En France, la loi sur la réforme des retraites a suscité de fortes contestations, en particulier sur le report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, obligeant le gouvernement à contourner le Parlement en actionnant l’article 49.3 de la Constitution pour éviter tout risque de refus. Le texte a été validé le 14 avril 2023 par le Conseil constitutionnel. Qu’en est-il de la situation dans les autres pays européens ? Peut-on parler d’« exception française » ?
Depuis trente ans, le système de retraite en France a fait l’objet de plusieurs réformes effectives (1993, 2003, 2010, 2014) et de tentatives avortées (1995, 2020). La volonté d’adapter les retraites au vieillissement démographique et à l’augmentation de l’espérance de vie n’est donc pas nouvelle et a entraîné d’importants mouvements sociaux, en particulier en 1995, pour contrer l’allongement de la durée de cotisation. Par son ampleur, celui de 2023, organisé par une intersyndicale soudée, est comparable quant au nombre de manifestants, réunissant plus d’un million de personnes dans près de 300 villes sur les plus fortes journées de mobilisation, avec des grèves et des blocages dans différents secteurs clés (transports ferroviaires, enseignement, raffineries, collecte des déchets…) et un soutien de la population. Avec un texte adopté sans vote le 16 mars 2023, le gouvernement d’Élisabeth Borne estime avoir remporté une victoire et souhaite orienter le débat sur d’autres projets, alors que la répression policière des dernières manifestations a suscité une forte inquiétude du Conseil de l’Europe.
Une préoccupation commune
Certains pays européens, dont la France, ont opté pour financer le régime de base pour la solidarité intergénérationnelle avec un système par « répartition », où ce sont les cotisations des actifs et des employeurs qui paient les pensions des retraités. D’autres ont choisi un fonctionnement par « capitalisation », où les travailleurs épargnent pour financer leur propre retraite à travers des organismes, les fonds de pension, qui gèrent et font fructifier cet argent. Le montant des pensions de retraite est calculé en annuités pour la France et quatorze autres membres de l’Union européenne (UE) à partir du salaire, de la durée de cotisation et du taux d’annuité, qui diffèrent d’un pays à l’autre. Cinq États de l’UE, dont l’Allemagne, ont opté pour un système à points, résultant des cotisations versées pendant la carrière professionnelle. Enfin, d’autres, comme l’Italie, ont choisi les comptes notionnels où les actifs accumulent un capital dans un compte individuel, qui leur est reversé à la retraite.
Tous sont confrontés, durablement, à des niveaux de fécondité inférieurs au seuil de simple remplacement des générations (2,1 enfants par femme) avec une moyenne de 1,5 enfant par femme. Ils assistent, depuis les années 1980, au phénomène de vieillissement. En 2022, la part de la population âgée de 65 ans et plus atteint 21,1 % (contre 18 % en 2012), avec d’importantes variations d’un pays à l’autre. Si la France se situe dans la moyenne européenne, le taux est particulièrement élevé en Italie (23,8 %), au Portugal (23,7 %), en Finlande (23,1 %), en Grèce (22,7 %) et en Allemagne (22,1 %) ; à l’inverse, il est plus bas en Europe de l’Est (19,1 % en Pologne, par exemple). Ce vieillissement pèse sur le ratio de dépendance entre retraités et actifs : alors qu’il n’était que de 27 % en 2012, il atteint 33 % une décennie plus tard. Ces évolutions démographiques poussent ou ont poussé les États européens à réformer leur système de financement des retraites avec, comme principal levier à leur disposition, l’âge de départ.
La France est-elle une exception dans l’Union européenne ?
Ces dernières années, en particulier durant les mesures d’austérité adoptées lors de la crise de la dette européenne (2008-2012) ou celle de la Covid-19, la quasi-totalité des membres de l’UE a décidé de reculer l’âge de la retraite. Celui-ci passera de 65 à 67 ans en Belgique d’ici à 2030, de 65 à 66 ans en Espagne en 2027. Il atteindra même 69 ans au Danemark en 2035, et en Italie d’ici à 2050. La France fait figure d’exception, avec la Suède et la Slovaquie, avec un départ à 62 ans, contre 65 ans pour la plupart des pays de l’UE et 67 pour ses voisins allemand et italien. Cela a été l’un des principaux arguments avancés par le gouvernement français pour faire accepter sa réforme, qui fut adoptée après la validation du texte par le Conseil constitutionnel le 14 avril 2023.
Pourtant, de nombreux experts rappellent qu’il faut prendre en compte l’âge réel effectif de départ, de 63 ans en France, contre 65 en Allemagne et 63,9 dans l’UE. Ils soulignent également que tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne : selon le Conseil d’orientation des retraites, le coût total des dépenses liées à l’âge (dépenses de retraite, de santé et de dépendance) devrait augmenter de 26 % du PIB dans l’UE d’ici à 2070, mais devrait diminuer en France, moins touchée par la crise démographique que ses voisins. Ce qui inquiète toutefois, c’est la baisse du niveau de vie des retraités : chez les Vingt-Sept, le taux de risque de pauvreté est passé de 12,9 % en 2011 à 15,6 % dix ans plus tard. En France, il a pris deux points (de 8,3 à 10,2), tandis que l’évolution du pouvoir d’achat de la pension a chuté de 11,5 % entre 1996 et 2021, de quoi inquiéter les 17,93 millions de retraités que compte le pays en 2020, alors que la hausse de l’inflation (5,2 % en 2022 ; 5,7 % en mars 2023), notamment sur les produits alimentaires, et la crise du secteur médical n’indiquent pas d’amélioration.