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Entebbe, 1976. Un raid exemplaire

Par Philippe Langloit, chargé de recherche au CAPRI.

Le 27 juin 1976, un Airbus A300 d’Air France parti de Tel-Aviv fait une escale à Athènes avant de redécoller pour Paris avec 260 passagers et membres d’équipage à bord. Peu après le décollage, deux Palestiniens d’une section dissidente du FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine) et deux Allemands des Cellules révolutionnaires sortent leurs armes et détournent l’appareil. Israël décide d’intervenir afin de libérer les otages.

L’opération sur Entebbe (« Thunderbolt » dans un premier temps, « Yonathan » dans un second) sera exemplaire à plusieurs égards de l’utilisation des forces spéciales. D’un point de vue historique, elle marque la fin de la « période aéronautique » du terrorisme palestinien. D’un point de vue opérationnel, la libération des otages du vol 139 est un véritable cas d’école, qui se déroule à 4 000 kilomètres des bases de départ israéliennes, dans un environnement hostile : les terroristes ne seront pas les seuls à s’opposer à l’action des forces spéciales de Tsahal, qui devront également combattre les forces ougandaises.

Sous la garde de l’armée ougandaise

Le premier obstacle à leur action est la situation elle-même, naturellement fluide les premières heures. Reparti d’Athènes avec les terroristes à bord – ils ont profité de contrôles de sécurité moins stricts à l’aéroport d’Athènes, touché par une grève –, l’appareil est rapidement détourné vers Benghazi (Libye), où il sera ravitaillé durant environ neuf heures, une passagère enceinte étant libérée. Dans la foulée de la prise d’otages, la « cellule Che Guevara de la section de Haïfa du FPLP » revendique l’action depuis le Koweït. Le FPLP de George Habash dément ensuite être impliqué. Pour les terroristes, l’objectif est simple : échanger l’avion et ses passagers contre 40 Palestiniens emprisonnés en Israël et 13 autres détenus dans quatre autres pays (1). La demande est formulée le 29 juin.

Après cinq heures de vol depuis Benghazi, l’appareil atterrit à Entebbe. Six heures après l’atterrissage, les otages sont transférés dans l’ancien terminal de l’aéroport où ils reçoivent de l’eau et de la nourriture. Les quatre preneurs d’otages sont alors rejoints par six Palestiniens. Des soldats ougandais, estimés entre 80 et 100, se déploient également, tandis que le président Idi Amin Dada se rend à l’aéroport. Compatissant avec les otages, il défend également la cause palestinienne. Les otages eux-­mêmes sont séparés en deux groupes : les Israéliens ou ceux possédant la double nationalité, et les autres. Au cours d’une deuxième visite du président ougandais, le 30 juin, 47 otages sont libérés, qui rejoignent immédiatement Paris.

Dans la foulée, les revendications palestiniennes sont reformulées : les 53 détenus doivent être libérés le 1er juillet, sinon les otages restants seront abattus et l’appareil détruit. La réaction israélienne est d’abord politique, envisageant la libération des détenus ou cherchant par divers moyens à presser Amin Dada afin qu’il mette un terme à la prise d’otages. Arguant de la nécessité de négocier, Israël obtient un recul de la date de l’ultimatum au 4 juillet à 11 h du matin. L’option militaire, immédiatement envisagée par le niveau politique, mais d’abord écartée en raison des conditions spécifiques de la prise d’otages, est finalement adoptée le 3 juillet à 18 h 30. La planification, elle, n’a jamais connu de répit, permettant le lancement rapide des négociations.

