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Dérives autoritaires et désordres internes au Sri Lanka

Depuis octobre 2018, le Sri Lanka est plongé dans une crise politique inédite. La situation au sommet de l’État reflète le désordre et les troubles qui traversent le pays, situé à quelques encablures au sud-est de l’Inde. En mars 2018, les autorités instauraient l’état d’urgence après des épisodes de violences à Kandy, à l’est de Colombo, face à l’intensification des tensions interethniques et à la montée de l’extrémisme bouddhiste, attisé par des moines radicaux.

Des émeutes dirigées contre la minorité musulmane et des violences intercommunautaires entre Tamouls et Cinghalais ont émaillé le Sri Lanka. Pourtant, l’arrivée au pouvoir de Maithripala Sirisena en janvier 2015 ouvrait la voie à une possible réconciliation, notamment grâce à la promesse d’une restitution rapide des terres occupées par l’armée aux Tamouls réfugiés. Cette nouvelle donne politique mettait fin à dix ans de tensions sous la présidence de Mahinda Rajapaske (2005-2015), connu pour sa ligne dure envers la rébellion des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Son mandat avait été marqué par un regain de discriminations contre les minorités ethniques et religieuses de l’île et une dérive autoritaire (renforcement de l’exécutif, musellement des médias, emprisonnement des opposants, pleins pouvoirs donnés à l’armée, rejet de l’aide humanitaire envoyée aux camps de réfugiés tamouls).

Une division historique

Si les tensions sont vives entre Tamouls et Cinghalais, elles sont aussi anciennes. Entre l’annexion de l’île par les Britanniques en 1802 et son indépendance en 1948, de nombreux Tamouls sri-lankais profitent des installations éducatives des Missions américaines de Ceylan et sont placés à des postes de la fonction publique et du haut corps d’État, provoquant chez la majorité cinghalaise un sentiment persistant d’injustice. Dans le même temps, les Britanniques font venir des Tamouls du Tamil Nadu, région du sud de l’Inde, pour travailler de manière précaire dans les plantations de thé. Lors des négociations qui dessinent les contours de l’indépendance sri-lankaise, le Royaume-Uni échoue à mettre en place la demande d’égalité des droits des Tamouls dans un contexte de majorité cinghalaise. En 1948, le Sri Lanka devient un dominion du Commonwealth dirigé par des partis à dominante cinghalaise et, l’année suivante, le gouvernement du Parti national unifié retire la citoyenneté sri-lankaise aux Tamouls indiens. Avec un nombre important d’apatrides, le poids des Tamouls dans le corps électoral diminue drastiquement, passant de 33 à 20 %. Par la suite, les différents gouvernements sri-lankais tentent d’expulser les Tamouls indiens du pays. En 1964 et en 1967, des accords sont signés entre le Sri Lanka et l’Inde, prévoyant le rapatriement de 600 000 Tamouls apatrides en quinze ans et la naturalisation par le Sri Lanka de 375 000 autres.

En juillet 1983, une vague de soulèvements violents et meurtriers se déclenche contre les Tamouls à la suite d’une attaque des LTTE contre une unité militaire à Jaffna. Le pogrom du « juillet noir » conduit à la mort de 400 à 3 000 personnes et à la destruction de 8 000 maisons et de 5 000 commerces tamouls, et marque le début de la guerre civile. Entre 1983 et 2009, le conflit entre les LTTE, luttant pour un État tamoul, et l’armée sri-lankaise fait près de 100 000 morts et plus de 140 000 disparus ; 265 000 personnes déplacées sont enregistrées dans des camps et l’on estime à près d’un million le nombre de réfugiés ayant fui le Sri Lanka. Les plus grands foyers tamouls s’établissent au Canada (400 000 personnes), au Royaume-Uni (300 000), en Inde (150 000) et en France (100 000). Le conflit s’achève en 2009 avec l’assaut final de l’armée sri-lankaise dans le nord de l’île.

Une autorité chaotique

Les tensions interethniques et interreligieuses demeurent vives. Les Cinghalais, majoritairement bouddhistes, représentent les trois quarts des 20,87 millions d’habitants (2017) de l’île ; les Tamouls, la plupart hindous, et les musulmans forment respectivement 18 % et 10 % de la population. En mars 2018, des émeutes anti-musulmans ont éclaté dans la région de Kandy. Déjà en septembre 2017, des moines extrémistes bouddhistes membres du Sinhale Jathika Balamuluwa (Force nationale cinghalaise) avaient attaqué un centre de réfugiés rohingyas ayant fui les persécutions en Birmanie. Les Tamouls demeurent, quant à eux, une minorité dominée ; leurs droits politiques ne sont pas respectés et la population vit dans un environnement militarisé : 16 des 18 divisions de l’armée sri-lankaise sont stationnées dans les zones tamoules du nord.

Si le gouvernement actuel était porteur d’espoir, la volonté du président Maithripala Sirisena de placer Mahinda Rajapaske, figure de l’extrémisme bouddhiste, à la tête du gouvernement sans l’accord du Parlement et face à la résistance des députés est le reflet des désillusions de ces dernières années. Le pays est divisé et la situation politique, chaotique. Le 26 octobre 2018, le Premier ministre limogé, Ranil Wickremesinghe, ayant toujours une majorité au Parlement, a refusé de quitter son poste. Après l’annonce par le président de la dissolution de la Chambre et l’organisation d’élections anticipées, la Cour suprême a invalidé ces décrets et a suspendu les pouvoirs en tant que Premier ministre de Mahinda Rajapaske le 3 décembre 2018, estimant que des « dommages irréparables » pourraient être infligés au pays s’il restait.

Le 16 décembre, il acceptait enfin de partir, et le président réinvestissait Ranil Wickremesinghe, tandis que la Cour suprême annulait la suspension du Parlement et les élections. La crise institutionnelle précarise encore un peu plus une paix déjà fragile.

Cartographie de Laura Margueritte

<strong>Ceylan, une île sous tensions</strong>
<strong>Repères</strong>
Nom officiel
République démocratique socialiste du Sri Lanka
Chef de l’état
Maithripala Sirisena
(président depuis 2015)
Superficie
65 610 km2
(123e rang mondial)
Langues officielles
Cinghalais et tamoul
Capitale
Sri Jayawardenapura Kotte (Colombo, capitale économique)
Population est. 2017
20,87 millions d’habitants
Densité
318 hab./km²
Monnaie
Roupie sri-lankaise
Histoire
En 1796, les Britanniques prennent le contrôle l’île de Ceylan, qui devient une colonie de 1802 à 1948, date de l’indépendance. L’année suivante, le gouvernement retire la citoyenneté aux Tamouls venus d’Inde. En 1976, quatre ans après que le pays est devenu le Sri Lanka, naît le mouvement des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), acteur d’une guerre civile de 1983 à 2009.
PIB par habitant est. 2017 (en parité de pouvoir d’achat)
12 900 dollars
Indice de développement humain (2017)
0,770 (76e rang)
Article paru dans la revue Carto n°51, « Union européenne : du projet à la crise », novembre-décembre 2018.

À propos de l'auteur

Nashidil Rouiaï

Géographe spécialiste de la Chine et de Hong Kong, maître de conférences à l’Université de Bordeaux.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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