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La puissance maritime chinoise

Première puissance économique mondiale en 1820, la République populaire de Chine (RPC) s’appauvrit progressivement jusqu’à 1978. Bien que ce siècle « d’humiliation » soit en partie imputable aux étrangers, tous venus de la mer à l’exception des Russes, il est peut-être avant tout la conséquence des nombreuses révoltes et luttes intestines qui ont toujours marqué son histoire plurimillénaire. Au XIXsiècle, elles sont particulièrement violentes. Vingt à trente millions de personnes auraient été tuées pendant la seule rébellion des Taiping (1850-1864). Le coût des opérations militaires était insoutenable, puisqu’aux dépenses engendrées par la levée d’une armée professionnelle permanente s’ajoutait l’impossibilité de percevoir l’impôt dans les provinces qui s’étaient soulevées. La priorité budgétaire allait donc aux armées terrestres et la création d’une marine moderne capable d’affronter les puissances maritimes étrangères a été soumise à la portion congrue. Faute d’y être préparée, la Chine a perdu successivement deux guerres navales, contre la France en 1884-1885 et contre le Japon en 1894-1895. 

Si les insurrections sont toujours occultées par les Chinois, l’ingérence étrangère nourrit un ultranationalisme exacerbé dans la population et la volonté de reprendre sa place de premier rang parmi les grandes puissances. À la mort de Mao, la part du PIB mondial de la Chine avait chuté vertigineusement, passant de 32,4 % en 1820 à 4,9 %. 

Deux ans plus tard, en 1978, Deng Xiaoping ouvre l’île géopolitique — ce qu’est devenue la RPC faute d’allié à ses frontières terrestres — au commerce international. Ses échanges maritimes ne représentent alors que 1 % du trafic mondial et la marine de guerre (Armée populaire de Libération – marine ou APL-M) créée en mai 1950 n’est qu’une force côtière principalement destinée à prendre les îles de Taïwan où se sont retranchées les forces du Kuomingtang après leur défaite en 1949.

Les objectifs politiques de la RPC

Les réformes instaurées par Deng Xiaoping en privilégiant des zones économiques spéciales situées autour de grands ports sans cesse modernisés ont permis un essor fulgurant de l’économie chinoise. Les usines qui s’y trouvent sont abreuvées de flux maritimes de matières premières et énergétiques qui croisent ceux des produits manufacturés avec lesquels la RPC inonde le monde. Le développement économique qui en résulte est fulgurant. En 2013, la Chine est devenue le premier partenaire commercial mondial. Elle ne peut plus masquer ses ambitions planétaires et doit parfaire un outil militaire capable de les protéger. 

Xi Jinping, une fois au pouvoir, a affirmé sa volonté de réaliser « le grand rajeunissement de la nation chinoise » (1). Cet objectif, qu’il appelle « le rêve chinois », vise à redonner à la RPC une position de force, de prospérité et de premier plan sur la scène mondiale.

La Chine s’efforce d’accroître sa puissance nationale en se fondant sur la défense et la promotion de sa souveraineté, de sa sécurité et de ses intérêts en matière de développement. Elle le fait en suivant une « ligne fondamentale » mettant en exergue le développement économique. Sa définition, inscrite dans la Constitution du Parti communiste chinois (PCC), et modifiée pour la dernière fois lors du XIXe Congrès du Parti en 2017, se lit comme suit : « La ligne fondamentale du Parti communiste chinois au stade primaire du socialisme est de conduire tous les Chinois ensemble dans un effort autonome et pionnier, en faisant du développement économique la tâche centrale, en soutenant les quatre Principes Cardinaux (2) et en restant engagé dans la réforme et l’ouverture, afin de voir la Chine devenir un grand pays socialiste moderne, prospère, fort, démocratique, culturellement avancé, harmonieux et beau. » 

La géostratégie militaire et maritime de la Chine

C’est sous l’impulsion de l’amiral Liu Huaqin (1916-2011) que la stratégie maritime chinoise va passer de la « Défense côtière » à la « Défense au large ». Il fixe trois échéances à la marine pour y parvenir :

 En 2000, elle doit pouvoir contrôler la zone maritime s’étendant entre le continent et la première ligne d’îles qui longe ses côtes.

 En 2020, elle doit pouvoir contrôler la zone maritime s’étendant entre le continent et la deuxième ligne d’îles.

 En 2049, elle doit avoir une capacité d’intervention mondiale.

Bien qu’ayant pris du retard dans la réalisation des deux premières étapes, le troisième reste toujours d’actualité.

La stratégie nationale de la RPC visant à réaliser « le grand rajeunissement de la nation chinoise » d’ici 2049 est profondément intégrée à ses ambitions de renforcer l’APL. En 2017, Xi Jinping a énoncé deux objectifs de modernisation de l’APL lors de son discours au XIXe Congrès du Parti : « achever fondamentalement » la modernisation de l’APL d’ici 2035 et transformer l’APL en une force armée de « classe mondiale » d’ici 2049. Tout au long de l’année 2020, l’APL a continué à poursuivre ses objectifs ambitieux de modernisation, à affiner les grandes réformes organisationnelles et à améliorer sa préparation au combat conformément à ces objectifs. 

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