Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les ressources énergétiques : un levier de puissance

Le contrôle des ressources pétrolières a joué un rôle déterminant pendant la Seconde Guerre mondiale puis pendant la guerre froide. Aujourd’hui, l’inégale répartition des ressources pétrolières et gazières ainsi que la maitrise des ressources liées à la transition énergétique remettent l’énergie au centre des enjeux diplomatiques.

Le pétrole est une matière première à fort contenu diplomatique et militaire, avec une valeur fiscale indéniable et accessoirement un pouvoir calorifique ». Cette citation d’André Giraud, ministre de l’Industrie pendant le second choc pétrolier en 1979, illustre parfaitement les enjeux diplomatiques liés à l’utilisation des ressources énergétiques. Ce qui est vrai pour le pétrole l’est aussi pour le gaz et pour les ressources liées à la transition énergétique. 

L’hégémonie américaine au début du XXe siècle

La découverte du pétrole en 1859 par le colonel Drake à Titusville (Pennsylvanie) conduit à une croissance rapide de la production pétrolière aux États-Unis, offrant ainsi à ce pays un avantage diplomatique déterminant. 

Très rapidement, l’industrie pétrolière américaine s’est structurée. Pendant près d’un siècle, les États-Unis ont produit plus de 50 % du pétrole mondial. Le premier forage pétrolier à Bakou a été foré en 1871. Le premier gisement au Moyen-Orient a été mis en production en Perse en 1908. Ce n’est qu’en 1938 qu’a été découvert le gisement de Burgan, au Koweït, et en 1948 le gisement géant de Ghawar, en Arabie saoudite. Les États-Unis ont profité pendant de nombreuses années de leur avantage concurrentiel. La maitrise des ressources pétrolières est devenue rapidement un enjeu majeur dans la conduite des conflits. La bataille de Verdun en est une illustration éclatante. L’armée française ne dispose pas de ressources en carburants suffisantes pour assurer la mobilisation de ses troupes. Face aux réticences de la Standard Oil, Clémenceau intervient auprès du président Wilson pour solliciter un renforcement des livraisons : « une goutte de pétrole vaut une goutte de sang », lui écrit-il.

Le partage des ressources pétrolières émergentes du Moyen-Orient a été un enjeu majeur des négociations de paix après la Première Guerre mondiale. L’accord de San Remo (1920) acte la saisie des parts de la Deutsche Bank dans la Turkish Petroleum Company qui exploitait le pétrole dans l’Empire ottoman. La France récupère 23,75 % des parts de la société et crée à cette occasion la Compagnie française des Pétroles, l’ancêtre de Total. La compagnie devient l’Irak Petroleum Company et les intérêts anglo-saxons y sont majoritaires. Les compagnies américaines sont très présentes au nom du principe de la « porte ouverte » : en effet, être présent partout pour contrôler cette industrie stratégique est au cœur des préoccupations américaines. En 1937, en réaction à l’impérialisme japonais, les États-Unis décident un embargo des livraisons de pétrole et de matières premières lors du déclenchement de la guerre sino-japonaise. Cette décision conduira à l’attaque de Pearl Harbour. 

Le contrôle de ressources pétrolières a aussi été l’un des prétextes de la guerre du Chaco entre la Bolivie et le Paraguay, de 1932 à 1935. La nécessité d’exporter le pétrole, supposément trouvé au nord de la frontière argentine, par le fleuve Paraguay, se serait aussi ajoutée aux objectifs d’occupation du territoire par la Bolivie. La thèse d’un conflit orchestré par la Standard Oil du côté bolivien et par la Royal Dutch Shell du côté paraguayen a été illustrée par Hergé dans L’Oreille cassée ! En fait, aucune ressource pétrolière n’a été trouvée dans la zone revendiquée. Les historiens convergent à affirmer qu’en causant la mort du quart des combattants engagés, cette guerre est l’une des plus meurtrières des temps modernes.

À propos de l'auteur

Olivier Appert

Conseiller du centre Énergie de l’IFRI, membre de l’Académie des technologies.

À propos de l'auteur

Jean-Pierre Favennec

Spécialiste de l’énergie, professeur à Sciences Po et à l’IFP School (École nationale supérieure du pétrole et des moteurs).

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