Magazine DSI

Qu’attendre de la présidence Trump en matière de défense ?

Le président élu Donald Trump a choisi pour ministre de la Défense le général James Mattis et pour conseiller à la sécurité nationale le général Michael Flynn - des nominations qui doivent être confirmées par le Sénat. (©Andy Dean Photography/Shutterstock.com)
La victoire de Donald Trump est à présent acquise. Mais quel sera son programme en matière de défense et de sécurité ? Si l’homme s’est montré instable dans ses prises de position en matière de politique internationale, il faut d’abord constater que beaucoup dépendra du choix qu’il effectuera au niveau de ses secrétaires d’Etat et à la défense – nous y reviendrons – dès lors qu’un président américain ne gouverne pas seul : le poids des administrations et des bureaucraties (et aussi de leurs concurrences internes) peut s’avérer important.

C’est une d’autant plus importante que, dans une interview à Defense News fin octobre, deux parlementaires proche de Trump, Randy Forbes et Jeff Sessions, mettaient en avant la nécessité de disposer d’une stratégie faite d’abord et avant tout par le Pentagone. Or, on sait également que la majeure partie des experts sur les questions de sécurité se positionnant comme Républicains – et non des moindres – ont appelé à ne pas voter pour Trump : quelle sera leur interaction avec le Pentagone reste à découvrir.

Défense et alliances américaines jusqu’en 2020
Sur la défense, qu’en est-il de ses positions durant la campagne électorale ? Trump a indiqué qu’il était nécessaire de « rebâtir » les forces américaines en particulier après l’épisode de la séquestre budgétaire, en faisant passer l’Army de 480 000 à 540 000 hommes et les Marines de 180 000 à 200 000. Il est également question d’accroître le nombre des bâtiments de combat, en les faisant passer à 350, alors que la planification actuelle est de 308, en mettant particulièrement l’accent sur les sous-marins. Les capacités cyber sont également appelées à s’accroître.
Le « comment » sera à charge, là aussi, du Pentagone, mais on imagine mal une réforme en profondeur où le politique n’aurait pas à poser d’arbitrages – le budget de la défense ne pouvant être découplé de celui du reste de l’Etat. Le contexte américain, en matière de stratégie des moyens, est celui de la crise d’un modèle critiqué pour son inefficacité, avec à la clé nombre de fiascos, dont celui du F-35. A voir donc, là aussi, si une réforme des processus d’acquisition, évoquée depuis des années, sera effectivement menée : vu les sommes en jeu, elle sera essentielle pour la crédibilité du Pentagone en tant que principal auteur de la stratégie de défense américaine.
L’autre question est celle du positionnement à l’égard des alliances, et de l’OTAN en particulier – dans un contexte où Trump se positionne manifestement en faveur d’un interventionnisme moindre à l’étranger. Il ne semble cependant pas question d’un retour à l’isolationnisme historique (et certainement mythifié) des années 1920-1930 : la première priorité affichée par le candidat était ainsi la lutte contre l’Etat islamique. Au-delà, sur les alliances, les prises de position semblent nettement moins claire, indiquant tour à tour vouloir les renforcer, mais aussi faire en sorte qu’elles soient rééquilibrées.
Pour l’OTAN en particulier, il s’agit de faire en sorte d’obtenir un investissement plus massif de la part des Européens ; soit de mettre un terme à un débat sur le « partage du fardeau » vieux de plus de quarante ans. Reste que ce débat entre aussi en résonance avec la délicate question de la Russie. Si le rééquilibrage des liens avec Moscou est effectivement opéré, comment réagirait Washington à la continuation du dépeçage de l’Ukraine ? De même, les Etats-Unis interviendraient-il face à une invasion des Pays baltes ?
Cette dernière question n’a rien d’anecdotique : une non-intervention américaine ne signifie rien d’autre que la perte de la pertinence de l’article 5. Et donc la fin de l’OTAN en tant qu’alliance militaire – étant entendu que la structure de force et l’équipement des membres européens de l’OTAN n’est évidemment pas à même de contrer à temps une intervention russe. Comparativement, le futur président américain semblait nettement plus préoccupé par la question chinoise – en matière asiatique, le « pivotement » ne sera peut-être donc pas remis en question. Reste, cependant, à voir son positionnement concret, dans la pratique, plutôt que dans l’excitation de la campagne électorale.
Faut-il voir dans la nouvelle élection une opportunité pour la mise en place d’une défense européenne ? C’est peu probable pour l’heure : même si elle est ardemment poussée en avant par Washington depuis plusieurs années, elle implique un degré de coopération politique des Européens pour l’heure hors de portée, chaque Etat ayant encore ses propres priorités. La légitimité perçue de l’UE en tant qu’institution politique ne s’est par ailleurs pas accrue ces dernières années – au contraire.
Par contre, le positionnement de l’Allemagne comme « hub sécuritaire » commençant à amalgamer intimement des contributions nationales (polonaise, néerlandaise) la positionne effectivement comme « centre de gravité » d’un dispositif de défense européen. Reste à voir si, ensuite, d’autres Etats joueront le jeu d’une intégration répondant déjà à des règles très poussées… Reste également à voir quelle sera la position française dans pareille configuration…
Quel avenir pour la sécurité en Europe et dans le monde ? Qu’on le veuille ou non, les Etats-Unis jouaient depuis 1945 un rôle « d’hégémon bénévole » dont l’ombre portée peut certes agacer, mais qui a également permis de partiellement « dé-anarchiser » les relations internationales. Un repli sur eux-mêmes des Etats-Unis est de nature à encourager des puissances révisionnistes ou des acteurs, y compris non-étatiques, désirant monter en gamme. La situation sécuritaire dans le monde, déjà inquiétante, est donc de nature à se détériorer. C’est d’autant plus le cas que le vote des Américains est de nature à faire disparaître les derniers scrupules de ceux hésitant encore à voter pour des partis populistes, de gauche comme de droite, au risque d’ajouter à l’instabilité.

