En avril 2023, l’Arabie saoudite envoie un ambassadeur à Sanaa pour négocier la paix avec les houthistes, après huit ans de guerre. Si aucun accord n’est officiel, le royaume souhaite en finir avec le conflit qu’il avait déclenché en 2015. La trêve déclarée un an plus tôt reste en vigueur. Les défis restent immenses : sur le terrain, la situation humanitaire demeure catastrophique, et les contours d’une solution politique pérenne semblent difficilement identifiables.
En février 2023, les Nations unies ont indiqué avoir besoin de 4,3 milliards de dollars pour venir en aide à 17 millions de Yéménites au bord de la famine, tout en précisant qu’environ 21 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire. Telle est la situation matérielle du Yémen après un conflit de huit années ayant fait près de 380 000 morts.
Mais c’est la perspective d’une fin durable des hostilités qui concentre l’attention. L’échec de la guerre saoudienne contre les houthistes et la volonté de Riyad de sortir de ce bourbier sont une évidence. Le 7 avril 2022, un Conseil présidentiel voulu par l’Arabie saoudite – destiné notamment à rassurer les Émirats arabes unis et leurs alliés, et à réorganiser le front antihouthiste – est créé au détriment du président Abd Rabbu Mansour Hadi (2012-2022).
Affaiblissement du camp dit loyaliste
Or cet organe a connu un affaiblissement. Deux principaux éléments l’expliquent. D’un côté, sa diversité – au nom d’un objectif de représentativité politique et territoriale – a débouché sur sa neutralisation, avec des réflexes tribaux et régionalistes (par exemple, Sultan al-Arada s’est davantage comporté en gouverneur de Marib qu’en membre de l’instance) et la tentation séparatiste (les sudistes, en dépit de leur participation au pouvoir loyaliste, se démarquent de celui-ci). De l’autre, le parrain saoudien qui l’avait créé l’a marginalisé. Au-delà de la trêve conclue en avril 2022 – qui demeure respectée par les parties un an plus tard –, des négociations entre l’Arabie saoudite et les houthistes (avec une médiation omanaise) ont lieu au grand jour : du 8 au 13 avril 2023, une délégation saoudienne s’est rendue à Sanaa. Dans la foulée, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a annoncé la libération et le rapatriement au Yémen et en Arabie saoudite de 973 prisonniers.
Petit à petit, en une année, Riyad a délaissé l’illusion d’un front uni antihouthiste au profit d’une porte de sortie. L’objectif du prince héritier, Mohamed ben Salman, est tout simplement d’en finir avec la guerre, de ne plus apparaître sur la scène internationale comme un dirigeant sanguin et violent. Dans le cadre de sa « Vision 2030 », rien ne doit mettre en péril la transformation économique du royaume. Dans sa volonté de passer pour un « pacificateur » à l’échelle régionale, il entend donner à l’Arabie saoudite un statut de puissance médiatrice. Il s’agit d’une ruse politico-juridique : en considérant le conflit comme civil (auquel Riyad aurait participé à la demande du gouvernement « légitime »), le royaume veut faire oublier son rôle de belligérant, et donc échapper à ses responsabilités. En mai 2023, Mohamed ben Salman est même apparu comme le « réconciliateur » de la Ligue arabe en accueillant Bachar al-Assad (depuis 2000) à Djeddah à l’occasion de la réintégration de la Syrie dans l’organisation.
Une paix durable ?
En dépit de l’apaisement régional illustré par l’accord saoudo-iranien de mars 2023, signé à Pékin sous le parrainage de la Chine, c’est la concurrence au sein de l’axe Riyad-Abou Dhabi qui saute aux yeux. Un an plus tôt, l’Arabie saoudite voulait ménager les Émirats arabes unis en écartant Abd Rabbu Mansour Hadi et un personnage comme Ali Mohsen al-Ahmar, qui incarne l’aile islamiste du pouvoir loyaliste. Désormais, les alliés yéménites d’Abou Dhabi, les séparatistes du Sud, défient l’autorité du Conseil présidentiel. En une année, un pas a été franchi en ce qui concerne la légitimation par l’Arabie saoudite du mouvement houthiste, mais la question séparatiste et la concurrence saoudo-émirienne sont prégnantes.
Les négociations sont en cours, et s’il reste des points de divergence (le statut de « médiateur » de Riyad, la levée du blocus, le devenir des déplacés, les compensations financières demandées par les houthistes…), la fin des hostilités semble accessible. Mais la résolution politique pérenne est loin d’être acquise. D’abord, parce que les houthistes restent une réalité nord-yéménite. Même dans l’ancien Yémen du Nord, les populations qui leur sont hostiles sont nombreuses ; elles ne se soumettent à leur joug que du fait d’un système autoritaire, voire policier, rendu possible en partie par la guerre. Ensuite, parce que la question territoriale se pose avec une certaine acuité. Le Sud est dominé par les séparatistes – une domination permise par le soutien émirien –, tandis que des poches d’une résistance dite « nationale » sont apparues dans l’ouest (vers la ville de Moka) et qu’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA) reste active dans l’est.
Enfin, des interrogations demeurent sur le devenir des « perdants », à savoir le parti Al-Islah, assimilé aux Frères musulmans et bras armé du camp loyaliste à Marib, et le clan Saleh, parrainé par Abou Dhabi et représenté par Tarek Saleh, neveu de l’ancien président Ali Abdallah Saleh (1978-2012) et membre du Conseil présidentiel. Le Yémen est le théâtre d’un conflit gelé succédant à une guerre meurtrière.