Le Parlement israélien a tranché par l’affirmative en votant le 19 juillet 2018, à une courte majorité (62 sur 55), la controversée « loi sur l’État-nation ». Fortement critiquée sur le plan international, elle a renforcé les fractures au sein d’une société gagnée par une conception exclusive et ethnoreligieuse de la nation.
Présentée par la majorité au pouvoir comme une réaffirmation du caractère juif d’Israël, la « loi sur l’État-nation » consiste essentiellement à donner une valeur constitutionnelle à une liste de principes jugés comme constitutifs du lien entre le peuple juif et Israël. Certains des articles entérinent les symboles déjà utilisés, comme le drapeau ou l’hymne national. Mais d’autres ont provoqué un vif débat.
Si la loi impose notamment à l’État de soutenir le développement d’implantations juives sur le territoire et d’investir dans le maintien du lien entre Israël et la diaspora, elle ne dit rien des citoyens non juifs. En 2016, selon les statistiques officielles, 20,8 % des 8,54 millions d’Israéliens sont arabes, soit des descendants de Palestiniens restés sur les territoires revendiqués par Israël en 1948. La nouvelle loi ne les évoque pas une seule fois, et elle relègue leur idiome maternel, auparavant officiel, au rang de « langue à statut spécial » indéfini. Les partis arabes israéliens dénoncent une politique d’apartheid assumée.
Mais c’est le rejet du texte par les représentants de la minorité druze qui a mis le feu aux poudres. Cette population arabophone, pratiquant une version hétérodoxe de l’islam, ne représente que 1,6 % des Israéliens en 2016, mais elle occupe une position à part, en premier lieu par sa participation à l’armée, au contraire des autres citoyens arabes, qui sont exemptés du service militaire. Peu coutumière des critiques ouvertes de l’État, elle s’est élevée contre ce qu’elle considère être une trahison de sa fidélité sans faille. De nombreux Israéliens juifs se sont ralliés à sa cause, en participant à une manifestation, le 5 août à Tel-Aviv, qui a rassemblé quelque 50 000 personnes, dont un quart de la population druze du pays. Au-delà des minorités, plusieurs personnalités politiques de premier rang, comme la chef de l’opposition, Tzipi Livni, ou le président, Reuven Rivlin (depuis 2014), pourtant issu du Likoud, le parti du Premier ministre, Benyamin Netanyahou (depuis 2009), ont apporté leur soutien.
Quel besoin de réaffirmer le caractère juif d’Israël ? Aucun des groupes qui s’est élevé contre la loi ne conteste ce dernier, visible dans tous les aspects du quotidien. Cette norme répond surtout à une vision nationale ethnoreligieuse portée par la coalition au pouvoir qui repose fortement sur de petits partis ultra-orthodoxes, dont le Foyer juif, porte-parole des partisans de la colonisation.
Certains analystes voient cette loi comme une assurance dans le cas où la Cisjordanie et la bande de Gaza seraient annexées. L’équilibre démographique en serait bouleversé : un rapport de l’armée israélienne du mois d’avril 2018 donnait les populations arabes numériquement supérieures aux populations juives dans la Palestine historique (7,1 millions contre 6,5 millions). Si l’État prend ce chemin, il devra choisir entre renoncer à son caractère juif ou instaurer un régime de ségrégation qui ne dira pas son nom. Avec la « loi sur l’État-nation », la coalition au pouvoir semble pencher pour la seconde option.
Cartographie de Laura Margueritte