Les deux options

La planification, commencée dès le détournement connu, envisage deux options. La première, « légère », consiste à larguer des commandos-­marine au-dessus du lac Victoria avec leurs Zodiac, de sorte qu’ils rejoignent ensuite l’aéroport, immédiatement riverain. Une fois l’assaut mené et les preneurs d’otages tués, ils doivent négocier avec les Ougandais un passage en sécurité. Ce mode opératoire, qui semble d’autant moins orthodoxe que le lac Victoria abrite nombre de crocodiles, est en fait la double conséquence de l’élongation – 4 000 kilomètres – devant justement protéger les preneurs d’otages d’une réaction israélienne, et d’un déficit de capacités israéliennes de ravitaillement en vol. Pas question donc pour un C‑130 d’embarquer les otages libérés…

La deuxième option, « lourde », envisage l’utilisation de C‑130 à l’aller comme au retour, mais pose derechef la question du ravitaillement des avions. Les premiers contacts avec les pays voisins de l’Ouganda sont des échecs, aucun ne voulant se fâcher avec Kampala. Finalement, les pressions sur le Kenya, qui abrite une forte communauté israélienne, s’avèrent payantes : les appareils pourront y effectuer leur escale technique. Cependant, le feu vert kényan ne sera donné qu’au dernier moment, alors même que la libération des otages est en cours… L’option initialement retenue est donc un ravitaillement à Entebbe, avec le risque que le matériel nécessaire ne soit pas présent et que le carburant ne soit pas disponible. Tsahal s’oriente donc vers un déploiement plus massif et ayant une plus grande probabilité de réussite. Planifiée par Dan Shomron (2), l’opération s’appuie sur des renseignements qui, au moment de son lancement, sont fiables. Des opposants ougandais à Amin Dada effectuent également des repérages autour de l’aéroport, dont la configuration a été modifiée depuis le départ des entreprises israéliennes quatre ans plus tôt.

C’est en effet une firme israélienne qui a construit le bâtiment dans lequel les otages sont retenus. Une maquette à taille réelle de certaines parties du bâtiment sera reproduite, y compris par des ouvriers ayant construit l’original – réduisant ainsi les incertitudes des futurs membres du commando, qui peuvent s’y entraîner. D’autre part, parmi les otages libérés le 30 juin se trouvait un ancien officier ayant la double nationalité, qui donnera des informations précises sur le dispositif palestino-­ougandais. L’ensemble des otages libérés sera par ailleurs interrogé par le Mossad afin de corréler et confirmer les informations reçues. L’opération elle-même est soignée et bénéficie de moyens importants. Quatre C‑130 doivent partir de Charm el-Cheikh, alors sous contrôle israélien, et voler à 30 mètres d’altitude au-dessus de la mer Rouge afin de ne pas être détectés par des États qui pourraient alerter l’Ouganda. Ils doivent également survoler la province éthiopienne de l’Ogaden avant d’atteindre Entebbe.

Deux B‑707 sont également engagés. Le premier, qui restera à Nairobi, servira aux éventuelles évacuations sanitaires, tandis que le deuxième sera utilisé comme poste de commandement volant par le général Yekutel Adam, qui survolera Entebbe durant toute la durée du raid. Pratiquement cependant, les discussions politiques sur l’opportunité de la mission perdurent et les appareils décollent alors que la mission n’est pas encore validée : si elle devait être annulée, les C‑130 feraient demi-tour. Le feu vert final sera finalement donné une demi-­heure après le décollage. Alors même que les Hercules israéliens sont en vol, une dernière reconnaissance est effectuée par un agent du Mossad ayant loué un petit avion à Nairobi et qui feint d’être en détresse. Les photos qu’il prend permettent de s’assurer que les otages sont toujours dans le même bâtiment, les informations étant transmises aux appareils en vol. Plus largement, les Israéliens privilégient l’effet de surprise et un assaut assez massif. Dans le même temps, ils veillent à préserver leur sécurité opérationnelle, intimant l’ordre aux soldats de passer chez eux la dernière nuit avant le lancement de l’opération (3).

