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Présidentielle 2017 – Défense : les réponses d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron, candidat d'En Marche ! à l'élection présidentielle de 2017
(© En Marche !)
Entretien sur les questions de défense avec Emmanuel Macron, candidat d'En Marche ! à l’élection présidentielle de 2017 (*)

Les engagements opérationnels et diplomatiques des armées sont nombreux et celles-ci se heurteront, durant le quinquennat, aux défis des renouvellements de la dissuasion, des capacités conventionnelles et de la structure de forces. Comptez-vous lancer, une fois entré en fonction, un exercice de type « livre blanc » ?

La France, comme l’Europe dans son ensemble, est entrée dans une période de transformation stratégique peut-être aussi fondamentale que celle qui s’est déroulée il y a plus d’un quart de siècle avec la fin de l’Empire soviétique. À une différence majeure près : si la fin de la guerre froide avait permis aux Européens de récolter ce que l’on appelait les dividendes de la paix, nous entrons maintenant dans un cycle lourd de défis stratégiques. En témoignent les guerres au Moyen-­Orient et en Afrique, à nos portes, et le terrorisme djihadiste, ou encore le conflit du Donbass et l’annexion de la Crimée sur toile de fond du retour d’une Russie qui déclare son insatisfaction par rapport à l’ordre européen, sans parler de l’élection d’un président américain qui paraît se réjouir à l’idée d’une désintégration de l’Union européenne – et bien sûr la sortie du Royaume-­Uni de l’Union européenne. S’y ajoute la tendance lourde que représente la montée de la Chine et des autres puissances émergentes qui modifie les équilibres du monde.

L’environnement stratégique est donc particulièrement complexe et instable, mais, dans le même temps, les besoins à très court terme de nos forces sont criants. Qu’il s’agisse de maintien en condition opérationnelle, de renouvellement d’équipements ou de formation, il est de notre responsabilité d’engager rapidement les investissements qui permettront à nos armées de tenir leur rang. Je serai donc très attentif à l’exécution du budget de la défense et lancerai immédiatement après les élections une revue stratégique, qui permettra d’affirmer dans des délais très brefs – pas plus de quelques mois – les priorités en matière de nouveaux programmes d’armement, d’entretien des matériels, de dépenses de personnels.

Une nouvelle loi de programmation militaire sera nécessaire pour l’après-2019. Or les 2 % du PIB consacrés à la défense, dont il est fréquemment question, représentent, pour certains observateurs, « un plancher plutôt qu’un plafond ». Comptez-vous accroître le budget de défense et, si oui et compte tenu de la dette et de la dépense publiques, comment allez-vous faire ?

La sécurité de la nation est le premier devoir de l’État. Pour tenir les engagements inscrits dans l’actuelle loi de programmation, il faudra une augmentation du budget de la défense. Nous savons aussi que la modernisation des deux composantes de notre dissuasion nucléaire pèsera sur les comptes publics dans les dernières années du prochain quinquennat. Aujourd’hui, les dépenses militaires représentent 1,78 % du PIB, pensions comprises.

Mon objectif est d’atteindre progressivement 2 % du PIB pour le budget de la défense, d’ici à 2025. Au cours du quinquennat, cela représentera concrètement une hausse du budget de la défense d’environ 10 milliards d’euros par rapport à son niveau actuel. Cet effort considérable, qui est le prix de notre sécurité et que j’ai pleinement intégré dans mes arbitrages budgétaires, permettra notamment de renouveler nos équipements conventionnels les plus vétustes et d’entamer la modernisation de la dissuasion. Cet effort devra s’inscrire dans un cadre européen, car cette cible de 2 % est aussi l’engagement de nos partenaires. C’est en augmentant notre effort collectif que nous gagnerons en crédibilité ; et c’est en agissant en commun, par exemple en développant des équipements conjointement, que nous serons efficaces. Sait-on que la coopération européenne en matière d’équipement a reculé au cours des dix dernières années ? Il faut inverser cette tendance et c’est le bon moment, car nos partenaires allemands ont pris conscience de la nécessité de l’effort de défense.

Les volumes de forces disponibles dans les trois armées sont historiquement bas, qu’il s’agisse de régiments de mêlée, d’avions de combat ou de bâtiments de combat principaux. Faut-il remonter en puissance ?

