrés au Japon. À l’époque de la haute croissance économique au Japon, l’introduction des robots dans l’industrie manufacturière était due au manque de main-d’œuvre. La Yaskawa Electric Corporation, leader de la robotique industrielle d’aujourd’hui, a commencé à fabriquer en 1977 son modèle MOTOMAN, qu’on a pu voir dans le film Terminator, capable de souder pendant 24 heures pour l’industrie automobile. En effet, la robotique industrielle japonaise s’est développée en lien avec les besoins d’une de ses plus grandes industries. Les instituts de recherches des compagnies automobiles japonaises contribuent également à l’avancement de la robotique, élargissant ainsi la sphère d’application de leurs produits, toujours dans le but de favoriser la mobilité, autant dans les déplacements qu’à l’intérieur du domicile (5).

Sur le marché mondial, c’est toujours dans l’industrie automobile que les robots industriels sont les plus utilisés, mais ils ne représentent qu’environ 30 % (6) des ventes, et ce chiffre est encore moins élevé au Japon, suivi de près par l’industrie électrique et électronique. Actuellement, il existe un besoin croissant de piles, de puces, d’écrans et d’autres produits pour smartphones et autres gadgets électriques, et le nombre de robots capables de manipuler des pièces minuscules à grande vitesse et avec précision a considérablement augmenté. Les besoins en robotique augmentent et ces robots continueront d’être introduits dans d’autres industries. C’est notamment le cas pour la production alimentaire et pharmaceutique (en Asie et en Europe essentiellement) où les coûts de main-d’œuvre augmentent. Les ventes mondiales de robots industriels ont doublé de 2012 à 2017 (7). La montée en flèche du nombre de robots industriels dans le monde est bien sûr favorable au Japon avec 80 % (8) des robots japonais voués à l’exportation.

Au pays même, l’augmentation des besoins en robotique répond également à des enjeux sociaux tels que le déclin démographique et le vieillissement de la population. Ainsi, en 2018 au Japon, l’implémentation de robots a augmenté de 21 %, c’est-à-dire jusqu’à 55 240 unités — un nouveau record.

Les robots humanoïdes, un enjeu pour la société japonaise ?

En parallèle du succès des compagnies de robotique industrielle, traditionnellement, le Japon a toujours démontré un certain intérêt pour les robots de type humanoïde tels que présentés dans sa culture populaire — pensons, entre autres, à Astro, le petit robot. Le premier robot humanoïde dans le monde, Wabot-1, a été conçu en 1973, à l’Université Waseda. Il pouvait marcher, voir, communiquer en japonais et saisir des objets. L’apparence humanoïde de Wabot-2, créé en 1983, a été affinée. Ce dernier peut même jouer du piano. Avec la diffusion et l’avancement des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans les années 1990, le gouvernement japonais s’est lancé dans le soutien au développement robotique. En 1995, l’ancien METI (9), en collaboration avec l’Université de Tokyo, a établi un groupe de recherche national nommé R-Cubed (R3 : Real-time Remote Robotics). Ses recherches ont porté sur le développement de technologies permettant à leurs opérateurs humains de profiter de la réalité virtuelle grâce aux robots et à la technologie de réseaux. Ils ont mis en avant l’importance de relier la robotique industrielle à la technologie informatique et d’appliquer cette technologie à des domaines non usiniers. Suite à cette décision du gouvernement d’investir dans le développement de robots humanoïdes, Honda Motors, qui faisait déjà des recherches depuis 1986, a dû partager ses progrès dans le domaine. En effet, Honda avait déjà réussi à créer P2, un prototype d’ASIMO, le premier robot dans le monde à marcher sur deux jambes. Avec P2, qui pouvait monter un escalier et marcher à reculons, le gouvernement japonais a mis en œuvre sa politique robotique Humanoid Robotics Project (HRP) entre 1998 et 2002, qui mettait l’accent sur l’intégration de la robotique dans la société. De par sa nature, ce projet était considéré comme innovateur, à l’époque. Ils ont partagé le matériel (hardware) et le logiciel d’un robot nommé HRP-2 à différents laboratoires (10), le but étant d’explorer les possibilités technologiques et leur adaptation sociale.

