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La dette des pays africains : l’annulation est-elle si simple ?

Faut-il annuler la dette des pays africains ? Si la question est ancienne, elle a été remise au cœur de l’actualité avec la crise de la Covid-19 afin d’éviter les effets dévastateurs de la pandémie sur des économies déjà faibles. Encore faut-il comprendre la structure de ces dettes et les intérêts des acteurs, dont la Chine.

La dette des pays africains s’est constituée à partir des années 1960. Certains ont hérité de créances cédées par les puissances coloniales. D’autres non. Ainsi, la France a légué à la Mauritanie une dette de 66 millions de dollars alors que le Togo a pu jouir de finances publiques saines. Mais les États africains sont progressivement piégés dans la spirale de l’endettement. Dans les années 1970, la Banque mondiale multiplie les prêts accordés aux pays dits du Tiers Monde avec des taux bas (entre 2 et 3 %) et peu d’exigences sur les capacités de remboursement, ce qui incite à s’endetter davantage. Dans la décennie 1980, les taux augmentent. Les économies africaines sont prises entre le poids croissant de leur dette et la baisse de leurs revenus d’exploitation.

Inégalités face à l’endettement

Différents plans sont mis en place par les institutions internationales pour éviter les défauts de paiement : politiques d’ajustement structurel avec des programmes de rééchelonnement entre les années 1980 et 2000, programmes de restructuration en 1996, ou initiatives d’annulation de la dette multilatérale en 2005. Si la dette actuelle des pays d’Afrique subsaharienne reste élevée, elle doit être replacée dans le contexte international. En 2018, selon la Banque mondiale, elle est de 583 milliards de dollars, la part publique représentant 365 milliards. Des différences importantes persistent entre les pays : par exemple, la dette de l’Angola s’élève à 54,5 milliards de dollars (dont 38 milliards pour le secteur public), alors que celle du Burkina Faso est de 3,3 milliards (dont 3 milliards). Par ailleurs, les autres régions de la planète sont plus concernées par le problème : l’Asie de l’Est et Pacifique a une dette de 2 784 milliards de dollars (dont 626 milliards), pour l’Amérique latine et les Caraïbes, elle atteint 1 868 milliards (dont 914 milliards), d’autant que les données de la Banque mondiale n’incluent pas les États aux revenus élevés. Enfin, en proportion, les États-Unis sont le plus grand débiteur, avec un tiers de la dette mondiale. Les créanciers, notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, restent réticents à l’annulation pour différentes raisons. D’une part, les dettes sont considérées comme des obligations dont il faut s’acquitter. De plus, leur annulation encouragerait les pays riches à ne plus prêter, ce qui réduirait les budgets d’aide aux pays pauvres. Cela mettrait par ailleurs à mal la crédibilité des institutions multinationales. Enfin, l’annulation ne garantirait en rien que les sommes d’argent libérées ne seraient pas gaspillées aux dépens de la population. Ainsi, si la pandémie de Covid-19 a fait se lever un vent de solidarité, la réalité des chiffres ne doit pas faire oublier la complexité de l’annulation de l’endettement des pays africains.

La Chine détient une part importante de cette dette, ce qui représente un levier de pouvoir certain. Selon la China Africa Research Initiative, le montant des prêts accordés à 49 pays africains par la République populaire s’élève à 152 milliards de dollars entre 2000 et 2018, l’Angola se présentant comme l’un des principaux débiteurs (1). Toutefois, la prudence reste de rigueur face à l’absence de transparence d’une administration chinoise cloisonnée. Mais nul doute que les prêts chinois augmentent le niveau de la dette, ce qui peut être perçu comme une menace ou une opportunité. La diplomatie économique chinoise consiste à offrir des prêts sans garanties réelles de viabilité économique des projets. Les États, peinant à rembourser leurs emprunts, ont alors tendance à hypothéquer leurs droits sur des infrastructures géostratégiques (les ports notamment). C’est la diplomatie dite du « carnet de dette » par laquelle la Chine gagne un réseau fiable pour ses approvisionnements et une influence ­politico-économique auprès de ses débiteurs, mais affaiblit la souveraineté des États endettés, ce qui est perçu comme du néocolonialisme. Mais les prêts concédés sont également une opportunité pour le développement des pays africains. D’une part, les prêts chinois ne contribuent à un sérieux surendettement que dans trois pays : Djibouti (Pékin y détient 77 % de la dette), la République démocratique du Congo (7,1 milliards de dollars y seraient détenus par la Chine) et la Zambie (6,4 milliards sur un total de 8,7 milliards fin 2017) (2). D’autre part, la République populaire favorise le développement : les prêts stimulent l’économie, génèrent de la concurrence et de l’emploi. Enfin, l’Afrique a besoin d’argent pour financer ses projets et l’un des seuls pays capables de nos jours de fournir des emprunts importants et rapidement est… la Chine. 

<strong>Le poids de la dette en Afrique</strong>
<strong>Investissements et prêts chinois en Afrique et investissements et prêts chinois en Afrique</strong>
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Notes

(1) Deborah Brautigam, « Chinese Debt Relief : Fact and Fiction », in The Diplomat, 15 avril 2020.

(2) Janet Eom, Deborah Brautigan et Lina Benabdallah, « The Path Ahead : The 7th Forum on China-Africa Cooperation », China Africa Research Initiative, Briefing Paper no 1, 2018.

Article paru dans la revue Carto n°61, « Mondialisation : les enjeux de demain  », Mars-Avril 2021.
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