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Estonie : la première « start-up nation » ?

Appelés aux urnes le 3 mars 2019 pour élire leurs députés, les Estoniens ont pu voter sur Internet pour la neuvième fois depuis l’introduction du scrutin en ligne en 2005. Moins de trente ans après son indépendance (1991), l’ancienne République soviétique est devenue un modèle mondial du numérique, mettant en ligne son administration au risque de s’exposer à de nouvelles menaces.

Discuter avec les enseignants de ses enfants, vérifier les dates de vaccination de son chien…, la quasi-totalité des services publics estoniens est accessible sur Internet depuis un unique portail (www​.eesti​.ee). En 2017, près de 95 % des foyers y ont déclaré leurs impôts et 39 % des votants s’y sont exprimés lors des élections municipales. Seuls le mariage, le divorce et l’achat de biens immobiliers nécessitent encore de se déplacer. Selon la Banque mondiale, le temps gagné par cette numérisation générerait pour le pays des économies de l’ordre de 2 % de son PIB (25,92 milliards de dollars en 2017). Ce système repose sur le déploiement de cartes d’identité à puce, obligatoires dès l’âge de quinze ans, permettant de se connecter à la plate-forme X-Road, où les administrations stockent et échangent leurs données. Le citoyen reste propriétaire de ses informations et sait à tout moment qui les a consultées.

Vitrine de cette numérisation, le programme « e-résidence », lancé en 2014, doit attirer dans ce petit pays de 45 339 kilomètres carrés et 1,31 million d’habitants (2017) des entrepreneurs capables de créer des start-up prenant la suite des succès estoniens d’Internet tel que Skype. N’assurant ni la citoyenneté, ni la résidence fiscale, ni le droit de séjour, ce programme autorise, moyennant une centaine d’euros, la création à distance d’une société en Estonie. Au 1er janvier 2019, le pays comptait 49 802 e-résidents, dont 88 % d’hommes, venant pour 9,7 % de Finlande, 7,1 % de Russie et 4,3 % de France, entre autres.

Les raisons de ce succès sont multiples. La dématérialisation a été perçue par les secteurs public et privé comme une solution pour couvrir le territoire. L’Estonie a pu s’appuyer sur une industrie électronique forte, héritée de l’URSS, et sur sa proximité avec les pays nordiques, où les télécommunications étaient alors en plein développement. La quasi-totalité de l’Estonie est couverte par la 4G, et l’Union internationale des télécommunications évalue à 87,2 % la part des Estoniens utilisant quotidiennement ­Internet en 2016.

Cette numérisation n’est pas sans limites. La réussite du vote en ligne n’a pas amélioré la participation, en recul de cinq points entre les municipales de 2013 et 2017. De plus, les risques sont grands. Victime dès 2007 d’une cyberattaque massive lancée de Russie paralysant ses administrations, l’Estonie a dû s’assurer de la continuité de ses services publics en cas de crise politique ou naturelle. Le pays a ouvert en 2018 une e-ambassade au Luxembourg visant à sauvegarder les données sensibles du pays (impôts, état civil, retraites, etc.). 

Cartographie de Laura Margueritte

<strong>Estonie : la première « start-up nation » ?</strong>
Article paru dans la revue Carto n°52, « Géopolitique d’un continent en mutation : l’Afrique émergente ? », mars-avril 2019.

À propos de l'auteur

Teva Meyer

Maître de conférences en géopolitique et géographie à l’Université de Haute-Alsace, porteur du programme « NucTerritory : objectiver les territorialités nucléaires » financé par l’Agence nationale de la recherche. Auteur de Géopolitique du nucléaire : entre puissance et menace (Le Cavalier Bleu, février 2023).

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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