Le raid

Le 3 juillet à 23 h locales, au terme de sept heures de vol, le premier C‑130 se pose à Entebbe sans avoir été détecté, porte de soute ouverte – au risque que la piste ne soit pas éclairée (4). Le calcul est, en fait, de se positionner derrière un vol British Airways qui doit atterrir peu avant, pour bénéficier de l’éclairage de piste, tout en espérant une confusion du radar d’approche. Les trois autres appareils se posent sept minutes plus tard, alors que la piste est éteinte. Au total, environ 300 combattants israéliens seront débarqués, de même qu’une Mercedes noire et deux Range Rover embarquées dans le premier Hercules : il s’agit de faire croire à une nouvelle visite d’Amin Dada et de son escorte, afin de passer sans encombre les checkpoints. Las ! Quelques jours auparavant, le président ougandais a troqué sa voiture contre une autre berline, blanche celle-là… Deux gardes ougandais intiment l’ordre au convoi de s’arrêter et sont éliminés, mais l’usage d’une arme sans silencieux alerte les terroristes.

À ce moment, les trente membres du Sayaret Matkal, entassés dans les véhicules, sont à 15 mètres environ du terminal vers lequel ils progressent. Une fois dans le hall où sont les otages, ils ouvrent le feu sur les terroristes. Trois civils sont tués dans l’échange de tirs – Dora Bloch, qui avait été libérée pour être hospitalisée à Kampala sera ensuite assassinée sur ordre d’Amin Dada –, et une dizaine d’autres seront blessés durant l’opération. Cette phase ne prend qu’une minute et 45 secondes. Les Israéliens évacueront ensuite les otages – dont beaucoup sont déshydratés ou malades du fait de l’ingestion de nourriture avariée – vers les avions. L’exfiltration se fait sous le feu nourri des Ougandais, qui se sont positionnés sur la tour de contrôle. Répliquant massivement en protégeant la sortie des civils, les soldats du Matkal réduisent la pression ougandaise. Ce faisant, le lieutenant-­colonel Yonathan Netanyahou, qui commande le groupe, est tué (5). Comparativement, sept preneurs d’otages sont éliminés, de même qu’une vingtaine de soldats ougandais. Trois des preneurs d’otages – dont le commanditaire – se sont en revanche enfuis.

Dans le même temps que l’action du Matkal, un autre groupement de force israélien comprenant des membres des forces spéciales et des parachutistes de la brigade Golani continue de sécuriser les C‑130 qui doivent avitailler sur place, tout en se tenant prêts à l’arrivée d’éventuels renforts ougandais – qui n’arriveront cependant pas. Surtout, les soldats clouent au sol un bon quart de la force aérienne ougandaise. Une fois que les Hercules auront décollé, il s’agit de ne pas être poursuivi et abattu en vol… Concrètement, 11 MiG‑17 et MiG‑21 stationnés au bout de l’ancienne piste de l’aéroport sont détruits à l’explosif. Sa mission accomplie, ce groupement de force rembarque, lui aussi. Entre-­temps, l’ordre d’un décollage immédiat, sans plus attendre le plein des avions sur place, est donné depuis le B‑707 supervisant l’opération : les Kényans ont finalement donné leur feu vert.

Les leçons de « Thunderbolt/Yonathan »

In fine, alors que les exercices préalables à l’opération ont montré que 55 minutes seraient nécessaires à la conduite de l’opération, le premier Hercules redécolle 53 minutes après avoir atterri. À une heure du matin, le 4 juillet, les C‑130 se posent à Nairobi, où ils se ravitaillent. Les blessés et les malades embarquent dans le B‑707. Environ deux heures avant l’aube, tous les appareils israéliens ont redécollé. Lorsque les premiers bulletins d’informations de la BBC relatent l’opération, cela fait déjà quatre heures qu’ils ont atterri à Tel-Aviv. L’opération est un succès évident : seuls trois otages ont été tués – mais deux semblent l’avoir été par le feu israélien (6) – de même que le lieutenant-­colonel Netanyahou. Un soldat israélien – qui restera paraplégique – et dix civils ont également été blessés. L’A300 détourné a ensuite été repris par Air France. Entre le moment du détournement et l’atterrissage des Hercules à Lod, moins de sept jours se sont écoulés. Critiquée par le bloc de l’Est et certains États africains comme un « acte de piraterie » (7), l’opération est saluée par les professionnels comme l’une des plus audacieuses jamais organisées.