Les 2 %, un plancher et non plus un plafond
Les conséquences pour les Etats européens paraissent, pour l’heure, évidentes : ayant durant nombre d’années compté sur la sécurité offerte par les investissements américains, nombreux sont les Etats à avoir réduit leurs efforts et perdu en capacités – tout en augmentant le plus souvent et parallèlement, leurs dépenses publiques. Il convient ainsi de rappeler que les Etats européens ne manquent pas d’argent dans l’absolu, même si les membres de l’UE restent plombés par plus de 12 000 milliards d’euros de dette (2015).
Reste que pour la zone seule Euro, la dépense publique représente 49,9 du PIB (chiffres 2012), ce qui laisse une marge confortable de montée en puissance militaire. De facto, dans les conditions actuelles et pour reprendre les termes d’un commentateur, le fameux objectif des 2 % du PIB affecté à la défense ne constitue plus un plafond, mais bien un plancher : la remontée en puissance devient clairement un impératif politique de premier ordre.
Peut-être sera-t-elle également l’occasion de remettre en question certains choix de pays européens en matière de matériels. On peut ainsi s’interroger sur la pertinence d’acheter des F-35 ou des S-70 en compensation au parapluie sécuritaire offert par les Etats-Unis…
Le véritable obstacle est cependant ailleurs : « remonter en puissance » ne s’improvise pas et, surtout, ne produit pas immédiatement ses effets. La formation de spécialistes ou la réaquisition de savoir-faire perdus sont des processus chronophages. Dans pareil cadre, les quatre années à venir seront certainement les plus délicates : avoir une maison douillette n’est d’aucune utilité si l’on est nu dans les plaines d’Europe centrale alors que vient l’hiver.

Article paru sur le blog de DSI, le 9 novembre 2016.
0
Votre panier