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Chongqing, cœur du « Go West » chinois

Tandis que la croissance de l’économie chinoise décélère, la municipalité autonome de Chongqing se transforme inlassablement sous l’action des pelleteuses et à grand renfort d’investissements. En 2017, le PIB de la ville enregistrait une croissance de 9,3 %, mettant fin à quinze années consécutives de taux à deux chiffres, mais restant au-dessus de la moyenne nationale de 6,9 %. Chongqing est au centre des « nouvelles routes de la Soie ».

Détachée du reste du Sichuan en 1997 et élevée au rang de province pour faciliter la construction du barrage des Trois-Gorges et dynamiser le sud-ouest du pays, Chongqing, cité industrielle située au confluent du fleuve Yangzi Jiang et de la rivière Jialing, est devenue en vingt ans l’une des villes chinoises les plus importantes par son poids économique et démographique (cf. carte 1). En 2011, à la suite de plusieurs fusions successives, elle devient la plus grande et la plus peuplée des quatre municipalités autonomes de Chine avec 32,6 millions d’habitants (devant Pékin, Shanghai et Tianjin). En 2018, l’agglomération de Chongqing concentre à elle seule 14,5 millions d’habitants, contre 7,8 millions en 2000.

Politique interventionniste

Si le dynamisme économique et démographique de la ville s’explique en partie par la construction depuis 1994 et la mise en service en 2009 de la plus grande centrale hydroélectrique au monde, dont le réservoir s’étend à l’est de la municipalité, il ne s’y résume pas. L’interventionnisme du gouvernement chinois et des hommes politiques de la région a largement provoqué et soutenu la croissance et la transformation en profondeur du territoire. En 2008, la crise financière internationale a touché les provinces exportatrices du littoral chinois (comme le Zhejiang, le Jiangsu ou le Guangdong), frappées par la baisse des demandes à l’étranger.

Pour compenser cette perte de dynamisme, le gouvernement a mis en place un vaste projet de soutien au sud-ouest du pays. La politique du « Go West » partait du constat qu’à la fin des années 2000, l’ouest, qui recouvre 56 % du territoire chinois, n’abritait que 11 % de la population et ne contribuait qu’à hauteur de 8 % à la richesse nationale. Chongqing, dès lors placée sous l’autorité du gouvernement central, au même titre que Pékin, Shanghai et Tianjin, a profité de cette nouvelle orientation politique.

À partir de 2007 et jusqu’à sa chute en 2012 pour corruption, détournement de fonds publics et abus de pouvoir, l’ancien ministre du Commerce, Bo Xilai (2004-2007), devient secrétaire général de la municipalité de Chongqing. Il y met en œuvre un « modèle », transformant la ville grâce aux investissements publics, éradiquant les mafias, historiquement présentes, et encourageant la construction de parcs de logements sociaux. En 2010, la ville-province devient la quatrième municipalité de Chine à être gérée directement par l’État. La même année, Huang Qifan, auparavant chargé de la réalisation du chantier de Pudong (district économique de Shanghai), est promu maire de la municipalité par le gouvernement central. Jusqu’en 2017, il fait de Chongqing une ville ouverte et internationale, avec l’objectif de rattraper Shanghai. Cette année-là, son PIB s’élevait à 289,9 milliards de dollars, soit davantage que celui du Pakistan (278 milliards), du Chili (263 milliards) ou de la Finlande (251 milliards). Mais l’économie de Chongqing reste dominée par les industries, notamment l’électronique et l’automobile. Alors qu’un quart des ordinateurs vendus dans le monde sont assemblés ici (61 millions en 2017), la ville-province est aussi le premier bassin automobile de Chine, avec 3 millions de véhicules sortis des lignes de production en 2016.

Une ville stratégique

La croissance économique et démographique se couple avec un fort étalement urbain. Si l’agglomération s’étend sur près de 5 500 kilomètres carrés, la superficie de la municipalité s’élève à 82 400 kilomètres carrés, soit un peu moins que l’Autriche. Aussi grande et riche qu’un État à part entière, la municipalité autonome aspire à devenir le centre financier, industriel et commercial de l’intérieur de la Chine. En plus d’importantes ressources naturelles, elle dispose d’une position stratégique sur la route du Tibet et de l’Asie centrale.

Cette situation géographique propice et les engagements de Pékin pour son développement l’ont mise en position de force pour profiter du projet des « nouvelles routes de la Soie », lancé en 2013 par le président Xi Jinping. Le programme OBOR, pour « One Belt, One Road » (une ceinture, une route), vise à mettre en place un réseau de corridors routiers, maritimes et ferroviaires pour relier l’Asie, l’Europe et l’Afrique (cf. carte 2). Chongqing est un point central : la ligne Yuxinou, un pont ferroviaire intercontinental reliant la municipalité autonome et la ville industrielle de Duisbourg (Allemagne), a été inaugurée en mars 2014. Son parcours passe, entre autres, par le Sichuan et le Xinjiang avant de desservir Astana (Kazakhstan) et Moscou (Russie). Elle se classe à la première place parmi l’ensemble des lignes de fret ferroviaire entre la Chine et l’Europe, dont le développement est rapide (65 % par an entre 2013 et 2016). Le 28 avril 2017, le chemin de fer s’est étendu à la Hongrie, et les programmes « Chongqing-Istanbul » et « Chongqing-Milan » sont à l’ordre du jour. Parallèlement, une voie de transport maritime-ferroviaire reliant Chongqing, le Guangxi et Singapour a été lancée le 10 mai 2017 afin que le Sud-Ouest chinois bénéficie d’une connexion au volet maritime d’OBOR. 

Cartographie de Laura Margueritte

Article paru dans la revue Carto n°47, « Alimentation : un commerce mondialisé sous tensions », septembre-octobre 2018.

À propos de l'auteur

Nashidil Rouiaï

Géographe spécialiste de la Chine et de Hong Kong, maître de conférences à l’Université de Bordeaux.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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