Nous devons bâtir une défense moderne, apte à répondre aux nombreux défis de ce siècle. Aujourd’hui, une défense efficace, c’est d’abord la combinaison de soldats entraînés et aguerris dotés de matériels modernes, capables de tenir le terrain, de contrôler l’espace aérien et maritime, adossée à une dissuasion nucléaire crédible. S’agissant plus spécialement des forces terrestres, je considère qu’il serait dangereux de reprendre la réduction des effectifs engagée à l’initiative du président Sarkozy et qui a été interrompue en 2015 : en clair, une force opérationnelle terrestre de 77000 soldats est nécessaire. L’expérience démontre par ailleurs que nos adversaires tels les groupes djihadistes en Afrique et au Moyen-­Orient sont eux-­mêmes mieux équipés, plus réactifs, mieux entraînés que naguère dans le cadre de conflits qui ne se dénouent pas rapidement : nous devons donc disposer des capacités qui soient à la hauteur de la situation dans la longue durée.

Mais je sais aussi quelle est l’urgence en matière de maintien en condition opérationnelle. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les taux de disponibilité de nos patrouilleurs maritimes, de nos avions de transport, de nos hélicoptères ou de nos blindés. Une priorité très forte sera donc établie pendant mon quinquennat pour revenir à des taux de disponibilité acceptables. La maintenance est une activité industrielle, complexe, et nos militaires engagés sur les théâtres savent l’attention qu’il faut y porter. Il faudra donc y consacrer des moyens humains et financiers adaptés, mais aussi penser une organisation de notre outil de soutien qui soit plus efficace.

Une défense moderne, c’est enfin le développement systématique de nos moyens de renseignement tactiques et stratégiques dans tous les milieux : terre, air, mer, espace, et cybernétique. Je salue à cet égard la récente décision de Jean-­Yves Le Drian de créer un CYBERCOM, un commandement des cyberopérations, car, dans ce domaine crucial pour le bon fonctionnement de nos sociétés, les agressions de toutes origines sont réelles et quotidiennes. Ce chantier sera une priorité de notre défense. Dans l’ensemble de ces domaines de haute technologie, la France, par son exceptionnel réservoir d’ingénieurs, de techniciens hautement qualifiés, par la force de ses filières industrielles, a tous les atouts pour être aux avant-­postes. En accentuant encore l’effort de recherche sur les technologies duales, en développant une politique de recrutement attractive pour nos jeunes talents, nous pérenniserons l’excellence de notre outil de défense.

Les armées sont fortement engagées : réassurance à l’Est, opérations en Afrique et au Levant, « Sentinelle » sur le territoire national, opérations en haute mer et sur le deuxième domaine maritime mondial, posture permanente aérienne, dissuasion, diplomatie de défense. Faut-il réduire le nombre de missions ? « Sentinelle » doit-elle être maintenue sous sa forme actuelle ou sous une forme adaptée ?

Le déploiement de « Sentinelle » a rassuré les Français à un moment tragique. Je saisis l’occasion pour saluer la réactivité impressionnante des armées lors du déclenchement de « Sentinelle » en janvier 2015 et la réussite de nos soldats dans une mission parfois dangereuse – nous en avons encore récemment eu la démonstration, au Carrousel du Louvre –, souvent ingrate, et toujours appréciée par nos concitoyens. Le fait demeure que nous ne pouvons pas nous contenter de reconduire telle quelle « Sentinelle » au fil des mois puis des années. Je dis cela non seulement parce que je sais que la conduite de l’opération « Sentinelle » pose des problèmes de maintien de ce que les militaires appellent le cycle opérationnel, au détriment notamment de l’entraînement à des opérations de guerre. Il s’y ajoute un problème stratégique qui découle du fait que les 10000 soldats que les deux derniers livres blancs ont prévus pour pouvoir opérer en cas de crise sur le territoire national ne sont donc plus aussi facilement disponibles étant donné la mission « Sentinelle ». Il faut donc refonder « Sentinelle ». Pour moi, cette refondation de « Sentinelle » pourrait s’appuyer sur deux principes : d’une part, il faudra envisager le repli progressif de « Sentinelle » en fonction de l’évolution de la menace terroriste sur le territoire ; d’autre part, l’organisation, ou plus exactement la réorganisation au sein des unités militaires de la capacité de déploiement sur le territoire national en cas d’urgence, en procédant aussi à une refonte doctrinale pour tenir compte de l’évolution des menaces.

Une interview publiée en janvier dans nos pages montre d’une manière parfois crue la réalité de la réserve opérationnelle. Quelle vision avez-vous pour les dispositifs comme la réserve opérationnelle ou la Garde nationale ?