De facto, les Israéliens ont eu de la chance : plusieurs facteurs essentiels à la réussite de l’opération n’étaient pas maîtrisés – en particulier la question du ravitaillement –, au point que l’on se demande si les régulations actuelles permettraient encore de mener une telle opération. Par ailleurs, la puissance de feu des Israéliens été adaptée à un possible renforcement des forces ougandaises, qui ne s’est jamais produit. Ils ont donc été en mesure d’attaquer suivant le ratio classique de trois contre un, tout en ayant une claire supériorité qualitative. De même, le temps dévolu à l’entraînement préalable des soldats des forces spéciales a été extrêmement limité ; la qualité des hommes engagés a donc manifestement fait la différence. La qualité de la planification est également à souligner : en dépit des incertitudes, un maximum d’aléas ont été méthodiquement réduits, notamment par l’appui sur des formes non conventionnelles de renseignement.

L’opération a également eu des conséquences à plus large échelle. Elle a contribué à renforcer la légitimité de futurs dirigeants israéliens – dont Ehud Barak, qui a participé au raid –, mais a aussi fait la démonstration que le couplage entre forces spéciales et puissance aérienne ne mettait plus les pirates de l’air à distance de sécurité. Dans la foulée de l’opération, nombre d’États se sont par ailleurs dotés d’unités spéciales de lutte contre-­terroriste. De facto, en octobre 1977, le GSG‑9 allemand intervenait avec succès, libérant – à une seule exception près –les passagers d’un B‑737 de la Lufthansa détourné à Mogadiscio (Somalie). Différence de taille, le gouvernement somalien s’est montré coopératif et ne s’est pas opposé à l’intervention allemande (8).

L’opération a également eu des conséquences internationales, avec des menaces ougandaises sur le Kenya qui ont poussé les États-Unis à déployer un groupe aéronaval articulé autour de l’USS Ranger dans l’océan Indien afin de jouer un rôle dissuasif. L’attaque d’un hôtel de Nairobi le 31 décembre 1980, qui a fait 20 morts et 87 blessés, a ainsi été conduite par des Palestiniens cherchant à se venger de l’opération d’Entebbe. Par ailleurs, des centaines de Kényans vivant en Ouganda ont été assassinés sur ordre d’Amin Dada – dont les jours à la tête du pays étaient alors comptés. De facto, l’humiliation subie à Entebbe a sans doute joué un rôle dans un environnement politique de plus en plus défavorable à Amin Dada dans les forces ougandaises, mais aussi en Tanzanie, qui a conduit à la guerre d’octobre 1978 et, finalement, à sa chute.

Article paru dans DSI hors-série n°53, avril-mai 2017

Notes

(1) République fédérale d’Allemagne, Suisse, France, Kenya.

(2) Alors brigadier général, il sera chef d’état-major de Tsahal de 1987 à 1991.

(3) La mesure permet non seulement d’éviter les confidences malheureuses, mais également de rester joignables si le timing devait être brusqué.

(4) Sur l’opération, voir Simon Dunstan, Israel’s Lightning Strike : The raid on Entebbe 1976, Osprey Publishing, 2009 ; le chapitre 9 de William H. McRaven, Spec Ops. Case Studies in Special Operations Warfare, Ballantine Books, New York, 1996.

(5) De sorte que l’opération « Thunderbolt » sera rebaptisée « Yonathan ». Le lieutenant-colonel était le frère aîné du futur premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.

(6) Ils semblent ne pas avoir réagi à l’ordre donné par les commandos, lors de leur entrée de vive force, de se plaquer au sol.

(7) L’opération déclenchera par ailleurs une vague d’articles en droit international autour de sa nature et de sa légalité.

(8) Mark A. Carolla, Operation “Magic Fire :” A Case Study in Collaborative Threat Assessments and Risk Analysis of the German Bundesgrenzschutz GSG-9 Rescue of the Lufthansa Boeing 737-200 “Landshut” Hostages in Mogadishu, October 1977, George Washington University, Washington, 2007.

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