Au Japon, au niveau académique, le développement de la robotique était associé à l’ingénierie, mais depuis l’expansion de l’informatique et de l’Internet, on souligne l’importance de lier ces deux domaines. Certains ingénieurs japonais ont investi dans les robots humanoïdes pouvant marcher comme les humains, mais d’autres chercheurs, surtout à l’extérieur du Japon, ont investi ailleurs, puisque pour eux le déplacement sur roues était suffisant pour un robot. En 2011, l’accident nucléaire de Fukushima a changé la vision de la robotique dans le monde. On a réalisé alors qu’il n’existe pas de robots japonais capables de fonctionner dans un environnement hautement irradié. En revanche, les PackBots prêtés par la compagnie américaine iRobot n’étaient pas affectés, mais ils n’étaient pas non plus adaptés à ce genre d’environnement humain où ils devaient, entre autres, ouvrir des portes et monter des escaliers. Cet incident a propulsé la nécessité de développer des robots humanoïdes capables de mouvements aussi précis que ceux des humains (11). Cette tangente s’est conjuguée, depuis les années 2010, avec le développement de l’IA.

Contournant les discussions sur la menace du dépassement des capacités humaines engendrées par l’IA, le Japon avance dans une voie plus pragmatique et c’est la question de la résilience de la société humaine qui est mise en avant. Pour ce qui est de l’introduction des robots dans la société, d’une part les Japonais ont davantage tendance à considérer les robots comme amicaux et non dangereux. Cette image du robot amical s’est surtout répandue grâce à la culture littéraire et cinématographique ; pensons ici à l’animation Doraemon, par exemple. Dans la pratique, dès 1970, le roboticien japonais Mori Masahiro a publié sa théorie de la « vallée dérangeante » (12). La société est donc depuis longtemps préparée à l’introduction du robot.

En 2016, Sony — qui s’était retiré de la robotique depuis 2006 après avoir cessé de produire le chien robot AIBO — a annoncé de nouveau son entrée dans le domaine. Avec la société 5.0, le pays veut créer un environnement où les défis sociaux peuvent être résolus grâce à l’intégration de la technologie robotique dans les domaines de la santé, de la mobilité, de l’infrastructure et de la fintech. C’est pourquoi les Japonais concentrent également leurs efforts dans le développement de la cobotique (13) avec le concept de « kyô-dô » (« ensemble ; travailler »). L’intérêt du Japon pour les robots humanoïdes a parfois été critiqué, mais au final, il aura apporté des innovations technologiques importantes dans un monde où les sociétés ont un besoin toujours croissant de robots multifonctionnels. C’est donc grâce à cet intérêt de longue date pour les robots humanoïdes que le Japon est aujourd’hui considéré comme un leader mondial dans le domaine de la robotique.

Notes

(1) Depuis 2016.

(2) Selon le communiqué de presse de la Fédération internationale des robots (IFR), le 18 septembre 2019.

(3) Les quatre grandes compagnies robotiques sont Yaskawa, FANUC, Kuka et ABB. Suivent de près d’autres compagnies japonaises telles que Kawasaki et Nachi.

(4) World Robot Summit (WRS).

(5) Voir par exemple les projets de Toyota Research Institute (TRI).

(6) World Robotics 2019 edition, IFR, 2019.

(7) Selon l’IFR en 2018 : 159 000 en 2012 à 346 000 en 2017. 422 000 unités ont circulé sur le marché mondial en 2018. De plus, de 2013 à 2018, le taux annuel d’implémentation de robot a augmenté de 23 % en moyenne chaque année.

(8) Selon les statistiques de la Japan Robot Association (JARA).

(9) Ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie.

(10) HRP-2 a été développé par l’Intelligent Systems Research Institute appartenant à l’Institut national des sciences et technologies industrielles avancées. Sa fabrication était assumée par Kawada Industries.

(11) L’agence américaine pour les projets de recherche avancés de défense, DARPA, s’est penchée sur le sujet. Avec son financement, Boston Dynamics a créé le robot Atlas dans le cadre du Robotics Challenge.

(12) De l’anglais « uncanny valley ». Les humains sont plus à l’aise devant un robot qui n’a pas l’apparence humaine. Idéalement, ils se sentiraient autant à l’aise avec un robot à l’apparence parfaitement humaine. La théorie de la « vallée dérangeante » exprime un creux dans le développement de l’apparence des robots ; une apparence qui s’approche de celle des humains, mais pas tout à fait. De là le facteur dérangeant.

(13) Les cobots peuvent opérer à proximité des humains, contrairement aux robots industriels nécessitant une certaine distance, voire une séparation complète des humains par souci de sécurité.

Légende de la photo ci-dessus : Le robot Pepper, créé par la startup française Aldebaran, racheté depuis par le japonais Softbank. Alors que le Japon est confronté à une faible natalité, le pays mise sur l’industrie robotique — dont le marché devrait décupler d’ici 2035 — pour compenser la pénurie de main-d’œuvre. (© Shutterstock/VTT Studio)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°56, « Géopolitique du Japon », Juin – Juillet 2021.
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