La réserve a traditionnellement été moins développée en France que dans d’autres pays disposant eux aussi d’une armée de métier, tels le Royaume-­Uni ou l’Amérique. Ce décalage n’est le produit ni du refus de servir des citoyens ni d’une méconnaissance par les forces de sécurité des services que peut rendre à la patrie le développement des réserves : il s’agit davantage d’une inadaptation de notre législation. Je fais mien l’objectif de porter à 80000 la Garde nationale constituée par les volontaires voulant servir comme réservistes dans les institutions de défense et de sécurité : Armées, Gendarmerie, Police, pompiers, Sécurité civile… Mais pour atteindre cet objectif, il ne suffit pas de le proclamer : le législateur sera invité à revoir les textes incitant les employeurs privés et publics à se priver pendant un temps de leurs collaborateurs souhaitant servir comme réservistes, et facilitant pour les salariés et leurs familles leur engagement dans les réserves. Je suis certain que les entreprises sont prêtes à fournir cet effort pour la sécurité du pays, et qu’elles mesurent tout l’intérêt que présentent des collaborateurs membres de la Garde nationale. Une amélioration du maillage territorial de la réserve est également indispensable pour ancrer ce dispositif sur tout le territoire, notamment dans les « déserts militaires ». Un système de pilotage très réactif des ressources humaines devra être mis en place, à l’instar de ce que pratique déjà la Gendarmerie nationale. C’est un chantier qui ne progressera pas à coup d’exhortations, mais grâce à un travail législatif et réglementaire exigeant ténacité et continuité.

L’OTAN et l’Union européenne sont deux des plus importants piliers de la sécurité européenne. Quelle sera votre attitude à leur égard ? Faut-il renforcer le poids de l’OTAN et/ou pousser au développement d’une défense européenne ? Dans ce dernier cas et compte tenu du grand nombre de forces bi/multinationales déjà existantes, comment procéder ?

Donald Trump a semé le trouble en déclarant que l’OTAN était obsolète et en laissant supposer que l’Alliance atlantique n’était pas tant une communauté stratégique qu’une simple transaction : la défense d’un pays membre par les États-Unis en échange d’une contribution financière. Tout en exerçant son libre arbitre stratégique, la France n’a jamais cessé, y compris à l’époque du général de Gaulle, de considérer que l’Alliance atlantique était un pacte de défense collective fondé sur le principe inaliénable qu’une agression contre un des Alliés constituait une agression contre tous. Par ses prises de positions initiales, Donald Trump laisse planer un doute quant à sa volonté de respecter cet engagement collectif.

Dans ces conditions, la défense européenne doit passer de son statut largement déclaratoire et militairement marginal à une réalité stratégique et opérationnelle. Je le dis clairement, il ne s’agit pas de marquer une défiance quelconque vis-à‑vis de l’Alliance atlantique, dont la France est un membre fondateur et qui permet aux forces armées des démocraties européennes et nord-­américaines de travailler ensemble. Mais ces incertitudes, mises en regard des menaces qui pèsent sur les pays européens, constituent une forte incitation, je dirais même un devoir, à se donner les moyens d’assumer davantage leur sécurité et leur défense collectives. Au cœur de l’Union européenne, la France et l’Allemagne ensemble pourront engager cette transformation : j’ai ouvert cette perspective dans mon discours à l’université de Berlin au début de l’année. Nous sommes dans un moment qui permet cette avancée de la défense européenne, en mettant notamment en place un Fonds européen de défense et un Quartier général européen complémentaire des instances de l’OTAN. Pour avancer, il ne faut pas attendre un consensus à 27, mais progresser à quelques-uns, de manière toujours ouverte aux autres États. C’est le message que j’ai porté à Berlin et que je défendrai comme président de la République.

La Chine a une attitude révisionniste en mer de Chine méridionale. Actuellement, notre présence militaire dans la région est épisodique dès lors qu’elle n’est pas prioritaire selon les deux derniers livres blancs. Faut-il être plus présent dans la zone ?

Plus de la moitié des échanges maritimes mondiaux passent par la mer de Chine du Sud : c’est dire toute l’importance de cette Méditerranée asiatique. La prospérité du monde, donc aussi la nôtre, serait compromise si dans la mer de Chine du Sud était mise en cause la liberté de navigation prévue par la Convention sur le droit de la mer ou si devaient s’y dérouler des affrontements militaires. La France a une présence permanente dans l’océan Indien et le Pacifique, nous entretenons des relations stratégiques étroites avec Singapour et l’Australie, et les navires de notre Marine nationale exercent périodiquement leur droit de passage à travers les eaux de la mer de Chine du Sud. Vu les intérêts communs des États européens en termes de respect du droit de la mer dans la région et l’importance évidente de la préservation de la paix en mer de Chine du Sud, il y aurait cependant tout intérêt à ce qu’une politique soit bâtie à l’échelle européenne afin de conforter notre présence dans la région.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 20 février 2017

(*) Pour en savoir plus sur notre démarche et notre dossier « présidentielle 2017 », cliquez ici.

Article paru dans DSI n°128, mars-avril 2017.
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