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La France et les ventes d’armes : quelles fonctions ?

Le ministère français des Armées a publié en juin 2021 son rapport d’information annuel au Parlement sur les exportations d’armement (1). Le détail des ventes d’armes, mais aussi des importations est en partie clarifié – seules les catégories de systèmes sont détaillées, et non les titres. Ce qui amène à s’interroger sur la place de l’armement dans la politique de puissance française, alors que le secteur a été affecté par l’épidémie de Covid-19.

Si la France dispose d’une puissante industrie de défense, cette dernière sert d’abord à équiper ses forces. Le rapport du ministère des Armées montre que, de 2011 à 2020, la plupart des items structurants – avions de combat, hélicoptères, blindés, navires de combat – ont été produits localement. Seul l’armement léger est importé de voisins (à l’exception de 96 carabines provenant des États-Unis) : Allemagne, Belgique, Suisse, Autriche, sachant que l’industrie française peut avoir fourni la matière première.

Aucun État n’est autosuffisant pour ses armements – pas même la Russie, la Chine ou les États-Unis –, de sorte que les exportations jouent un rôle pour l’équipement des forces nationales comme étrangères. En augmentant le volume des séries, les coûts d’achat diminuent. Par ailleurs, des matériels spécifiquement développés pour l’exportation assurent le maintien des bureaux d’études – leur permettant ainsi de penser les équipements futurs et d’obtenir un équilibre financier nécessaire à la survie de l’industrie. Plus largement, les commandes export compensent le faible volume des commandes nationales.

Un acteur mondial

Ce secteur est également une composante de l’industrie et de la richesse nationales. En 2020, il représentait environ 200 000 emplois directs et indirects et un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros – sans compter les activités de maintenance, de plus en plus importantes et rentables –, avec à la clé des retombées fiscales. L’industrie est, du reste, un outil diplomatique en soi. La politique européenne de la France est ainsi soutenue par les coopérations industrielles avec d’autres firmes européennes.

Sur la scène mondiale, la France est la troisième exportatrice d’armement, avec 8,2 % des transactions entre 2016 et 2020, contre 20 % pour la Russie et 37 % pour les États-Unis (2). Les ventes d’armement ne sont pas neutres : elles sont aussi le reflet des liens diplomatiques avec un État, tout comme l’achat d’un armement français est vu comme une marque d’amitié d’un pays à l’égard de la France, en particulier pour des systèmes à forte visibilité – avions de combat, satellites, navires – et en dépit des controverses liées au comportement stratégique de l’acheteur. Le cas échéant, elle se montre inventive : pour fournir plus rapidement des Rafale à la Grèce, la France livre des appareils en service chez elle, ce qui l’oblige à en commander de nouveaux.

Sur la période 2016-2020, les principaux clients ont été l’Inde, l’Égypte et le Qatar. Toutefois, pour la seule année 2020, l’Arabie saoudite est le premier importateur d’armement français (703,9 millions d’euros de commandes contractualisées), alors que le royaume est critiqué pour la guerre menée au Yémen depuis 2015. Les ventes à Riyad se sont surtout concrétisées en systèmes de défense antiaérienne, en robots de déminage sous-marin et en munitions. Paris défend ces exportations, notamment en insistant sur la contribution du secteur au dynamisme de l’économie nationale (13 % de l’emploi industriel).

Cette valeur politique des exportations se remarque également à l’aune de leur interdiction. En 1967, la France change sa politique au Proche-Orient du tout au tout, abandonnant Israël pour soutenir les pays arabes. Dans la foulée, la vente de Mirage 5 à l’État hébreu est annulée. De même, la vente de deux grands bâtiments amphibies en Russie est annulée en 2015, sanction faisant suite à l’annexion de la Crimée par Moscou. Mais les critiques perdurent et, pour la première fois, une mission d’information parlementaire a été formée en 2018 pour le « contrôle des exportations d’armement » – lequel est assuré par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEMMG) dont le rapport et les recommandations doivent être présentés par le gouvernement d’ici à fin 2021.

Un effet Covid-19

Si les ventes d’armes sont politiques, elles sont aussi soumises aux aléas du marché et des concurrences, qui peuvent être rudes. Les prises de commandes à l’international tournaient autour de 6 milliards d’euros par an jusqu’en 2012, et avoisinaient 17 milliards en 2015, un record, avant de baisser progressivement. Avec la ­Covid-19, les commandes ont chuté à 4,9 milliards d’euros en 2020. Cependant, une dynamique de modernisation des forces est bien présente, de sorte que les ventes sont appelées à augmenter. En la matière, les petites rivières font parfois les grands fleuves : si les matériels majeurs peuvent se retrouver sur le devant de la scène politico-médiatique, d’autres (armements et véhicules légers, équipements optroniques ou de communication) génèrent des recettes importantes. De 2011 à 2020, l’Algérie a ainsi reçu pour 494,1 millions d’euros d’équipement, le Botswana 227,1 millions ; la Corée du Sud, 653,4 millions, etc. Tous pays confondus, sur la même période, les ventes représentent 56,33 milliards d’euros (celles inférieures à 50 000 euros ne sont pas comptabilisées), mais surtout une véritable influence.

Notes

(1) Ministère des Armées, Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, juin 2021.

(2) SIPRI, Trends in International Arms Transfers, 2020, mars 2021.

<strong>L’industrie française de l’armement</strong>
Article paru dans la revue Carto n°67, « Une construction géopolitique en devenir. L’Union Européenne  », Septembre-Octobre 2021.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

À propos de l'auteur

Joseph Henrotin

Rédacteur en chef du magazine DSI (Défense & Sécurité Internationale).
Chargé de recherches au CAPRI et à l'ISC, chercheur associé à l'IESD.

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